libellés

dimanche 14 mars 2010

Avis CNDS sur le tir de Flashball à Montreuil

REPUBLIQUE FRANÇAISE
COMMISSION NATIONALE DE DEONTOLOGIE DE LA SECURITE

Saisine n°2009-133

AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité

à la suite de sa saisine, le 13 juillet 2009,
par M. Jean-Pierre BRARD, député de la Seine-Saint-Denis

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 13 juillet 2009, par M Jean-Pierre BRARD, député de la Seine-Saint-Denis, des circonstances dans lesquelles les forces de police sont intervenues le 8 juillet 2009 à Montreuil-sous-Bois, opération au terme de laquelle M. J. G. a été grièvement blessé à l 'oeil par un tir de flash-ball.
Elle a pris connaissance de l'enquête diligentée par l 'Inspection générale des services à la demande du parquet de Bobigny.
Elle a entendu M. J.G., MM T.s., commissaire de police principal de Montreuil, P.B., lieutenant, MG., brigadier, et P.L.G. , gardien de la paix.

LES FAITS

Le 8 juillet 2009, en exécution d'une ordonnance judiciaire autorisant l'expulsion d'occupants sans titre de l'immeuble de l'ancienne clinique sis boulevard de Chanzy à Montreuil et sur réquisition du concours de la force publique, les effectifs de police de la circonscription de sécurité publique de Montreuil ainsi que ceux du RAID ont investi ledit immeuble à 6h00 du matin et ont procédé à l'évacuation de l'ensemble de ses occupants. Cette opération s'est déroulée dans le calme, sans incident et sans qu'aucune interpellation ne soit effectuée.
Le propriétaire, qui a repris possession des lieux dés 9 h 00 au terme de cette opération, a placé les locaux sous la garde d'une société privée de sécurité. Un léger dispositif de surveillance policière avait été laissé en place aux abords de la clinique au cours de la journée. Ce dispositif a été renforcé par des effectifs d'une unité mobile de sécurité à partir de 17 h 00, suite à un renseignement faisant état d'une manifestation en soirée, dispositif placé sous les ordres du commissaire T.S. puis du lieutenant P.B., à partir de 21 h 00.

Pour protester contre cette opération d'évacuation, certains occupants délogés ainsi que des sympathisants ont effectivement organisé un dîner en plein air à l'entrée de la rue du Capitaine Dreyfus, voie.réservée aux piétons, qui a débuté aux alentours de 19h30 et s'est déroulé sans incident jusqu'aux environs de 22 h 15.
A cette heure-là, des feux d'artifices ont été tirés au dessus de la clinique. Les manifestants présents rue du Capitaine Dreyfus se sont alors dirigés en cortège en direction de la place du Marché aux abords de l'ancienne clinique. Le lieutenant P.B. y a aussitôt déployé ses effectifs pour empêcher toute intrusion.

Selon ce dernier, les fonctionnaires ont été accueillis par « une pluie de projectiles constituée de canettes de verre ou métalliques ». Ils ont été positionnés devant la clinique et après l'arrivée d'équipages de renforts, une charge a été ordonnée. Elle a fait refluer les manifestants rue de Paris. Certains d'entre eux se sont repliés en passant sous la halle du marché. Les manifestants ont été refoulés rue de Paris, puis Croix-de-Chavaux et se sont dispersés rue Dreyfus. Trois personnes ont été interpellées et aucun fonctionnaire n'a été blessé.

Au cours de cette opération, trois fonctionnaires de police ont procédé à des tirs de flashball :
- vers 22h20, le brigadier M.G., responsable des effectifs de l'UMS, en tenue de maintien de l'ordre, a fait usage de cette arme à deux reprises, une premiéèe fois par un tir à quinze mètres destiné selon lui à protéger les fonctionnaires de la BAC qui procédaient à l'interpellation d'une personne - M. P.C. - ayant jeté des projectiles sur les forces de police, place du Marché, à l'angle du boulevard Chanzy, puis une seconde fois un peu plus tard, Croix-de-Chavaux, alors que les manifestants revenaient à la charge en jetant des canettes, tir effectué selon lui à une distance de vingt-cinq métres. Selon le rapport établi le 9 juillet 2009 par ce fonctionnaire, ces tirs n'ont occasionné aucune blessure aux manifestants ;
- également vers 22h20, place du Marché, le gardien de la paix P.L.G., affecté à la BAC de Montreuil, en civil, a fait usage de son flash-ball à deux reprises sur des manifestants qui tentaient de venir au secours de la personne interpellée. Ces tirs étaient justifiés, selon les mentions du procès-verbal d'interpellation de M. P.C. établi par ce fonctionnaire le 8 juillet, l'intégrité physique de ses collègues interpellateurs étant menacée par la charge d'une quinzaine de manifestants qui s'étaient retournés et progressaient « rapidement en direction des gardiens de la paix interpellateurs ( .. . ) déterminés à avorter l'action policière ». Selon lui, les deux tirs n'ont touché personne ;
- un peu plus tard le gardien de la paix J.v., affecté à la BAC de Rosny-sous-Bois, a également fait usage d'un flash-ball à deux reprises. Selon le rapport qu'il a établi le 9 juillet 2009, le premier tir a touché un individu, qui a été immédiatement interpellé. Le second tir, visant un manifestant qui s'apprêtait à jeter un projectile sur les forces de police, n'a pas atteint son but.

Présent sur les lieux parmi les manifestants refluant vers la rue de Paris en empruntant la halle du marché, M. J.G. a entendu derrière lui un témoin de l'arrestation de M. P.C. interpeller les policiers en leur disant : « Qu'est-ce que vous faites ? ». Il s'est retourné face à la clinique et au boulevard Chanzy, a constaté la présence d'une ligne de fonctionnaires devant lui, a entendu un premier tir de flash-ball et vu la douille tomber au pied du tireur qui se trouvait à cinq ou dix mètres de lui.
Faisant un quart de tour sur lui-même par la droite pour reprendre sa marche, il a reçu un projectile au niveau de l'oeil droit qui, par sa violence, l'a fait tomber à terre sur les genoux. Deux manifestants l'ont relevé et évacué en direction de la rue de Paris puis ils l'ont installé sur une chaise d'une terrasse d'un café à proximité.

Pris en charge par les sapeurs-pompiers, il a été admis aux urgences de l'hôpital intercommunal de Montreuil puis transféré à l'Hôtel-Dieu à Paris. Selon le certificat médical établi par le chirurgien ophtalmologiste de cet hôpital, M. J.G. a subi « une contusion majeure et plusieurs plaies du globe oculaire droit », entraînant la « perte définitive de la vision de l'oeil droit », ainsi qu'un « pronostic anatomique très péjoratif avec risque d'atrophie du globe oculaire, les lésions constatées [étant] compatibles avec un traumatisme contusif extrêmement violent comme peut le réaliser un projectile de flash-ball ».

Saisie par le parquet de Bobigny, l'Inspection générale des services a procédé à l'audition de l'ensemble des fonctionnaires présents sur les lieux et des riverains. Outre la plainte de M. J.G., elle a également enregistré les doléances de trois personnes légèrement blessées par des projectiles attribués aux tirs de flash-ball.

Une information judiciaire a été ouverte et est toujours en cours.

AVIS

L'examen des pièces de la procédure judiciaire et les auditions auxquelles la commission a procédé ne lui permettent pas, en l'état, d'identifier avec certitude l'auteur du tir à l'origine de la blessure de M. J.G. Certes, les témoignages recueillis décrivant les tirs d'un fonctionnaire en civil et la chute concomitante de la victime laissent présumer que M. P.L.G. est l'auteur des blessures subies par M. J.G. Il a d'ailleurs été mis en examen de ce chef. Mais la simultanéité des tirs de MM. M.G. et P.L.G, tout comme l'absence de constatations immédiates et de recueil des indices sur les lieux rendent délicate l'imputation, en l'état et sans aucun doute possible, du tir à l'un de- ces- deux fonctionnaires. Il appartiendra à l'autorité judiciaire, seule à même d'opérer les confrontations et reconstitutions nécessaires, de trancher définitivement sur ce point.

Toutefois, les éléments déjà recueillis permettent non ·seulement de constater l'existence de plusieurs manquements aux règles juridiques et techniques d'emploi des flash-ball, mais aussi de noter que la dangerosité de ces armes, fussent-elles utilisées conformément à la doctrine d'emploi, paraît disproportionnée au regard du but en vue desquels elles sont employées.

Le non-respect du cadre légal d'utilisation des lanceurs de balles de défense :

La doctrine d'emploi du flash-ball a été redéfinie en dernier lieu dans une note de service de la direction générale de la police nationale en date du 5 février 2009. Celle-ci a rappelé très clairement que son usage « assimilable à l'emploi de la force ( ... ) n'est autorisé ( ... ) que lorsque sont réunies les conditions» de nécessité et de proportionnalité inscrites dans l'article 9 du code de déontologie de la police nationale et que le fonctionnaire se trouve dans l'une des situations suivantes, précisément définies par la loi : légitime défense de soi-même ou d'autrui (art. 122-5 C.pén.), état de nécessité (art. 122-7), dispositions sur l'attroupement (art. 431-3), interventions dans les établissements pénitentiaires (art. D. 283-6 du C.pr.pén.). En outre, l'arme doit être employée sous le contrôle permanent de la hiérarchie, comme le précise une circulaire du 31 août 2009, ce qui suppose notamment de sa part des rappels et contrôles d'emploi avant et après l'usage de ce type d'armes.

Les fonctionnaires de police doivent être habilités individuellement à faire usage de cette arme. Une formation continue doit leur être dispensée « au maximum tous les tro is ans afin de confirmer [leur] maîtrise et de permettre le renouvellement de l'habilitation », la périodicité de cette formation et de ce renouvellement étant ramenée à un an par la circulaire du 31 août 2009. Enfin, les fonctionnaires employant le flash-ball doivent faire preuve de discernement et rendre compte pour chaque tir des circonstances précises les ayant amenés à utiliser leur arme, ainsi que des conséquences de leurs tirs.

La Commission ne peut se prononcer, faute de témoignages, sur les conditions juridiques d'emploi de son arme par M. J. V.

M. M.G., auteur d'un tir place du marché, a déclaré, devant la commission, qu'à l'arrivée des équipages placés sous son autorité, les manifestants se repliaient en direction de la place. des fonctionnaires de la BAC étaient terre, en train de procéder une interpellation, et faisaient l'objet de jets de projectiles de la part des manifestants, qui se trouvaient à une quinzaine de mètres e se rapprochaient. Il a fait aussitôt établir un barrage devant eux par quatre de ses hommes, équipés de boucliers, d'un lanceur cougar et d'une matraque.

L'usage du flash-ball lui a paru le plus adapté à cet instant pour protéger les fonctionnaires interpellateurs, compte tenu de la distance les séparant du groupe de manifestants qui continuait à jeter des projectiles susceptibles de les atteindre et de l'impossibilité pour son équipage de se replier en laissant les fonctionnaires à terre à découvert. Il n'a pas envisagé d'ordonner le lancer d'une grenade lacrymogène à la main.

Devant les services de l'IGS, il avait précisé qu'il avait vu son collègue tirer une première fois dés leur arrivée sur un groupe longeant un immeuble, dont il ne pouvait préciser s'il avançait ou reculait. Lui-même s'était placé à droite de la barrière de boucliers, face à un groupe situé également sur sa droite qui lançait les projectiles. Il avait qualifié son tir et celui collègue de la BAC de « tirs de barrage », destinés à stopper la progression des manifestants, expression qui a d'ailleurs été' reprise par le lieutenant P.B. dans l'un de ses messages radios et qui ne paraît pas correspondre à l'emploi nécessaire et proportionné d'une telle arme dans l'une des situations prévues par la loi.

A supposer que les fonctionnaires de l'Unité mobile de sécurité (UMS) aient été l'objet de jets de canettes de bière en verre ou en métal de la part de certains, les équipements de protection (casques, boucliers et jambières) dont ils étaient dotés étaient suffisants pour garantir leur intégrité physique et celle de leurs collègues situés derrière eux. Quant à la dispersion des manifestants lors de l'interpellation de M. P.C., elle pouvait être assurée efficacement par le lancer d'une grenade lacrymogène, dont le fonctionnaire en possession du cougar était doté.

M. P.L.-G. a, pour sa part, expliqué à l'IGS puis à la Commission qu'il s'était placé en protection de deux fonctionnaires qui procédaient à l'interpellation d'un manifestant et faisaient l'objet de jets de canettes de bières. Son premier tir, « sans viser quelqu'un de particulier », avait pour but de stopper la progression d'un groupe d'une quinzaine de manifestants qui se rapprochait de ses deux collègues. Le policier a tiré une seconde fois après M. M.G. et, selon lui, juste avant que ses collègues n'aient pu se retrancher derrière la ligne de boucliers avec la personne interpellée.

Ses déclarations sont en contradiction avec celles du brigadier M.G., qui affirme qu'il a aussitôt placé ses effectifs devant les fonctionnaires interpellateurs de M. P.C. et précise : « pour le deuxième tir, [M. P.L.G.] a dû se décaler sur la droite car il y avait les boucliers devant lui et toute l'équipe d'UMS ».

M. P.L.G. a également soutenu, devant l'IGS, que nul n'avait été touché par son premier tir, sans exclure qu'une personne puisse avoir été touchée par accident par le second, car il était alors en déséquilibre. Il a estimé que l'usage de son arme était justifié par les jets de projectiles et par une « situation de violences urbaines », « le gros des manifestants qui avaient rejoint la rue de Paris [ayant] mis le feu à une poubelle .

Mais ses déclarations sont contredites par les témoignages de tiers recueillis sur place et les constatations effectuées :
- Mme MY a vu des « policiers [mettre] au sol un homme au niveau du restaurant chinois faisant l'angle place du Marché et boulevard Chanzy. Quelques manifestants et notamment une femme se sont arrêtés. La femme a dit aux policiers qu'elle attendait son ami qui venait d'être interpellé ( .. . ) juste devant notre porte ( ... ) ». Mme MY a précisé qu'il y avait « des policiers avec des boucliers qui empêchaient la jeune femme de rejoindre son ami interpellé ». C'est à ce moment-là qu'elle a entendu deux ou trois tirs de flash-ball, très rapprochés. Elle n'a vu qu'un seul tireur, devant [sa] fenêtre, en civil. « Il a tiré sur un "homme qui était sur le trottoir côté du marché à la hauteur de son immeuble. Le jeune s'est écroulé immédiatement après le tir. Il est tombé en avant. Deux manifestants sont accourus aussitôt vers lui pour le protéger. Ils l'ont relevé et porté jusqu'au café ( ... ) de la place ».
- or ils ont été effectués sur des groupes relativement compacts d'une quinzaine de manifestants, sans viser quiconque en particulier et sans tenir compte des dommages collatéraux susceptibles d'en résulter.

Les conditions posées par le cadre d'emploi technique du flash-ball n'ont donc pas été respectées par MM, M.P. et P.L.G.

Mais, au-delà de ce constat, la Commission considère que l'utilisation du flash-ball dans le cadre d'un rassemblement sur la voie publique ne permet ni d'apprécier la distance de tir, ni de prévenir des dommages collatéraux, au sens de la note du 5 février 2009. Même si le tireur respecte les prohibitions et injonctions exprimées dans la doctrine d'emploi technique, l'utilisation d'une telle arme à plus de sept mètres et plus encore de nuit, par des hommes casqués, sur des cibles mobiles, sans prendre de visée précise, est susceptible d'occasionner de graves blessures, probabilité qui confère à cette arme un degré de dangerosité totalement disproportionné au regard des buts en vue desquels elle a été conçue.

La méconnaissance des instructions relatives aux personnes touchées :

Selon l'instruction du 25 février 2009 : « Lorsque la personne touchée par la balle de défense aura pu être interpellée, il conviendra de s'assurer sans délai de son état de santé et de la maintenir sous une surveillance permanente. Quelque soit la zone corporelle atteinte, un examen médical devant être pratiqué dans les meilleurs délais et un certificat descriptif sollicité du praticien».

La Commission a constaté que le brigadier M.G. connaissait mal les instructions précitées. Devant l'IGS, il a déclaré en effet : « Toute personne touchée par un tir de flash-ball inférieur à sept mètres doit faire l'objet d'une visite médicale même si cette personne ne se plaint pas ».

La transcription des échanges radio fa it apparaître qu'à 22h34, le lieutenant P.S. était avisé par sa station directrice TN 84 que l'état major avait été informé par le major des sapeurs pompiers qu'un manifestant avait été touché par une balle de flash-ba il. Le lieutenant P.S. a accusé réception de cette information, en précisant qu'un « tir de barrage» avait été effectué avant la charge. Devant la Commission, il a soutenu ne pas avoir entendu cette information car, « dans l'action, a-t-il dit, nous n'entendons pas nécessairement toutes les informations ».

L'inattention dont il a manifestement fait preuve lorsqu'il a été informé des blessures causées par un tir de flash-ball est d'autant plus regrettable qu'une telle information appelait de sa part une réaction immédiate pour tenter de déterminer le lieu des faits puis de le faire délimiter par un périmètre de sécurité pour préserver les indices et traces susceptibles de faciliter l'identification du tireur et des circonstances du tir.

L'absence de débriefing de la part de la hiérarchie :

La note de service n° 09/3264IDDSP du ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales du 12 février 2009 relative à l'emploi des armes et moyens de défense, prescrit clairement que: « Toute utilisation des armes et matériels ci-dessus mentionnés devra faire l'objet d'un débriefing technique par chaque chef de service à l'occasion duquel seront évoqués: les circonstances ayant conduit à l'usage de l'arme ou moyens de défense ; l'analyse des conditions d'usage et d'emploi de l'arme ou moyen de défense ».

Toujours selon elle, « il n'y avait pas d'attroupement, [le blessé] ne courait pas ( ... ). Il était en train de partir en allant vers la rue de Paris ». Elle ne l'a pas vu lancer des projectiles, ni d'ailleurs aucun de ses camarades aux alentours, à ce moment-là ;
- M. N.V. a confirmé l'absence de jets de projectiles lors des tirs : « Les manifestants se contentaient d'invectiver les policiers, certains les défiaient en refusant de reculer» ;
- aucun fonctionnaire présent n'a été blessé et aucun véhicule n'a subi de dégradation.

En conclusion, la Commission estime que l'utilisation des flash-ball par MM. M.G. et P.L.G. n'était pas indispensable et proportionnée à la menace. Elle considère surtout, au vu des témoignages précis recueillis, que le cadre légal d'emploi n'était pas respecté pour ce qui concerne l'un des tirs du gardien de la paix P. L.

Le non-respect de la doctrine d'emploi technique de ces armes et ses lacunes :

Selon la note précitée du 5 février 2009 :
- « dans la mesure du possible, le tireur doit prendre en compte l'état de la personne qu'il vise et les données de son environnement afin d'apprécier l'opportunité de l'usage du flashball et le cas échéant, envisager de recourir à tout autre moyen de force disponible, approprié et susceptible de parvenir au résultat recherché (...). Les éléments d'environnement doivent être analysés afin de prévenir tout dommage collatéral, tels les risques sur d'autres personnes se trouvant à proximité» ;
- la distance minimale de tir doit être d'au moins sept mètres, « afin d'éviter tout risque de lésion corporelle grave, pouvant être irréversible» ;
- « le tir avec visée au -dessous de la ligne des épaules ou dans la région du triangle génital est proscrit ».

Le flash-ball est en effet une arme à canons lisses, sans viseur intégré, contrairement au LBD. 40/46. La trajectoire de la balle est très aléatoire et l'écart entre le point visé et le point touché peut être de 50 cm en hauteur ou en largeur au-delà de douze mètres, ce qu'a pu vérifier la Commission lors d'une démonstration effectuée par un moniteur au centre national de tir de la police ·nationale. La distance de tir est elle même particulièrement difficile à apprécier, notamment la nuit.

L'utilisation des appareils de visée n'est pas précisément évoquée dans les notes d'emploi. Les formateurs consultés enseignent aux stagiaires de les utiliser chaque fois que c'est possible ; notamment en cas de violences urbaines ou d'attroupement, le tir au jugé pouvant être extrêmement dangereux à une distance de plus d'une dizaine de mètres.

En l'espèce, la Commission observe que :
- M. M.G. admet avoir tiré « l'arme levée au niveau de [sa] poitrine, sans prendre d'organe de visée» ; il estime impossible de mettre l'arme au niveau du visage en raison du bruit dégagé par le tir et considère que « l'arme doit rester au niveau du corps», ce qui a nécessairement pour conséquence d'interdire toute visée précise, quelles- que soient les conditions d'emploi ;
- tout en reconnaissant, d'une part, que l'on peut « viser la poitrine et atteindre malheureusement la tête », d'autre part, que sa bonne vision était gênée par la visière rayée de son casque, M. P.L.G. a tiré au jugé « sur le groupe, pour les dissuader de continuer leur progression », sans viser quiconque en particulier, l'arme à hauteur du visage, « sans prendre d'élément de visée mais en pointant le canon sur le groupe et en visant la zone corporelle intermédiaire» ;
- les tirs ont eu lieu la nuit, à proximité ou en direction de la halle du marché, peu éclairée, ce qui exigeait un surcroît de vigilance et de prudence dans l'utilisation des armes ;

Le gardien de la paix J.v. a déclaré devant l' IGS qu'il avait avisé oralement dans un premier temps le lieutenant P.S. des deux tirs qu'il avait effectués. A son arrivée au commissariat, il aurait établi sur le champ un rapport « peu détaillé », rapport non porté à la connaissance de la Commission.

Le brigadier M.G. a déclaré également avoir rendu compte de ses tirs au lieutenant P.B. Aucun rapport établi le soir même par l'intéressé n'a été communiqué dans la procédure laquelle ne contient que celui du 9 juillet 2009.

Le gardien de la paix P.L.G. a déclaré pour sa part ne pas avoir rendu compte de ses tirs au lieutenant P.S. car, selon lui, l'officier les avait vus. Ce n'est qu'après être arrivé au service qu'il aurait alors « expliqué les circonstances» de ses deux tirs. Le lieutenant lui aurait alors demandé si une personne avait été touchée, ce à quoi il lui a répondu qu'il ne savait pas. Il a alors rédigé un rapport circonstancié le même jour.

Selon les déclarations de lieutenant P.S., aucun débriefing collectif n'a eu lieu aux motifs qu'il n'y avait aucun blessé ni dégâts, ce qui constitue également de sa part une négligence professionnelle fautive.

L'absence de formation continue à l'usage du flash-ball :

La Commission déplore qu'aucun des fonctionnaires ayant usé du flash-ball le 8 juillet n'ait bénéficié de la moindre séance de formation continue, depuis leur habilitation qui remonte à 2002 ou 2006, malgré les termes impératifs de la note du 5 février 2009.

RECOMMANDATIONS

La Commission souhaite l'engagement de poursuites disciplinaires à l'encontre du lieutenant P.S. et du gardien de la paix P.L.G. , à raison des manquements professionnels graves relevés à leur encontre.

En ce qui concerne le brigadier M.G. , elle souhaite que des observations écrites lui soient adressées à raison de sa connaissance très approximative de la doctrine d'emploi juridique et technique du flash-ball. Il serait utile qu'il suive une formation complémentaire sur ce point.

Compte tenu, d'une part, de l'imprécision des trajectoires de tirs de flash-ball qui rendent inutiles les conseils d'utilisation théoriques et, d'autre part, de la gravité comme de l'irréversibilité des dommages collatéraux manifestement inévitables qu'ils occasionnent, la Commission recommande enfin et surtout de ne pas utiliser cette arme lors de manifestations sur la voie publique, hors les cas très exceptionnels qu'il conviendrait de définir très strictement.

Pour les cas dans lesquels l'utilisation du flashball reste indiquée, la Commission recommande la mise en application immédiate des prescriptions contenues dans les notes du 5 février et 31 aout·2009, en termes de formation continue et de renouvellement annuel des habilitations à l'usage de ce type d'arme.

TRANSMISSIONS

Conformément aux articles 7 et 9 de la loi du 6 juin 2000, la Commission adresse cet avis pour réponse au ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales
Adopté le 15 février 2010.
Pour la Commission nationale de déontologie de la sécurité,
Le Président,
Roger BEAUVOIS