Récit du procès en appel // Rennes 28 juin 2013
28 juin 2013, à Rennes.
Par Pierre Douillard
Chronique judiciaire : essayer de résister au terrorisme policier sans avocat
Le 28 juin 2013, à Rennes, au terme de plus de 5 ans de combat politique et judiciaire se tenait le procès en appel de Mathieu Léglise : le policier qui m'avait mutilé le 27 novembre 2007.
En mars 2012, le tribunal de Nantes (encerclé par des dizaines de policiers en armure) avait choisi de relaxer Matthieu Léglise parce qu'il avait « obéi à un ordre de son supérieur ». Ce premier procès avait été harassant : l'avocat du policier, Laurent Franck Liénard, avait procédé à une véritable guérilla juridique avec une violence inouie, une arrogance non dissimulée. La police venait confirmer dans l'enceinte du Tribunal son sentiment d'impunité. La carte blanche donnée par la justice au tireur en a été une nouvelle illustration. A ce sujet, vous pourrez lire en pièce jointe un texte d'avril 2012 sur cette audience et son délibéré : « Grammaire d'un procès ».
Plus d'un an plus tard donc, avec des proches, des ami-e-s, des camarades, nous nous retrouvons devant la cour d'appel de Rennes. Une présence politique est assurée devant le Parlement de Bretagne : table d'information, nourriture, banderoles, visuels, drapeaux et pancartes sont déployés. Des prises de paroles s'alterneront tout au long de la matinée, alors même que se tient l'audience dans l'enceinte du tribunal. Une quarantaine de soutiens sont présent-e-s et se font entendre.
Des policiers ont empêché toute la matinée les soutiens d'atteindre la salle d'audience, mentant éhontément, prétendant qu'il n'y avait plus de place alors que la salle était à moitié vide, invectivant des compagnons, formant un « cordon sanitaire » infranchissable.
Dans la salle, nous avons choisi, avec ma famille, de nous présenter sans avocat. J'ai préparé une plaidoirie combinant arguments purement factuels ou juridiques concernant mon affaire et éléments plus globaux sur le flashball et son monde, sur la violence et l'impunité policière.
Durant une vingtaine de minutes, j'ai pu m'exprimer sans intermédiaire, face aux magistrats.
Voici une retranscription textuelle de l'intervention.
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Bonjour Mesdames/Messieurs les magistrats, je serai bref
Après 4 interminables années de combat judiciaire, durant lesquelles, avec le groupe de
travail constitué suite à ma blessure, nous avons mené une enquête indépendante de la police pour faire comparaître ce policier cagoulé qui m'avait tiré dessus, le tribunal de Nantes a relaxé Mathieu Léglise au motif principal que s'il m'avait bien tiré dessus et mutilé, il n'avait fait qu'obéir aux ordres, ce qui l'absoudrait.
Avant de continuer, il convient de rappeler que le Tribunal de Nantes dans son ensemble -Procureur et juges- ont validé le travail d'enquête mené par notre Groupe de Travail indépendant : Oui, Mathieu Léglise a bien tiré avec son Lanceur de Balles de défense dans mon visage le 27 novembre 2007. L'ensemble de l'argumentation de Maitre Liénard est une tentative de semer « l'incertitude au niveau des faits » : ce ne serait pas un tir de flashball, ce ne serait pas Léglise le tireur, je ne serais pas la personne touchée... Toutes les tentatives pour disculper Léglise, y compris contradictoires, sont bonnes à prendre. C'est du terrorisme intellectuel et juridique.
Les faits sont clairs, admis par tous, y compris par le procureur qui a relaxé M. Leglise au motif qu'il avait tiré sur ordre.
Je vais d'abord procéder à un démenti des mensonges de la police, des avocats de Mathieu Léglise et du tribunal de Nantes suite à ce déni de Justice :
Ces quelques rappels ne sont pas exhaustifs mais révélateurs de l'impunité incroyable dont bénéficie la police française.
1-Comme c'est d'usage dans l'enceinte d'un tribunal, je dois demander qui est Mathieu Léglise ? Il est avant tout un tireur récidiviste.
Les parties civiles ont pu découvrir lors de l'audience de Mars 2012 la personnalité de Mathieu Léglise, le policier tireur. On découvre d'abord un policier au vocabulaire limité, ne faisant preuve d'aucun remord pour ses actes, bien au contraire, et employant des termes militaires tels que « j'ai neutralisé la cible » pour parler des tirs de son arme sur une manifestation lycéenne, évoquant la possibilité d'« utiliser l'arme de service » à un président du tribunal visiblement choqué. Mais on apprend surtout que ce policier a déjà connu quelques déboires avec l'IGPN quelques semaines avant de me tirer dessus. Ce policier s'était porté volontaire pour expérimenter les premiers LBD 40, cette génération de flashball plus précise et plus puissante : seuls 3 LBDs étaient dotés en Loire Atlantique à l'automne 2007, seuls trois policiers avaient fait la demande d'utiliser cette nouvelle arme.
C'est dans ce contexte que Mathieu Léglise, avec son arme nouvellement offerte, a utilisé le LBD sur une foule de fêtards lors des fêtes de l'Erdre à Nantes, en septembre 2007 : ce policier avait tiré à 9 reprises selon son propre aveu sur les fêtards, utilisant toutes ses munitions !
Je sors une première fois une balle de LBD, je joins le geste à la parole, agitant la munition sous l'oeil surpris des magistrats. Puis je dépose l'objet sur un promontoir, sous leurs yeux.
Il avait notamment blessé une jeune femme à la main, c'est dans ce cadre qu'une enquête a été ouverte à son encontre. Malgré ces actes de violence attestés, que personne dans la police nantaise ne pouvait ignorer, ce tireur frénétique a pu continuer à expérimenter l'arme en toute sérénité.-Comment dès lors, et en l'absence des PV de tir obligatoires qui n'ont pas été fournis à l'instruction, croire la version de Mathieu Léglise selon laquelle il n'aurait tiré qu'une seule fois le 27 novembre 2007 ?
-On peut se demander pourquoi la hiérarchie de Mathieu Léglise a laissé dans ses mains cette arme de guerre de première catégorie qu'est le LBD40 alors qu'il avait déjà occasionné des blessures ?
-Mathieu Léglise dont le précédent au 27 novembre ne laisse aucun doute quant au
comportement violent et à l'utilisation immodérée du LBD a-t-il eu l'occasion de blesser d'autres personnes avec cette arme nouvellement dotée ?
Je veux à ce sujet vous rappeler une pièce versée au dossier que nous n'avions pas évoquée lors de la première audience : la vidéo du mercredi 28 novembre. Le blocus des jeunes lycéens du lycée De la Salle est évacué par les forces de l’ordre et donne lieu à un tir de flashball jaune de type LBD à hauteur de tête et dans le dos des lycéens, attesté par un film vidéo enregistré par des lycéens, par un policier cagoulé. Cette vidéo atteste évidemment qu'il n'y a aucune légitime défense, le groupe de lycéens se replie à la vue des policiers, le tireur cagoulé ajuste son tir à hauteur de tête, on entend une détonation et un commentaire du lycéen qui filme : le policier a fait feu, comme à la chasse. Le 28 novembre 2007, j'étais à l'hôpital, encore groggy par ma blessure.
Nous allons projeter cette vidéo.
Un ami s'est introduit dans la salle avec un projecteur de poche, il projette la vidéo sur le mur du fond de la salle, que je commente. Les magistrats ne peuvent que constater la preuve de la violence policière. Maitre Liénard trépigne.
Qui était ce policier cagoulé qui tire au lendemain des évènements du 27 novembre, sans aucune retenue ?
Soit il ne s'agit pas de Mathieu Léglise, et cela veut dire que l'on a permis à un autre des 3 policiers nantais dotés d'un LBD d'en faire un usage intensif sur des lycéens, soit il s'agit de Mathieu Léglise, et celui-ci a menti au Tribunal en disant qu'il n'avait pas réutilisé son arme après les évènements au rectorat.
Quelle que soit la réponse, dans les deux cas, cela en dit long sur le sentiment d'impunité policière absolue à Nantes, et la menace que représente l'armement de cette police. J'étais hospitalisé dans un état incertain lorsque cette vidéo a été enregistrée.
-Abordons la question de la légitime défense. Dans son délibéré d'avril 2012, le tribunal nantais a créé un nouveau concept : la présomption de culpabilité pour la victime. Pour résumer, sans qu'à aucun moment je n'aie pu me défendre de ces assertions, on m'a accusé d'avoir jeté des cailloux, ou, du moins, le président a estimé qu'un doute était envisageable sur le fait que j'aie pu être un jeteur de pierre. En d'autres termes, j'étais présumé coupable de jet de pierre, sans aucune preuve, il était
donc légitime de me mutiler. Je veux vous rappeler les éléments de l'instruction : les témoignages, les images photographiques et vidéos concordent pour attester d'une absence de « gros pavés » (selon les termes de Mathieu Léglise) ou de « pluie de projectiles » (qui ne sont évoqués que par quelques policiers et par un photographe de Ouest France qui n'a jamais fourni aucune image pour étayer). Pour cause, le sol,
à la sortie du parc du rectorat est en terre battue, des photos d'époque sont disponibles dans le dossier.
Nous vous en projetons une.
Et l'ami projette une photo sans appel prise le soir du 27 novembre, montrant les mensonges de la police : le sol est parfaitement lisse.
Ici encore, personne ne peut nier l'évidence. Liénard trépigne encore. Le président ronchonne : « on va arrêter avec les projections ». Mais nous avions pu montrer ce que nous voulions.
Je reprends.
Non seulement la légitime défense invoquée repose sur un mensonge éhonté (comment parler de « légitime défense » concernant des lycéens ayant pour seules armes quelques banderoles face à une cohorte de policiers casqués et armés ?) mais au delà : la police est elle en droit de mutiler quiconque pour quelques graviers ? Faut-il rappeler que je n'ai pas été le seul blessé par la police ce jour-là : plusieurs blessés au flashball, plusieurs blessés à coup de matraque.
Il ne s'agit pas de faire un tri entre les « bons » blessés par la police et les mauvais blessés. Je suis solidaire de tous les blessés, mutilés ou tués par la police, qu'ils soient manifestants ou non.
-Je veux aborder la question de la soustraction de preuves : pourquoi le Tribunal de Nantes n'a pas plus questionné une institution qui a délibérément caché des éléments à la Justice ?
Effectivement, la manifestation était filmée par deux caméras du côté des forces de l'Ordre : une aux mains des gendarmes mobiles, une aux mains de la police. Les deux ont, selon la version officielle, eu des « défaillances techniques » dans le court laps de temps qui entourait les tirs.
Comment peut-on croire la version policière, qui a également caché les PV de tirs, pourtant obligatoires ? Nous ne sauront jamais combien de balles ont été tirées sur les manifestants le 27 novembre 2007. Qui sont les criminels ? Qui sont ceux qui détruisent ou cachent des preuves pour masquer leurs crimes ?
Maitre Liénard fait un travail formidable, il met lui même en cause les dissimulations de preuves des policiers. Citons ses conclusions -j'ai eu accès à ses conclusions, car, comme le font les avocats, je lui ai envoyé mes propres conclusions. Il a été obligé de m'envoyer les siennes en retour- :
« s'agissant du nombre de tirs effectués, il existe également un doute des plus sérieux »
« les tirs qui apparaissent dans la procédure, au nombre de deux, ne reflètent absolument pas la réalité des tirs effectués par les forces de police ce jour la ».
Maitre Liénard, avocat du policier, reconnaît et assène que la Police a dissimulé des preuves à la Justice. La police est obligée de fournir des Procès Verbaux de ses tirs. A la façon de criminels, après le 27 novembre 2007, les policiers nantais on sciemment caché des preuves et menti sur le nombre de tirs effectués. C'est Maitre Liénard qui le dit lui même !
-Le 27 novembre 2007, j'ai été mutilé, comme trop d'autres, à Montreuil, à Montbéliard, à Toulouse, à Villiers-le-Bel, à Bondy ou à Notre-Dame-des-Lande. Ce ne sont pas des « bavures », des « erreurs » comme on l'a trop souvent entendu. Une bavure est un cas isolé. Une telle répétition de blessures du même type avec les mêmes armes montre que c'est un processus programmé de militarisation de la police.
J'entendais la défense de Mathieu Léglise plaider que son client m'avait mutilé « par erreur » malgré l'extrême précision du LBD (arme de 1ère catégorie dotée d'un viseur électronique), il aurait touché mon visage sans le vouloir alors que j'étais en mouvement. Étant donné le nombre de personnes mutilées à l'oeil par ces armes, il devient difficile de tenir une telle position, un tel mensonge.
Voici le même type de balle qui a été tiré dans mon visage par Matthieu Léglise.
Je ressors la munition.
Le LBD est une arme d'épaule, qui se tient comme un fusil.
Le geste est mimé.
En tirant à hauteur de visage, Mathieu Léglise n'avait aucun risque de manquer sa cible : ici, un manifestant lycéen.
Mais cet argument lancé par Maitre Liénard en première audience, appelle deux remarques : si effectivement flashball et LBD sont si défectueux, si déficients, si dangereux, de l'aveu même des avocats du policier, qu'attend l'Etat français pour les abolir ?
Si l'on admet par contre comme le revendiquent les promoteurs du LBD40, que cette arme est particulièrement précise, puisque munie d'un viseur électronique permettant précisément de savoir à quelle distance se trouve la « cible » et où elle sera touchée, on peut conclure que Mathieu Léglise a tiré avec cette arme dans mon visage, sciemment. Le LBD40 est classé arme de 1ère catégorie, c'est à dire « arme à feu à usage militaire », contrairement à la génération de flashball précédente. Verney Carron, fabriquant de la première génération de flashball dit lui même « «Nous, on n'a jamais voulu faire de 40mm, parce qu'on n'a jamais voulu faire d'armes potentiellement
létales.»*
J'ai donc été l'objet d'une tentative d'homicide avec arme par ce policier.
Ces quelques éléments, non exhaustifs, démontrent que ce policier est un homme dangereux.
Mathieu Léglise en tant qu'individu conscient, doté d'un sens du discernement, a de toute évidence testé sa nouvelle arme puissante et précise en l'ajustant sur mon visage.
S'il est coupable en tant qu' individu, sa chaîne de commandement l'est tout autant, de ses supérieurs directs qui on donné carte blanche à Léglise pour tirer sur cette manifestation de lycéens au Préfet Bernard Hagelsteen qui a ordonné l'emploi d'armes aussi dangereuses et expérimentales contre des manifestants lycéens. Nous comptons bien poursuivre cette hiérarchie dans notre procédure administrative.
Il est admis par tous, même le procureur et le juge de Nantes, que Mathieu Léglise est bien responsable de ma blessure, il a bien fait feu avec son arme en atteignant mon visage : la relaxe ne fut prononcée que parce que Léglise aurait « obéit à un ordre ».
Cet argument, tombé en désuétude depuis une soixantaine d'années a toujours servi à justifier tous les crimes d'Etat depuis des décennies. D'ailleurs, dans ses conclusions, Maitre Liénard cite une jurisprudence de 1866, une jurisprudence du second Empire, l'époque ou l'on faisait tirer l'armée sur les ouvriers.
Vous, le Tribunal de Rennes, avez le choix de le confirmer ou non cette relaxe.
Mathieu Léglise, avec l'aval de sa hiérarchie, a voulu terroriser une manifestation gênante en mutilant un lycéen avec sa nouvelle arme. Cette expérimentation a été concluante: les jours suivants, le mouvement entamé par les lycéens et les étudiants nantais s'est éteint. On interdit le droit de manifester en terrorisant ceux qui luttent à coup de flashaball.
En conclusion :
-L'enjeu de ce procès est de savoir si oui ou non la Justice confirme qu'elle donne carte blanche aux policiers qui mutilent au flashball, et à Mathieu Léglise, tireur récidiviste, en particulier. Ce remier procès d'une mutilation au LBD précède une longue liste d'autres blessés graves : confirmer la relaxe prononcée à Nantes implique d'offrir une nouvelle jurisprudence à l'impunité policière.
L'enjeu est de savoir si la Cour d'Appel de Rennes va confirmer le déni de Justice et l'impunité policière consacrée lors de la première audience à Nantes.
Aujourd'hui, je pense à une femme qui a été blessée à l'oeil par la police, mutilée à coup de flashball, à Bondy en Seine saint Denis. Elle a été touchée mardi. C'était il y a deux jours.
Le président : « Oui oui, à Villemomble ».
Ni oubli, ni pardon.
Solidarité
*Article de Médiapart « Le choix de l'arme », Carine Fouteau, 28 décembre 2009
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S'ensuivent les plaidoiries de mon père, de l'avocat de la Ligue des Droits de l'Homme et enfin de Maitre Liénard, l'avocat de combat des policiers violents. Il est beaucoup moins sûr de lui qu'en première instance alors que l'enjeu est moindre. Assez mauvais, il divague entre sa croisade contre « l'injustice » faite à son client -tireur cagoulé- et ses critiques contre le site copwatch : il est à court d'arguments. Il n'est plus face à un/e avocat/e du même monde que lui avec qui il aurait des échanges polissés et courtois à voix basse : la « complicité du palais ».
Plus intéressant: sa plaidoirie vise également à critiquer l'ensemble des corps de police : la BAC, la hiérarchie policière, le préfet... pour disculper Mathieu Léglise, qui ne serait selon lui qu'un « sous-fifre » (sic) et une « piétaille »(re-sic) incapable de discernement, qui n'aurait fait qu'obéir sans réfléchir.
Le Président met le jugement en délibéré au 11 octobre. Nous sortons du Tribunal la tête haute : j'ai pu me défendre moi-même, mener l'argumentation comme je l'entends, affronter l'adversaire sans intermédiaire, sans avocat qui ne servent qu'à pacifier et dépolitiser ce genre de procès.
Devant le Tribunal, quelques prises de paroles s'enchainent, des fumigènes sont allumés.
Je ne me fais aucune illusion sur le délibéré ni sur l'influence qu'auront nos plaidoiries. Je sais que ce procès en appel a eu peu d'impact médiatique, qu'il y a moins d'enjeu qu'en première instance.
Mais pour une fois, pour une fois (la première depuis 5 ans) nous avons pu dire ce que nous voulions comme nous l'entendions. Tenir un discours cohérent dans l'enceinte judiciaire comme en dehors. Comme des individus libres, révoltés, debout.
A tou-te-s les réprimé-e-s : ne lâchons rien.