libellés

mercredi 22 juillet 2009

Editorial du quotidien "Le Monde"

Editorial
Flash-scandale
Article paru dans l'édition du 14.07.09

On a fini par lui donner le nom de sa marque : le Flash-Ball, ou lanceur de balle de défense, est une arme - expérimentée par les forces de police depuis 1995 - dite de pacification. L'usage de balles en caoutchouc peut aider à restaurer l'ordre sans risquer de provoquer de morts. Son but, expliquait Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, au Monde du 30 mai 2002, est d' « impressionner ». Ni plus ni moins.
Mais il arrive trop souvent - beaucoup trop souvent - que le Flash-Ball ne se borne pas à « impressionner ». Mercredi 8 juillet, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), une trentaine de personnes se réunissent pacifiquement pour un dîner festif dans une rue piétonne. L'objet est de protester contre la fermeture d'un squat culturel et l'expulsion de ses occupants. Le squat est vide. La police intervient. Pourquoi ? Il y a tirs de Flash-Ball. Selon des témoins, cinq personnes sont touchées au-dessus de la taille. Joachim Gatti, un jeune réalisateur-cameraman de 34 ans, petit-fils de l'écrivain Armand Gatti, est touché à l'oeil. Selon son père, le documentariste Stéphane Gatti, « il a perdu un oeil du fait de la brutalité policière ». Impressionner ?
L'Inspection générale des services (IGS), la police des polices, a été saisie sur ce qui est plus qu'une bavure - un scandale. Car, depuis quelques années, le Flash-Ball a déjà fait plusieurs victimes, jeunes pour la plupart. A chaque fois, cibles de tirs tendus, à hauteur du visage. Aux Mureaux, en juillet 2005, un adolescent de 14 ans perd un oeil. Il en a été de même en octobre 2006 à Clichy-sous-Bois, pour un jeune de 16 ans. Et de même encore en novembre 2007, à Nantes, lors d'une manifestation étudiante, pour un jeune de 17 ans - l'oeil crevé au Flash-Ball, là aussi. Cette année, des drames de même nature ont frappé un étudiant de 25 ans à Toulouse, en mars, et un jeune à Neuilly-sur-Marne, en mai. Le Flash-Ball ne tue pas : il mutile - à vie. Bilan : six vies brisées, et qui n'auraient jamais dû l'être.
Autorité administrative indépendante, créée en 2000, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a déjà attiré l'attention des pouvoirs publics sur ces drames. Elle a appelé à « plus de discernement dans le choix des moyens d'appui lors de l'évacuation de manifestants mineurs » et dans l'usage des Flash-Ball. Cette arme ne saurait servir d'alibi à des violences policières qui ont tendance à se banaliser. Les pouvoirs publics tardent à en encadrer sérieusement l'emploi. Par indifférence ou pour « impressionner » ?