mercredi 26 septembre 2012

Montpellier : un article du magazine so foot

Que s’est-il réellement passé avant Montpellier-Saint-Étienne ?

Un supporter pailladin a été gravement blessé à l’œil par un tir de Flash-Ball vendredi avant la rencontre Montpellier-Saint-Étienne. Depuis trois jours, les supporters opposent leur version à celle des pouvoirs publics qui a étrangement varié au fil du temps.

Se faire tirer dessus au Flash-Ball quand on est supporter n’est manifestement pas si grave. C’est ce qui ressort du peu d’écho qu’a reçu la grave blessure à l’œil par un caoutchouc de Florent, surnommé « Casti », jeune supporter montpelliérain de 22 ans. Une blessure pour rien, autant le dire de suite. Car tout est parti d’un événement anodin qui n’aurait jamais dû aboutir à une telle issue.

Un fumigène qui tombe d’une poche

Deux heures avant la rencontre, un supporter montpelliérain marchait près des forces de l’ordre non loin des buvettes, soit à quelques centaines de mètres du stade de la Mosson, avec un fumigène – évidemment éteint – dans sa poche. Les responsables des groupes ultras ayant assisté à la scène, que So Foot a interrogés, ont publié un communiqué présentant leur version des faits . Selon eux, ce supporter, Kevin C., 21 ans, a fait tomber son fumigène « par inadvertance alors qu’il marchait près des forces de l’ordre. […] Les policiers de la BAC ont voulu l’interpeller. » Si l’introduction et l’usage d’un fumigène sont prohibés dans une enceinte sportive, en dehors d’un stade, la possession d’un fumigène – qui plus est éteint – n’est pas, du strict point de vue de la loi, interdite. Ou alors, il faudrait pour les forces de l’ordre faire la sortie de tous les magasins d’accastillage…

Aussitôt, les événements s’enchaînent. Le jeune supporter court se réfugier vers les buvettes où des dizaines de personnes sont attablées, dont de nombreux membres des groupes ultras locaux, la Butte Paillade et l’Armata Ultras. Les policiers de la BAC tentent d’interpeller Kevin, mais certains supporters s’interposent et la situation dégénère (d’une manière plus ou moins grave selon les points de vue). L’un des policiers fait alors usage de son Flash-Ball et blesse gravement Florent à l’œil. D’après les témoignages des responsables de groupes de supporters montpelliérains présents sur les lieux, Florent ne s’était pas interposé à l’interpellation du supporter porteur d’un fumigène et n’avait donc rien à voir avec l’incident initial.

Une réaction policière appropriée ?

Les versions diffèrent très sensiblement pour incriminer ou disculper la réaction du policier. Pour les supporters, seules quelques personnes ont tenté de s’interposer à l’interpellation de Kevin, sans violence particulière. La version des pouvoirs publics est bien différente. Elle a cependant connu des changements troublants depuis vendredi. Quelques heures après l’incident, les sites Internet de RMC et d’Eurosport indiquent – semble-t-il sur la foi d’informations obtenues de la part des pouvoirs publics – que des heurts entre supporters montpelliérains et stéphanois seraient à l’origine de l’intervention des policiers et du tir de Flash-Ball. Contacté par So Foot à l’issue du match, un responsable d’un groupe ultra stéphanois dément fermement ces affrontements : « Nous étions déjà dans le parcage visiteur à ce moment-là. À notre connaissance, il n’y a eu aucun incident entre supporters des deux camps », ce que confirment les ultras locaux. D’ailleurs, en apprenant qu’un supporter pailladin avait été gravement blessé, les ultras stéphanois ont enlevé leurs bâches en début de seconde mi-temps et cessé leurs chants, par solidarité, alors que leur équipe menait pourtant au score et que les relations entre les deux camps sont habituellement tendues.

Les supporters pailladins évoquent, de leur côté, un témoignage étonnant : « Après l’incident, les policiers de la BAC ont pris l’identité de témoins travaillant dans la baraque à frite voisine des faits et leur ont mis la pression pour qu’ils disent qu’il y avait eu des affrontements entre supporters stéphanois et montpelliérains. Une des personnes de cette buvette ne s’est pas laissée faire et est venue nous le raconter », explique Julien, un ultra montpelliérain. Contacté par So Foot, Brice Robin, procureur de la République de Montpellier déclare : « Je n’ai absolument pas cette version-là, personne ne m’a jamais parlé de ça. »

Kevin : interdit de stade ou pas ?

Le lendemain, la Butte Paillade n’hésite pas à parler d’une bavure. L’agglorieuse, journal montpelliérain bien alimenté en information policière, se fait l’écho sur son blog du témoignage d’un commissaire divisionnaire de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP 34) qui ne manque pas de garder l’anonymat : « Il n’est pas établi que le supporter d’Armata ultras (Florent est en fait membre de la Butte Paillade, ndlr) blessé à un œil vendredi soir ait reçu une balle en caoutchouc tiré par un policier de la brigade anti-criminalité (BAC) avec un Flash-Ball. […] Il n’est pas exclu que la victime ait été atteinte à un œil par l’éclat d’une bombe agricole lancée par un supporter violent. » Version reprise alors dans la plupart des médias qui traitent de l’incident. En fin de journée, le médecin légiste confirme pourtant que la blessure a été causée par un tir de Flash-Ball. Exit la bombe agricole, dont plus personne ne parlera, puisque la seule détonation provenait, selon toutes nos sources pour une fois concordantes, d’une grenade de désencerclement tirée par les policiers…

Immédiatement, Brice Robin, procureur de la République de Montpellier, prend le relais. Il affirme que « deux fonctionnaires ont été blessés » et disculpe les policiers de la BAC sur deux points. Dans un premier temps, selon le Midi Libre , le magistrat précise que les policiers ont voulu interpeller un homme interdit de stade, ce qui permet de justifier la vive réaction des policiers. Les supporters montpelliérains contestent immédiatement ce point et affirment que le porteur du fumigène n’était en aucun cas interdit de stade. L’agglorieuse, décidément toujours aussi bien pourvue en témoignages de la maréchaussée, reproduit aujourd’hui le procès-verbal d’un des policiers de la BAC étant intervenus ce soir-là. S’il est bien fait état de la tentative d’interpellation de Kevin, le porteur de fumigène, le compte-rendu ne mentionne à aucun moment que Kevin était interdit de stade, mais qu’il était seulement « connu des services de police ». Comme à peu près tous les membres actifs de groupes ultras pailladins… Finalement, interrogé par So Foot, Brice Robin confirme : « À ma connaissance, le supporter n’était pas interdit de stade », ce qui rejoint la version des ultras.

Des échauffourées avant ou après le tir de Flash-Ball ?

Dans un second temps, le procureur assure que le policier aurait agi en état de légitime défense. Lorsque le jeune homme s’est réfugié au niveau des buvettes, « il y a eu des scènes de violence et les policiers ont été pris à partie. L’un des fonctionnaires, jeté à terre, a été blessé. Pour le dégager, un autre policier a envoyé une grenade de désencerclement et un autre encore a utilisé son gomme-cogne pour disperser la foule », indique le magistrat. Au contraire, selon les supporters montpelliérains dans leur communiqué, « les forces de l’ordre ont usé de leurs tonfas pour procéder à l’interpellation, une interpellation très musclée, qui a choqué les personnes présentes, certains se sont levés pour faire cesser le matraquage abusif dont [le supporter porteur du fumigène] était victime. C’est alors que sans aucune raison et de manière complétement disproportionnée, sans qu’il soit menacé et qu’on comprenne pourquoi, un représentant des forces de l’ordre a tiré à bout portant au Flash-Ball en direction des personnes attablées aux buvettes. » « Casti », qui n’avait, rappelons-le, rien à voir avec l’interpellation initiale, est alors atteint à l’œil.

Les supporters réfutent la version des pouvoirs publics selon laquelle un policier aurait été blessé avant le tir de gomme-cogne. « La situation était très largement maîtrisable (seules 2 ou 3 personnes s’étaient levées pour tenter de calmer les policiers), la légitime défense ne peut en aucun cas être retenue, le tir était tout simplement inexplicable », explique le communiqué. « C’est le tir qui a provoqué les échauffourées, en voyant la gravité de la blessure de Florent, les gens étaient révoltés. Les policiers en uniforme sont alors arrivés pour protéger ceux de la BAC », poursuit Julien, un ultra pailladin. Pendant ce temps, Florent gît sur le sol entre deux camions pendant une dizaine de minutes. « Ils savaient qu’ils avaient tiré sur quelqu’un à bout portant, mais à aucun moment ils n’ont appelé les pompiers, c’est quelqu’un de chez nous qui a couru vers le stade pour les alerter », déplore Julien. Si personne ne nie que des échauffourées ont opposé les ultras montpelliérains aux policiers, l’enchaînement des faits diffère complètement selon les versions. Pour les policiers, les violences des supporters ont eu lieu avant le tir de Flash-Ball et justifient donc leur intervention. Pour les supporters, les échauffourées sont consécutives au tir de Flash-Ball, ce qui légitime à leurs yeux leur réaction indignée et violente.

La blessure à l’œil de Florent est-elle grave ou non ?

Dans les jours qui suivent, l’œil de Florent est également l’objet de toutes les spéculations, médiatiques et policières, comme si de son sauvetage dépendait l’issue de l’affaire. Le samedi, ses camarades supporters affirment qu’il a perdu l’usage de son œil à 90%. Le dimanche, les pouvoirs publics, largement relayés par les médias, prétendent au contraire que son œil aurait été sauvé ! Puis aujourd’hui, on apprend par les médecins qu’il faudrait attendre 15 jours pour se prononcer sur la capacité de Florent à recouvrer entièrement la vue. En tout état de cause, il semble bien que sa vision sera sérieusement endommagée. Le chirurgien qui l’a opéré à l’hôpital Guy de Chauliac de Montpellier, cité dans le communiqué des supporters, explique que l’œil a littéralement explosé sous l’impact et que la violence de l’explosion a entraîné une fracture de la pommette.

Si les supporters ont maintenu la version qu’ils ont donnée à So Foot dès vendredi soir (une erreur de notre part sur l’identité du blessé ayant même été rectifiée immédiatement par les responsables des groupes ultras) et l’ont étoffée d’un communiqué officiel pour réagir à ce qu’ils considèrent comme des errements médiatiques, les revirements des pouvoirs publics semblent traduire un malaise face à cet incident. En tout cas, du côté de la police, on se montre un peu moins catégorique aujourd’hui : « Pour le moment, on est toujours en investigation, une enquête est menée, ce qu’on peut confirmer, c’est qu’une personne a effectivement été sévèrement blessé par un tir de Flash-Ball », indique la DDSP.

Les ultras au soutien, le club prudent

Quoi qu’il en soit, les messages de soutien à « Casti » ont parsemé les tribunes des stades français ce week-end, à Toulouse, Lorient, Strasbourg ou encore Créteil, réclamant, pour certains, justice. Les supporters pailladins ont lancé de leur côté un appel à témoin à toutes les personnes présentes vendredi soir (à l’adresse suivante justicepourcasti@hotmail.fr). Malgré une attitude compréhensive de René Girard hier lors d’une visite des ultras pailladins à l’entraînement du MHSC , le club de Louis Nicollin, contacté par So Foot, demeure très prudent : « Nous déplorons bien évidemment qu’un jeune spectateur ait été blessé en venant assister à un match de football, mais ceci s’est passé en marge de la rencontre et nous ne souhaitons pas commenter des incidents extérieurs, d’autant plus qu’une enquête est en cours. »

Quant au procureur de la République de Montpellier, selon les déclarations qu’il nous a faites, il n’a pas saisi l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) « parce que la situation m’a paru suffisamment claire ; je ne les dérange que si je présume une faute ». Il devrait, néanmoins, ouvrir une information judiciaire d’ici la fin de semaine « afin qu’un juge fasse la part des choses sur l’ensemble des faits, les violences comme la blessure involontaire ». De son côté, Florent, entendu hier par la sûreté départementale de la DDSP 34, va porter plainte pour demander réparation des préjudices corporels subis et c’est l’un des plus grand pénalistes de Montpellier, Me Jean-Robert Nguyen Phung, qui sera chargé de sa défense.

Les dangers des fumigènes…

Au-delà des zones d’ombre qui persistent, la morale de cette triste histoire est qu’un jeune de 22 ans qui n’avait rien à se reprocher va très probablement perdre grandement l’usage d’un de ses yeux. Il n’a, pourtant, pas bénéficié d’une grande compassion de la part des différents médias qui ont relayé l’affaire, peut-être en raison de son appartenance à un groupe ultra. Les pouvoirs publics et sportifs justifient leur lutte contre les fumigènes par le danger qu’ils représentent : pourtant, si des gros pétards ou des bombes agricoles ont bien déjà causé des blessures graves (on pense notamment à un stadier niçois ayant perdu des doigts en 2006), on ne connaît pas de cas avéré de blessure significative causée par un fumigène . En revanche, force est de constater que la lutte à tout prix contre les fumigènes provoque des blessures et crée une atmosphère de vive tension entre policiers et supporters, lesquels considèrent les fumigènes comme un engin festif. Ne serait-il pas possible de trouver une autre solution que la traque aux fumigènes pour améliorer la situation ? L’exemple norvégien laisse penser que si…

Anthony Cerveaux, avec Quentin Blandin