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samedi 16 octobre 2010

Il ne fallait pas mettre le flashball entre toutes les mains [Rue89]

Il ne fallait pas mettre le flashball entre toutes les mains


Un flash-ball modèle Super-Pro (DR)
Le préfet de police de Paris a décidé de suspendre l'utilisation du flashball pour les policiers de Paris et de la petite couronne. Une décision prise après l'incident survenu jeudi à Montreuil, où un lycéen a été blessé après un tir de cette arme non-létale. Ce n'est pas la première fois que le flashball est au centre d'une polémique, comme l'expliquait notre blogueur Antonin Grégoire il y a quelques mois.
(De nos archives) Arme « sublétale » (sic) selon la brochure de son fabricant Verney-Carron, le flashball a une surface d'impact de 35 centimètres carrés, la puissance d'un .38 spécial et « fait le même effet qu'un coup de poing de champion de boxe ». L'arme est vantée comme ayant un aspect et un bruit dissuasifs.
Le principe vaut cependant pour toutes les armes : moins elle est létale, plus elle est utilisée. Situé quelque part entre l'ogive nucléaire et le cri de l'enfant qui veut des bonbons, le .38 spécial Mike Tyson sera forcément plus utilisé que l'arme de service normale.
Le fabriquant (adresse à Saint-Etienne, boulevard Thiers… ça ne s'invente pas) rappelle sur son site la doctrine politique qui justifia l'équipement de flashball :
« Quand les policiers en sont équipés, les voyous ne viennent pas les chercher. Dire que la police doit rester républicaine, ce n'est pas la condamner à l'inefficacité. »
On reconnaitra là le style inimitable du ministre de l'Intérieur de l'époque, un certain Nicolas Sarkozy. C'était en 2002, l'une de ses premières idées…

Les bavures ont commencé quand on a étendu l'usage du flashball

Le flashball équipe les forces de police et de gendarmerie depuis les années 90, mais pas n'importe lesquelles. La BAC, le GIGN ou le RAID sont des services habitués à devoir gérer des situations extrêmes. Il est intéressant, lors d'une prise d'otage par exemple, de disposer de telles armes. Au pire un otage perd un œil, mais il est heureux d'être en vie.
Les bavures ont vraiment commencé quand on a décidé d'étendre l'usage à des services devant faire face à un tout autre type de situation. Le barbu détournant un avion a généralement des motivations et des réactions différentes du lycéen qui passe le bac.
Un ministre de l'Intérieur a donc décidé un jour que le flashball serait disponible aux policiers municipaux et CRS. Et là ont commencé les confusions en tout genre. Car ce n'est que très rarement rappelé mais il existe une énorme différence entre le lanceur de balles de défense (LBD) et le flashball.
La commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS) note ainsi dans son enquête sur une bavure de novembre 2007 :
« Si [le flashball] permet de riposter instantanément à une agression, le LBD est une arme de neutralisation, susceptible d'atteindre, avec une excellente précision (…) des cibles éloignées de 25 à 30 mètres. »
Le LBD doit s'utiliser avec discernement, faire l'objet d'une visée précise et d'un temps d'ajustement permettant d'évaluer la menace… en fait, rien à voir avec un flashball, arme dite de « légitime défense », optimal à 7-10 mètres.

La confusion règne entre flashball et « lanceur de balles de défense »

Dans les deux cas, viser la tête est déconseillé, mais on a plus de chance de se rater si on joue au cow-boy avec un LBD. Lors de la bavure évoquée, le CRS éborgnant était équipé d'un LBD et formé en une demi-journée sur cible fixe…
Sauf qu'à part la CNDS, les policiers dans les médias et jusque dans leurs notes de service, ainsi que les responsables politiques chantent en chœur que les services sont équipés de « lanceurs de balles de défense type flashball ».
Ah oui, mais celui-là c'est lequel ? Face à l'argumentaire utilisé pour justifier l'usage de flashballs, on peut s'interroger sur l'étendue de la confusion sur le terrain. « Quand on reçoit des pierres ou des projectiles, la riposte doit être proportionnelle », disent les policiers.
Certes, mais dans le monde réel, le lanceur de cocktail est en général situé à 25-30 mètres de distance. A 7-10 mètres, on a plutôt une jolie adolescente teint de pêche et autocollants sur le visage… Est-ce qu'on nous vendrait pas de la riposte proportionnelle pour de la légitime défense, et du LBD anti-terroriste pour un gentil flashball ?

Un manque de légitimité qui traverse la hiérarchie jusqu'au flic de terrain

Dans l'immense majorité des cas, les bavures ont lieu quand les missions données par le politique au policier sont illégitimes. C'est ce manque de légitimité qui va traverser toute la hiérarchie jusqu'à l'homme de terrain, ce dernier traduisant en bavure. Le coup d » « impressionner les voyous » au flashball qui finit par éborgner les citoyens au LBD est le meilleur exemple du processus.
La vraie mission de la police n'est pas d'impressionner les voyous, mais d'intervenir si un type bat sa femme, de démanteler des trafics de drogue, de protéger dans tout les cas…
« Ce n'est pas à la police d'organiser des matchs de football » : c'est vrai ! Malheureusement on oubliait d'aller au bout de la logique : ce n'est pas à la police d'arrêter les adolescents dans les halls d'immeuble, de nettoyer les cités au Kärsher, ni même de mettre les immigrés dans des avions. C'est le rôle du vieux voisin chiant du troisième gauche, des services de la voirie et des programmes d'aide aux pays en voie de développement.
Les solutions aux problèmes de fond, c'est le politique, élite et élu du peuple, qui doit les trouver. C'est sa part du contrat social. C'est à ce prix et dans ce but qu'il dispose des forces de police mais en fait, il est censé œuvrer à leur disparition.
Une société à la dérive, à l'inverse, voit ses politiques incompétents proposer la police comme solution : les nôtres en sont à vouloir l'introduire dans les écoles…
Il est trop facile et trop courant, face à cette dérive, de rendre le policier responsable des bavures. De même que le flashball n'est qu'une arme au service du policier, le policier n'est qu'une arme au service de l'Etat.
La bavure, c'est le politique qui la commet lorsqu'il utilise la police de façon illégitime pour masquer aux citoyens combien son incompétence le rend inutile.

► Article initialement publié le 17/07/2009

Photo : un flashball modèle Super-Pro (DR).