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samedi 19 juillet 2014

Quotidien libération : Flashball à Montreuil [13 juillet 2009] : les policiers renvoyés en correctionnelle [17 juillet 2014]

Procès flash-back pour les flics au flash-balls
Cinq ans après des tirs à Montreuil, qui avaient rendu borgne Joachim Gatti, trois policiers sont renvoyés en correctionnelle.

Par PATRICIA TOURANCHEAU

Face à des tirs intempestifs et mutilants de flash-balls, qui en dix ans ont causé la perte d'un œil à plusieurs jeunes gens, la justice commence à réagir, en tout cas en Seine-Saint-Denis. Ainsi, trois policiers de Montreuil ayant éborgné voilà cinq ans Joachim Gatti (petit-fils de l'écrivain et dramaturge Armand Gatti), 34 ans alors, viennent d'être renvoyés devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ». Ils risquent dix ans de prison et 150 000 euros d'amende.
Ces trois gardiens de la paix, qui étaient intervenus le soir du 8 juillet 2009 pour chasser des protestataires contre l'expulsion d'un squat, ont touché six personnes avec leurs tirs de flash  dont cinq à l'épaule, au front, dans la nuque, l'œil et la clavicule. Or, la doctrine d'emploi de ces armes dites non létales interdit de cibler au-dessus de « la ligne d'épaule », le visage ou les parties génitales et impose soi-disant — selon un commissaire — de s'en servir « uniquement en légitime défense ». Ce qui n'a pas été le cas à Montreuil ni ailleurs.

" INAPPROPRIÉ ". Par cette décision rarissime prise le 10 juillet, la juge d'instruction de Bobigny « admet qu'il ne s'agit pas d'un acte isolé, ni d'une bavure, mais d'un cas avéré de violence en réunion » analyse le Collectif du 8 juillet, soutien de Joachim Gatti. Son avocate, Irène Terrel, évoque « un véritable parcours du combattant », dès lors qu'il s'agit de « Policiers », pour obtenir « cinq ans après les faits » que les mis en examen soient jugés : « Si l'on ne s'était pas battu, les choses auraient traîné, peut être même jusqu'à la prescription. » Me Terrel se félicite toutefois de ce procès, même tardif, car « cela va permettre de poser enfin le débat sur l'utilisation du flash-ball par les policiers ». Même la police des polices (IGS) et la Commission nationale de déontologie de la sécurité avaient jugé « inapproprié » l'usage de ces lanceurs de balles en mousse lors de la manifestation de Montreuil. Et le défenseur des droits avait dénoncé en 2013 les « recours irréguliers ou disproportionnés » à ces armes. Lancés en 1995 comme des armes antibavures, après des meurtres par arme à feu commis par des policiers, les flash-balls ont proliféré sous l'ère Sarkozy et ont tendance à être utilisés à tout-va pour disperser le moindre attroupement de jeunes. Et dans les opérations de maintien de l'ordre.

La dangerosité du LBD 40 (lanceur de balles de défense) contre une foule de jeunes gens en mouvement avait déjà été démontrée à Nantes, le 27 novembre 2007, lors de la répression d'une manif lycéenne dévant le rectorat où Pierre Douillard, 17 ans, a perdu un œil. Au bout d'une longue bataille, sa famille et son comité de soutien ont obtenu le procès du policier tireur en 2012. Mais le tribunal correctionnel de Nantes l'a relaxé au motif qu'il n'était qu'un sous-fifre ayant « exécuté un ordre ». Or, sa hiérarchie n'a jamais été inquiétée. La famille met en cause désormais les responsabilités de l'Etat français devant le tribunal administratif.

Cette même démarche intentée par Clément Alexandre, 30 ans, blessé au visage (fracture de la mâchoire, dents fêlées, plaies aux joues, 45 jours d'ITT) par un tir de flash-ball place de la Bastille lors d'échauffourées à la Fête de la musique en juin 2009, a fini par payer.

En décembre, l'Etat a en effet été condamné à lui verser 7 900 euros d'indemnités. A Nantes, encore, le 22 février, lors de la manifestation contre le projet d'aéroport de Notre-Dame-des Landes, Quentin Torselli, 29 ans, Damien Tessier, 29 ans, et Emmanuel Derrien, 24 ans, ont tous trois été éborgnés par des projectiles de ce type d'armes. Ils ont porté plainte pour « violences volontaires avec armes » et réclamé l'ouverture d'une information judiciaire.

« PROBLÈME ». La patronne de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), Marie-France Monéger, ne cache pas que ces « blessures graves, des énucléations, suite à un maintien de l'ordre musclé à Nantes » ont suscité « six saisines » de l'IGPN sur Nantes sans compter quatre autres cas en France en 2013. La commissaire admet « qu'il y a un problème » avec « ces armes de force intermédiaire de type LBD et flash-ball », mais à ses yeux, c'est parce que leur doctrine d'emploi n'est pas appropriée. « La distance imposée est peu importante si le point d'impact » n'est pas une jambe « ou un ventre », mais un visage ou un œil. La commissaire Monéger a assuré à Libération que le service d'équipement commun à la police et à la gendarmerie « cherche une nouvelle balle en mousse qui ne réagisse pas de la même manière au contact, qui ne va pas faire éclater un œil, mais l'appel d'offres a été infructueux ».

Le cahier des charges va être modifié pour relancer un appel d'offres. La patronne de l'IGPN rappelle qu'il s'agit « d'une solution intermédiaire entre le coup de trique et l'arme à feu , le Sig Sauer » : « Avant, il n 'y avait rien. Or, les forces de l'ordre ont besoin, compte tenu des violences urbaines et des agressions au quotidien d'un tel armement intermédiaire. » De leur côté, les groupes de soutien aux victimes de ces armes revendiquent la suppression pure et simple des flash-balls et LBD 40 qui font de gros dégâts et « ont de nouveau banalisé, dans les quartiers et les manifestations, le fait de tirer » selon le Collectif du 8 juillet, « dans une stratégie de maintien. de l'ordre de l'Etat policier ".
Le flash-ball est un lanceur de balles de défense. Il a été conçu à l'origine par Pierre Richert, expert en balistique auprès des tribunaux, pour proposer aux particuliers une alternative aux armes à feu classiques. Il il ensuite été développé, fabriqué et commercialisé par l'entreprise française Verney-Carron. Le flash-bail peut utiliser des projectiles variés, mais le plus courant est une balle unique de caoutchouc souple de 44 mm de diamètre pour une masse de 28 grammes. Le gouvernement français a . décidé dans les années 1990 d'équiper certaines unités de police avec cette arme. «J'ai été atteint par le tir d'un policier alors que je venais d 'obéir à un autre. Réfugié derrière une poubelle, je suis sorti les mains en l'air, l'un des policiers a essayé de me frapper avec une matraque, j'ai reculé, l'autre m'a atteint avec le LBD. » Yann Zoldan, 26 ans, victime de cinq fractures au visage à Toulouse le 21 avril, lors de l'expulsion d'un squat.

Le défenseur des droits a recommandé en mai 2013 aux policiers de «restreindre l'utilisation » des 4697 lanceurs de balles de défense qu'ils possèdent, en raison de leur engagement dans les cités «sensibles», car ils ont tiré 2573 munitions en 2012. Soit environ trente fois plus que les gendarmes, détenteurs de 1600 armes de ce type utilisées pour 90 tirs.


Christian Mouhanna, du Centre de recherches sur le droit et les institutions pénales
« Interdire ces armes pour les manifs »

L'utilisation du flash -ball par les forces de l'ordre doit être prohibée dans certains cas selon Christian Mouhanna, directeur adjoint du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales  (Cesdip).

Le flash-baIl engendre régulièrement des blessures irréversibles. La police doit-elle continuer de l'utiliser ?

Il faut rappeler que la dotation de telles armes dites non létales - flash-ball, taser au sein des services de police s'inscrit dans une tradition de maintien de l'ordre qui vise le « zéro mort ». L'objectif est d'utiliser ces armes à la place des armes à feu, plus dangereuses et dont l'usage est très réglementé. La contrepartie est que les policiers, lorsqu'ils se sentent en danger ou débordés, peuvent avoir tendance à y recourir plus facilement. Mais l'adjectif « non létal » ne doit pas faire oublier que ces armes peuvent être dangereuses, voire très dangereuses. Il n'est pas exclu qu'une infime minorité d'entre eux s'en servent pour « punir » certains récalcitrants, même si un tel emploi semble rare.
Si une utilisation en dernier recours par des policiers isolés qui se sentiraient en danger peut être sujette à débats, l'usage lors de l'encadrement de manifestations apparaît en revanche beaucoup plus discutable.

En effet, les policiers sont en général nombreux, bien équipés, susceptibles de recevoir rapidement des renforts, notamment en région parisienne. Dès lors, il faudrait interdire l'usage de ces armes lors des opérations de maintien de l'ordre, surtout lorsqu'il s'agit de l'encadrement de manifestations et non pas d'émeutes à grande échelle. En outre, le contrôle effectif de la hiérarchie policière sur ces usages doit être renforcé.

Comment encadrer l'usage de cette arme très controversée ?


En théorie, l'usage du flash-ball est déjà très réglementé. Le code de déontologie de la police et de la gendarmerie nationale entré en vigueur le 1er janvier souligne que le policier ou le gendarme « ne fait usage des annes qu'en cas d'absolue nécessité » et « seulement lorsque c'est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace". Sa hiérarchie, les inspections de la police et de la gendarmerie, ou le défenseur des droits peuvent et doivent exercer un contrôle sur ces usages. Mais il est toujours difficile de prouver que le policier a dérogé aux règles d'utilisation sur le terrain, non seulement en ce qui concerne la proportionnalité de la réponse, mais surtout en termes de respect des règles opérationnelles, notamment la distance de sécurité. Depuis les émeutes de 2005, un modèle plus puissant, et donc plus dangereux, a été adopté par les forces de police. D'autres [encore] plus puissants sont en phase d'expérimentation.
Il semble donc nécessaire de réfléchir sur des conditions plus restrictives d'utilisation du flash-ball et, a minima, de conditionner son emploi à des situations où les policiers sont réellement en danger. Interdire son usage lors des manifestations serait indispensable. Et lors d'opérations de maintien de l'ordre, exiger une autorisation d'utilisation par une hiérarchie qui en prendrait alors la responsabilité.

Peut-on employer le mot « bavure » dans le cas de Montreuil ?


Il est extrêmement compliqué de reconstruire des événements a posteriori. D'autant que chaque « camp » a intérêt à défendre des positions opposées, les policiers parce qu'ils font preuve d'une solidarité sans faille à l'égard d'un collègue surtout dans le cadre de confrontations avec des groupes antagonistes — on ne se dénonce pas — , et les opposants parce qu'ils voient dans l'affichage de la bavure un moyen de rendre leur cause plus sympathique.
Mais il est inconcevable de tolérer que des blessures à la tête résultent de l'utilisation de ces armes. Cela apparaît comme une remise en cause de la doctrine du zéro mort et du plus faible nombre de blessés possible qui anime les forces de maintien de l'ordre françaises et qui légitiment leur relative bonne réputation à l'étranger. A cet égard, les émeutes des années 2000 ont constitué un tournant, en amenant ces forces à s'équiper de matériel plus puissant. On observe, depuis, une tendance : l'emploi de ces instruments même lorsque la situation ne le justifie pas.

Recueilli par WILLY LE DEVIN