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dimanche 8 mai 2011

Texte intégral du débat sur le flashball et taser - Sénat 25 janvier 2011

Sénat 25 janvier 2001
Flashball et Taser (Questions cribles)

COMPTE-rendu analytique
[Compte-rendu intégral dans la deuxième partie de l'article]

M. le président. - L'ordre du jour appelle huit questions cribles thématiques sur l'utilisation du Flashball et du Taser par les forces de police. Merci à chacun de respecter son temps de parole.
Mme Anne-Marie Payet. - Face aux violences envers les personnes détentrices de l'autorité publique, certains élus locaux ont souhaité doter leurs polices municipales de moyens de force intermédiaires, Flashball et Taser. Suite aux observations du Conseil d'État, l'armement des polices municipales a fait l'objet du décret du 26 mai 2010. Quelles conditions prévoit-il pour la formation et l'utilisation de ces moyens par les polices municipales ?
M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. - L'équipement des polices municipales par ces armements est à la diligence du maire et conditionné à une convention avec l'État ; il doit être proportionné aux missions accomplies. Une formation préalable est assurée par le CNFPT complétée par une autre session, deux fois par an.
Chaque utilisation doit faire l'objet d'un rapport écrit au maire, lequel présente à son tour un rapport annuel au préfet et au procureur de la République.
Les conditions d'emploi sont les mêmes que pour la police et la gendarmerie nationales. À ce jour, dix-sept communes sont équipées.
Mme Anne-Marie Payet. - Merci pour cette réponse précise.
M. François Fortassin. - L'utilisation du Taser aurait, à l'étranger, provoqué la mort de plusieurs centaines de personnes. En France, il y a déjà eu des morts : cette arme est dangereuse. Elle est parfois utilisée dans des situations qui ne le justifient pas. Elle inflige des souffrances aux personnes que les forces de police cherchent à neutraliser. Le comité contre la torture de l'ONU s'est inquiété de cette forme de torture infligée et des risques mortels qu'elle fait encourir.
Pourquoi ne pas préférer la prudence, en suspendant l'usage de cette arme ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - Quelle alternative proposez-vous, autre que les armes à feu ? Ces armes à létalité réduite ne peuvent être utilisées qu'en situation de légitime défense.
En 2010, 3 400 Flashballs équipaient la police et la gendarmerie ; ils ont été utilisé 1 481 fois, contre 1 600 fois en 2009 ; les 3 006 lanceurs de balles défense n'ont quant à eux fait l'objet que de 491 utilisations ; quant aux 4 051 Taser, ils ont été utilisés à 815 reprises, contre 907 en 2009.
Ces armes, depuis 2006, ont été utilisées à 12 000 reprises, donnant lieu à 22 incidents -soit un taux de 0,290 seulement.
M. François Fortassin. - Quand il y a des morts avec des armes traditionnelles, on parle de « bavure », mais quand c'est à cause du Flashball ou du Taser, ça paraît moins grave ! (Exclamations) Or il y a d'autres moyens d'être dissuasifs !
M. Antoine Lefèvre. - L'emploi des moyens dits intermédiaires est encadré, mais des incidents conduisent nos concitoyens à s'inquiéter.
Quel est le cadre réglementaire de l'usage de ces armes ? Quel contrôle, notamment a posteriori ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - L'usage de ces équipements est encadré par la loi, par la définition de la légitime violence et de l'état de nécessité. Les instructions d'emploi sont mises à jour : en 2009 pour la police, en 2010 pour la gendarmerie.
La traçabilité est totale : une puce enregistre tous les paramètres de tir, une caméra associée au viseur filme l'intervention.
A ce jour, aucun décès n'a été imputé par la justice à l'emploi de ces armes.
M. Antoine Lefèvre. - Merci. Peut-être faudrait-il davantage communiquer sur la réglementation.
M. Charles Gautier. - Les forces de l'ordre doivent avoir les moyens de se protéger et de protéger la population. Cependant, le Flashball et le Taser, quoi que ce soient des armes non létales, peuvent entraîner la mort et le comité de l'ONU contre la torture alerte sur les risques liés à leur usage. Ces armes sont dangereuses. Ce fut une erreur, de la part de l'État, que de considérer qu'elles ne sont pas létales. Entendez-vous la réparer ? Quant aux polices municipales, elles doivent rester des forces de proximité, contribuant à la tranquillité publique, sans confusion possible avec les forces de l'ordre nationales. Si leurs rôles sont mieux distingués, grâce à la signature de conventions, les choses iront mieux. Monsieur le ministre, comptez-vous uniformiser les textes sur l'usage de ces armes de quatrième catégorie ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - Les moyens de forces intermédiaires sont la seule alternative, en matière de légitime défense, à l'usage des armes à feu. Dix-neuf agents ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions en 2010 et 12 870 blessés. Quant aux moyens dont nous parlons, cinq affaires ont donné lieu à enquête judiciaire et administrative dans la même période. Les forces de l'ordre sont très contrôlées : 2 698 policiers ont été sanctionnés, près de 3 000 gendarmes. Nous débattons avec les ONG, notamment Amnesty International, pour prendre en compte leurs remarques.
M. Charles Gautier. - Vous ne me répondez pas sur les polices municipales. La confusion fait courir plus de risques aux policiers municipaux. A force de diminuer les forces nationales, je crains un transfert de compétences, sans recours à la loi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le Taser X-26 et le flashball sont des armes dangereuses, mais chaque fois qu'on s'en inquiète le ministre nous répond que toutes les précautions sont prises, et qu'en France les modèles utilisés sont moins puissants qu'aux Etats-Unis. Or, ces armes ont fait deux morts -à Colombes et à Marseille- et deux blessés graves -à Montreuil.
Monsieur le ministre, entendez-vous interdire l'usage de ces armes lors des manifestations sur la voie publique, ainsi que le recommande la Cnds ?
On ne peut pas savoir si une décharge électrique délivrée par ces armes risque d'être ou non létale. Il n'est pas inscrit sur le front des personnes visées qu'elles souffrent par exemple d'insuffisance cardiaque.
M. Brice Hortefeux, ministre. - A Marseille et à Colombes, la procédure judiciaire est en cours : je ne me prononcerai pas.
Le pistolet électrique ne doit pas être utilisé pour le maintien de l'ordre, sauf légitime défense. Les policiers et gendarmes sont de plus en plus souvent agressés, on cherche à les blesser voire à les tuer. Mon devoir est de les protéger. Des voyous n'hésitent pas à tendre des guets-apens, à utiliser des armes de guerre. Dans 54 % des cas, l'usage du Taser est lié à la volonté de réduire l'agressivité des personnes, et le taux d'arrestation dépasse 97 %.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les policiers eux-mêmes s'interrogent sur l'utilité de ces armes. De plus en plus d'opérations de maintien de l'ordre vont être confiées au privé : allez-vous autoriser les officines privées à se doter de ces armes ?
Mme Catherine Procaccia. - Le flashball et le Taser sont des alternatives aux armes à feu, mais n'en sont pas moins dangereux : c'est pourquoi il faut en encadrer l'usage. Monsieur le ministre, la formation continue est-elle obligatoire ? Comporte-t-elle des mises en situation précises ?
Sur internet, les Taser sont en vente libre pour les personnes majeures, on n'exige qu'un permis de chasse et une pièce d'identité pour le flashball. Je n'ai pas poussé la conscience professionnelle jusqu'à en commander un. Entendez-vous y remédier, sachant que l'usage de ces armes par les particuliers est sûrement plus dangereux que par les forces de l'ordre ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - Pour tous ces équipements, une formation initiale obligatoire est prévue, validée par une habilitation individuelle. Le maintien de celle-ci est conditionné à une formation individuelle annuelle. Le problème d'internet m'a été signalé, mais ces armes ne sont pas en vente libre : il faudra saisir, au cas par cas, le parquet.
Je réponds à M. Gautier : un décret de mai 2010 aligne le dispositif applicable à la police municipale sur celui de la police et de la gendarmerie.
Mme Catherine Procaccia. - Tapez « Taser » ou « Flashball » sur internet : vous serez édifié, monsieur le ministre. Il est très simple de s'en procurer un. Ces armes sont à la portée des particuliers, elles le sont aussi à celle des polices privées...
Voix à droite. - Combien ça coûte ?
Mme Catherine Procaccia. - Quatre cents euros.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Et il y aura des soldes... (Sourires)
Mme Dominique Voynet - L'utilisation des armes de quatrième catégorie nous interpelle. On nous a dit qu'elles évitaient l'usage des armes à feu et épargneraient des vies. Le terme d'armes non létales est abusif : ces armes peuvent tuer, et plus fréquemment blesser et handicaper. Chaque mois apporte la preuve de leur dangerosité. En dix-huit mois, à Montreuil, deux jeunes gens ont été gravement blessés, l'un a perdu un oeil, l'autre a subi trois interventions chirurgicales et gardera des séquelles au visage. Dans les deux cas, les fonctionnaires, qui encadraient une manifestation, ont tiré au jugé, dans le tas, et n'étaient pas en situation de légitime défense. Des deux fonctionnaires en cause, l'un a été mis en examen et l'autre le sera inévitablement. Est-ce ce que nous voulons ?
Le manque de formation des agents -deux demi-journées- est criant. Tout cela expose nos forces à des risques juridiques et moraux disproportionnés. Quand reconnaîtrez-vous enfin la dangerosité de ces armes ? L'alternative pour la surveillance des manifestations, c'est le renforcement des effectifs, la formation, la proximité.
Vous créez une confusion des rôles entre polices nationale et municipale. A Montreuil, c'est elle qui vendredi dernier a dû maîtriser des braqueurs ; la police nationale n'est intervenue que vingt minutes plus tard.
M. Brice Hortefeux, ministre. - Vos propos préjugent les résultats de l'enquête. Je vous invite à plus de prudence -en homme prévenu ! (Sourires) Les policiers mis en cause ne seront pas « inévitablement » mis en examen, comme vous l'insinuez.
Deux jeunes gens ont été blessés à Montreuil les 8 juillet et 14 octobre. J'ai demandé que soit diligentée une enquête. Si elle révélait un usage inapproprié des armes, je prendrai des mesures. On n'a enregistré depuis 2006 que 22 incidents sur 12 000 utilisations : c'est trop, mais c'est peu.
Un moratoire, une interdiction ? Encore une fois, l'alternative est entre ces équipements et les armes à feu. Et mon devoir est de ne pas laisser sans moyens de protection ceux qui assurent la sécurité de nos concitoyens.
Quant aux polices privées, madame Borvo Cohen-Seat, elles n'ont pas le droit d'utiliser des armes de quatrième catégorie.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Ces armes ont tué : c'est la preuve de leur dangerosité. Les procédures doivent aller à leur terme.
Le vrai problème est celui des effectifs : les citoyens en sont les premières victimes, on s'en aperçoit tout particulièrement en banlieue !
Mme Catherine Troendle. - Nos forces sont confrontées à des violences de plus en plus graves. La France a choisi de les doter d'armes non létales de quatrième catégorie, pour assurer leur sécurité et celle de nos concitoyens. Ces armes sont largement moins dangereuses que les armes à feu. Quel bilan tirer de leur emploi ? La traçabilité de leur usage est assurée, avez-vous dit ; existe-t-il un service statistique traitant les données recueillies ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - Notre choix est clair : équiper nos forces de sécurité de lanceurs de balles de défense et de pistolets à impulsion électrique pour éviter l'usage des armes à feu en cas de légitime défense. Nos forces sont confrontées à des situations de plus en plus difficiles. On cherche parfois à blesser, si ce n'est à tuer les fonctionnaires de police et de gendarmerie. À Grenoble, un policier a échappé miraculeusement à la mort : un délinquant l'avait visé à la tête.
L'usage des armes à feu doit être réservé aux situations les plus graves. C'est pourquoi des moyens intermédiaires sont indispensables. Les précautions requises sont prises : les données sont enregistrées et dûment conservées pour analyse.

La séance est suspendue à 17 heures 45.

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5
Questions cribles thématiques
Utilisation du « flashball » et du « taser » par les forces de police

COMPTE-rendu intégral


M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’utilisation du « Flashball » et du « Taser » – ces termes ne sont pas des noms communs, je le précise, mais correspondent à des marques déposées – par les forces de police.
L’auteur de la question et le ministre, pour sa réponse, disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Comme les fois précédentes, ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !), de Frédéric Taddéï.
Je demande instamment à chacun des orateurs de respecter son temps de parole.
La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les violences à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique sont malheureusement fréquentes. Les policiers municipaux, au même titre que les policiers nationaux et les gendarmes, sont devenus des cibles privilégiées pour des délinquants de plus en plus violents.
Dans ce contexte, un certain nombre de maires ont souhaité doter les policiers municipaux de leur commune de moyens de force intermédiaire, notamment de pistolets à impulsion électrique, de manière qu’ils soient mieux protégés.
Si une telle décision est bien compréhensible, certains s’en sont toutefois inquiétés. Les moyens de force intermédiaire, pour utiles qu’ils soient, n’en restent pas moins des armes dont l’usage doit être très encadré et subordonné à une formation spécifique.
Afin de prendre en compte les observations qui avaient été formulées par le Conseil d’État en 2009, l’armement des agents de police municipale a fait l’objet d’un nouveau décret, en date du 26 mai 2010.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser comment les agents de police municipale sont formés à l’utilisation des moyens de force intermédiaire et dans quelles conditions ces derniers sont employés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Madame Payet, l’équipement des polices municipales en pistolets à impulsion électrique et en Flashballs est conforme aux principes généraux de l’armement de la police municipale.
Celui-ci, premièrement, est facultatif en ce sens qu’il est à la diligence du maire.
Deuxièmement, il est conditionné à la conclusion d’une convention de coordination entre le maire et l’État.
Troisièmement, il est fonction de la dangerosité des missions confiées à la police municipale.
L’usage des pistolets à impulsion électrique est évidemment entouré de très fortes garanties.
Tout d’abord, une formation préalable est délivrée par le Centre national de la fonction publique territoriale. S’y ajoute une formation d’entraînement qui a lieu deux fois par an.
Ensuite, un système de contrôle permet à la fois d’assurer la traçabilité de chaque arme et d’en vérifier l’utilisation puisqu’un système d’enregistrement sonore et une caméra sont associés au viseur.
En outre, un rapport doit être remis au maire après chaque utilisation et, chaque année, le maire transmet lui-même un rapport au préfet et au procureur de la République.
Enfin, les conditions d’usage sont identiques à celles qui sont prévues pour la police et la gendarmerie nationales.
Afin d’être le plus complet possible, je précise que, à ce jour, dix-sept communes ont équipé leur police municipale de ces armes.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour la réplique.
Mme Anne-Marie Payet. Je remercie simplement M. le ministre de ses réponses extrêmement précises.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce jour, dans le monde, l’utilisation du Taser par les forces de police des pays qui l’ont autorisée aurait provoqué la mort de centaines de personnes.
En France, plusieurs personnes ont récemment trouvé la mort dans des circonstances faisant apparaître la responsabilité présumée de cette arme, le dernier cas de décès remontant au 30 novembre dernier.
Aujourd’hui encore, les effets du pistolet à impulsion électrique sur la santé ne sont pas réellement connus. Supposé, selon son fabricant, ne causer aucun risque mortel, le Taser se banalise de plus en plus et reste employé dans des situations qui ne nécessitent pas toujours son usage.
En réalité, cette arme, qui inflige des souffrances importantes, est utilisée comme un moyen de neutralisation, de rétorsion ou d’intimidation sur des personnes ne présentant pas forcément un danger immédiat. De nombreuses forces de police aux États-Unis utilisent régulièrement les pistolets électriques comme un moyen de contrainte pour maîtriser des personnes récalcitrantes ou perturbées et qui, pourtant, ne créent aucun trouble sérieux.
Faut-il rappeler que, dans un rapport du 23 novembre 2007 sur le Portugal, le Comité contre la torture de l’ONU a condamné l’usage et l’équipement des forces de police en Tasers ? Le Comité s’inquiétait non seulement de la douleur aiguë engendrée par ces armes, douleur constituant une « forme de torture », mais aussi du fait que l’utilisation du pistolet électrique peut causer la mort. En effet, dans bien des cas, le choc émotionnel consécutif à la douleur causée par ces armes peut entraîner un arrêt cardiaque et donc provoquer la mort.
Compte tenu des questions soulevées par le développement de ces armes à neutralisation et des cas de décès répertoriés par des études fiables, aujourd’hui, nos concitoyens ne comprennent plus que l’on généralise leur emploi sans que le Gouvernement prenne davantage en compte leur dangerosité.
Sans même évoquer les risques de bavure, toujours bien réels, le Taser suscite encore de trop nombreuses interrogations. Dans ces conditions, pourquoi ne pas faire le choix de la prudence – un choix qui, en l’occurrence, peut sauver des vies humaines – en suspendant l’usage de cette arme ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Fortassin, puisque vous aurez la possibilité de vous exprimer à nouveau après moi, permettez-moi de vous interroger à mon tour. J’ai bien compris que vous étiez réservé quant à l’utilisation de telles armes, mais je n’ai pas saisi quelle autre solution vous proposiez. En réalité, le choix est assez simple et se situe finalement entre les armes à létalité réduite et les armes létales. Quelle est, selon vous, l’autre possibilité ?
Je vous rappelle que l’utilisation de ces armes n’est possible qu’en état de légitime défense.
Quel a été l’emploi des moyens de force intermédiaire en 2010 ? Les 3 408 Flashballs qui équipent les unités de police et de gendarmerie les plus exposées ont été utilisés à 1 481 reprises, ce qui est d’ailleurs moins important que l’année précédente, puisqu’on a dénombré 1 600 utilisations en 2009.
Concernant les lanceurs de balles de défense – il s’agit de modèles permettant de tirer à plus longue distance –, 3 166 pièces ont été utilisées à 491 reprises, chiffre cette fois plus élevé qu’en 2009.
S’agissant du pistolet à impulsion électrique, plus connu dans l’opinion publique sous le nom de Taser, il équipe les unités de police et de gendarmerie les plus exposées à hauteur de 4 051 pièces, qui ont été utilisées à 815 reprises en 2010, une donnée là encore moins importante que celle de l’année précédente puisqu’il y a eu 907 utilisations en 2009.
En outre, monsieur le sénateur, et je tiens à le préciser parce qu’un tel chiffre répond très exactement à votre question, ces armes ont été utilisées à 12 000 reprises depuis 2006. Lors de ces 12 000 utilisations, vous avez raison, des accidents sont survenus, y compris des accidents graves, mais leur nombre a été limité à vingt-deux. Ce sont certes vingt-deux cas de trop, je m’empresse de le dire, mais, rapportés au nombre total d’utilisations, ils ne représentent qu’une proportion de 0,2 %.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour la réplique.
M. François Fortassin. Monsieur le ministre, lorsque des décès sont causés par l’utilisation d’armes traditionnelles, on considère que c’est une bavure et cela crée incontestablement une émotion profonde dans l’opinion publique. Lorsque c’est l’usage de Flashball ou de Taser qui est en cause, on a l’impression que c’est moins grave… Or ces armes ont tout de même entraîné la mort de vingt-deux personnes : ce n’est pas rien !
Monsieur le ministre, il existe bien une troisième solution pour dissuader des individus de se montrer par trop agressifs, pour les immobiliser ou les repousser, et on y a recours depuis fort longtemps : les canons à eau. Sachant qu’un gros orage disperse les manifestants, utilisez donc des Canadairs. Ce sera tout de même beaucoup moins dangereux ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France, comme d’ailleurs la plupart de ses partenaires européens, a fait le choix d’équiper ses forces de l’ordre en moyens de force intermédiaire, Flashball ou lanceur de balles de défense de 40 millimètres et pistolets à impulsion électrique.
L’emploi de ces moyens est évidemment encadré et demeure subordonné aux exigences de nécessité et de proportionnalité.
Malheureusement, des affaires récentes mettant en cause notamment le Flashball ont pu légitimement émouvoir nos concitoyens, lesquels s’interrogent sur les règles qui encadrent l’emploi de ces équipements.
Monsieur le ministre, même si vous nous avez déjà apporté certaines informations en répondant à notre collègue Mme Payet, pouvez-vous nous préciser le cadre législatif et réglementaire dans lequel les policiers et les gendarmes doivent inscrire leur action lorsqu’ils utilisent les moyens de force intermédiaire mis à leur disposition ?
Par ailleurs, pouvez-vous détailler les procédures de contrôle mises en œuvre lorsque des problèmes surviennent et indiquer notamment si des contrôles a posteriori sont réalisés sur les conditions d’usage de ces équipements ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Lefèvre, votre question porte en fait sur l’encadrement juridique de l’usage des moyens de force intermédiaire et sur l’évolution d’un tel usage, car il faut évidemment tenir compte des retours d’expérience.
Bien entendu, l’utilisation de telles armes s’inscrit dans un cadre légal, au travers des exigences du code pénal et du code de procédure pénale, notamment en ce qui concerne la définition de la légitime défense et de l’état de nécessité.
Il existe, pour l’emploi de chaque moyen de force intermédiaire, qu’il s’agisse du Flashball ou des pistolets à impulsion électrique, une instruction qui rappelle les dispositions juridiques relatives à ces armes.
Ces instructions, je tiens à le souligner, sont régulièrement mises à jour, pour tenir compte à la fois de l’expérience et de l’évolution des connaissances médicales ainsi que des données techniques et scientifiques. Elles ont d’ailleurs été réactualisées en 2009 pour la police et au cours de l’année 2010 pour la gendarmerie.
Je le rappelle, les policiers et les gendarmes sont tenus de rendre compte de l’utilisation de ces armes.
J’ajoute que l’arme est munie d’une puce qui enregistre tous les paramètres de tir, c’est-à-dire la date, l’heure, la durée de l’impulsion électrique. Surtout, le viseur est désormais doté d’une caméra qui filme l’intervention. Par conséquent, toutes les précautions sont prises pour que la traçabilité de chaque utilisation soit totale, précisément afin d’éviter les litiges.
D’ailleurs, à ce jour, aucun décès n’a été judiciairement imputé à l’utilisation de telles armes en France.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.
Sans doute un effort doit-il être fourni pour communiquer davantage sur la réglementation relative à l’usage de ce type d’armes.
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Monsieur le ministre, il n’est pas question ici de revenir sur le principe d’un certain armement des forces de l’ordre : il importe en effet qu’elles aient les moyens de se protéger et de prévenir les accidents dont pourraient être victimes les personnes présentes sur la voie publique.
Toutefois, avant même les drames récents, plusieurs associations ont dénoncé le Flashball et le Taser comme des armes pouvant entraîner la mort, bien qu’elles soient définies comme non létales, et le Comité de l’Organisation des Nations unies contre la torture a qualifié l’utilisation du Taser de « traitement inhumain et dégradant », équivalant à une « forme de torture ».
Si l’on parle d’armes « à létalité atténuée », celles-ci n’en demeurent pas moins létales et nous devons donc les considérer comme telles.
Le Taser se range aujourd’hui parmi les armes de quatrième catégorie.
Il a par ailleurs été démontré que l’utilisation du Flashball était extrêmement imprécise du fait du risque de déviation des balles, même pour un tireur expérimenté.
Il est donc urgent d’agir pour rétablir la vérité sur ces armes et afin d’éviter au maximum les accidents.
Certes, l’arme idéale n’existe pas, mais l’État n’en a pas moins fait l’erreur de considérer Taser et Flashball comme des armes non létales. Il faut réparer cette erreur, et le faire rapidement. Je souhaiterais, monsieur le ministre, connaître vos intentions sur ce point.
Quant aux polices municipales, elles n’ont pas les mêmes missions que la police nationale : elles doivent rester des polices de proximité et leurs agents demeurer des agents de tranquillité publique. Il est urgent de légiférer sur la question pour que cessent les confusions entre police nationale et polices municipales, qui n’ont pas et ne doivent pas avoir les mêmes prérogatives.
Aujourd'hui, il y a autant de situations que de conventions signées entre l’État et les communes. Avec une meilleure répartition des compétences, et donc la disparition des confusions, les rôles respectifs de la police nationale et des polices municipales seront mieux définis.
Sur les 18 000 policiers municipaux, 8 500 sont armés d’armes de la quatrième à la septième catégorie et il n’y a encore jamais eu d’accident.
Comptez-vous, monsieur le ministre, uniformiser les textes applicables en la matière ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Je pense très sincèrement, je l’ai déjà dit, que le recours aux moyens de force intermédiaire est – en tout cas aujourd’hui, car cela évoluera peut-être – la seule alternative à l’usage de l’arme en feu en situation de légitime défense, ce qui signifie que la suppression de ces armes à létalité réduite que sont le Taser et le Flashball aurait pour conséquence l’utilisation de l’arme à feu.
On ne peut pas ignorer – ce que vous ne faites d’ailleurs absolument pas dans votre question, monsieur Gautier – que 19 policiers et gendarmes sont décédés dans l’exercice de leurs fonctions et que 12 870 policiers, dont 300 officiers et 30 commissaires de police, ont été blessés au cours de l’année 2010. Ces chiffres élevés soulignent, même s’ils sont aussi imputables à des accidents, qu’il s’agit d’un corps confronté à des situations particulières.
En 2010, il y a eu très exactement cinq affaires en France qui ont donné lieu à des enquêtes judiciaires ou administratives. Ces affaires étant en cours, je ne peux évidemment pas présager de leurs conclusions, mais, s’il y a faute, c'est-à-dire non-respect du principe de légitime défense, des sanctions seront naturellement prises. Pour être respectées, de toute évidence, les forces de l’ordre doivent être irréprochables.
À cet égard, j’insiste sur le fait que les forces de sécurité font certainement partie des services administratifs les plus contrôlés dans notre pays, ce qui est d’ailleurs parfaitement normal compte tenu des responsabilités qui sont les leurs. Ainsi, en 2010, 2 698 policiers et un peu plus de 3 000 gendarmes ont été sanctionnés pour non-respect de leurs obligations. C’est assez dire que les membres des forces de l’ordre ne sont pas à l’abri de toute punition.
Vous avez évoqué, monsieur Gautier, plusieurs associations ainsi que les Nations unies, et nous sommes nous-mêmes en discussion avec des ONG – notamment avec la représentante française d’Amnesty international – de manière à pouvoir prendre en compte, éventuellement, un certain nombre de leurs remarques.
S’agissant par ailleurs de vos questions relatives aux polices municipales, je crois y avoir déjà à peu près répondu précédemment.
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, pour la réplique.
M. Charles Gautier. Monsieur le ministre, c’est justement sur les polices municipales que mes préoccupations sont centrées et je note que vous n’êtes pas revenu sur la question clairement posée : envisagez-vous une clarification des missions des polices municipales par rapport à celles de la police nationale ?
La confusion qui est entretenue fait en effet courir des risques aux agents municipaux, car les agents des polices municipales sont souvent pris pour des policiers comme les autres, c'est-à-dire en fait des membres de la police d’État.
Je crains, de surcroît, que votre programme de diminution constante des effectifs de l’État, qui se trouve compensée sur le terrain par des recrutements en nombre à peu près équivalent dans les polices locales, ne conduise à un transfert de compétence de fait alors que tous les transferts de compétences opérés dans notre République l’ont été par la loi.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, j’ai déjà interpellé à plusieurs reprises les ministres de l’intérieur successifs – et, me semble-t-il, notamment vous-même – sur la dangerosité du Taser X26 et du Flashball.
Chaque fois, j’ai obtenu la même réponse, celle que vous nous apportez cet après-midi encore : toutes les garanties existent, d’abord du point de vue de la formation, ensuite du fait que l’utilisation est limitée à certaines circonstances, principalement la légitime défense.
En outre, nous disait-on, s’il y avait eu des morts dues au Taser aux États-Unis, il ne pouvait pas y en avoir en France parce que les impulsions électriques utilisées chez nous étaient moins fortes. Or on compte aujourd’hui deux morts, l’un à Colombes, l’autre à Marseille.
Quant au Flashball, il a fait tout récemment un blessé très grave à Montreuil.
J’avais prévu, monsieur le ministre, de vous demander qui utilisait ces armes, comment et dans quelles circonstances, mais vous avez déjà en partie répondu à ces questions et je vais vous en poser deux autres.
D’abord, n’estimez-vous pas qu’il est indispensable, conformément à ce que préconise la Commission nationale de déontologie de la sécurité dans un rapport, d’empêcher l’utilisation du Flashball dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre lors des manifestations sur la voie publique ?
Ensuite, quelle évaluation faites-vous de la dangerosité de ces armes ?
Peut-être le Taser est-il utilisé de façon moins dangereuse en France qu’aux États-Unis et peut-il être considéré, dans notre pays, comme une arme non létale lorsqu’il est employé à l’encontre de personnes qui se portent parfaitement. Mais cela reste-t-il vrai lorsqu’il est utilisé contre des personnes fragiles, et notamment contre celles qui souffrent d’insuffisance cardiaque, ce qui n’est pas écrit sur leur figure ? Il serait bon de savoir dans quels cas une décharge électrique peut être mortelle.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame Borvo Cohen-Seat, des enquêtes, vous le savez, sont en cours sur les décès qui se sont produits à Marseille et à Colombes et je ne peux donc pas me prononcer sur ce qui s’est réellement produit. Cependant, au terme de la procédure judiciaire, nous tirerons, le cas échéant, les leçons qui devront être tirées.
Vous m’avez interrogé sur l’utilisation de ce type d’armes à l’occasion des manifestations, et vous pensez sans doute à des manifestations comme celles qui se sont déroulées au cours de l’automne. Je vous précise que le pistolet à impulsion électrique ne doit pas être utilisé au cours de ces manifestations, sauf, naturellement, en situation de légitime défense.
Il est cependant indéniable que les policiers et les gendarmes sont de plus en plus souvent confrontés à de graves agressions qui visent à les blesser, voire à les tuer. Or mon devoir de ministre de l’intérieur est de faire en sorte que les forces de sécurité soient protégées : je ne serais pas dans mon rôle si je n’avais la préoccupation constante de garantir la protection de ceux qui ont la responsabilité d’assurer la tranquillité et la sécurité de nos concitoyens. J’observe que les voyous n’hésitent pas à tendre des guets-apens et parfois même à utiliser des armes de guerre.
Hors ces cas extrêmes, les forces de l’ordre sont souvent confrontées à des personnes en état de démence temporaire ; dans 54 % des cas, l’utilisation du pistolet à impulsion électrique est liée à la nécessité de réduire l’agressivité et la résistance de ces personnes, souvent sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants.
En outre, je rappelle que le taux d’interpellation, une donnée qui n’est tout de même pas indifférente, est de 97 % après usage d’un pistolet à impulsion électrique.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour la réplique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, que la police doive être en mesure d’exercer ses missions, personne ne le conteste.
Je constate néanmoins que le syndicat national des policiers municipaux demande un moratoire sur l’utilisation du Taser par les policiers municipaux. Ainsi, au sein même des forces de police, d’aucuns se posent des questions sur l’utilisation de ces armes en l’état actuel de nos connaissances quant à leur dangerosité.
J’observe également que, du fait de l’évolution de notre législation, de plus en plus d’opérations relatives à l’ordre et à la sécurité publique seront déléguées à des services de sécurité privés. Allons-nous, monsieur le ministre, autoriser les polices privées à se doter de ces armes de quatrième catégorie ?
Il s’agit d’un point d’autant plus préoccupant que le fabricant du Taser conduit, vous le savez, une campagne de publicité à peine déguisée, accessible très facilement, pour que tout un chacun se dote de ces armes en principe non létales.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, le Flashball et les pistolets à impulsion électrique constituent une alternative à l’usage des armes à feu par les forces de sécurité, mais ces équipements n’en demeurent pas moins des armes et peuvent être dangereux.
Toutes les mesures doivent être prises pour que leur utilisation se fasse dans le respect des règles de sécurité inhérentes à leur emploi et pour éviter, dans la mesure du possible, que ne se produisent des cas de blessures corporelles graves, comme ceux dont la presse et certains de mes collègues ont pu se faire l’écho. Je sais que vous y êtes attentif.
Monsieur le ministre, je veux vous interroger sur la formation des agents pouvant être équipés de ces moyens de force intermédiaire. Vous avez déjà en partie répondu à la question. Je souhaiterais cependant savoir s’il y a une obligation de formation continue, et non pas seulement une formation avant usage de ces équipements.
Au-delà de la simple maîtrise juridique et technique de l’emploi de ces moyens, des mises en situation sont-elles prévues dans les formations pour montrer aux forces de sécurité comment réagir et dans quels cas utiliser ces armes ?
Enfin, je voudrais en savoir un peu plus sur les ventes sur Internet et par correspondance.
Je suis allée sur la Toile : sur un site, le Taser était quasiment en vente libre pour toute personne majeure ; et pour acquérir un Flashball, étaient simplement exigés un certificat médical ou un permis de chasse et une pièce d’identité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait !
Mme Catherine Procaccia. J’avoue que je n’ai pas poussé la « conscience professionnelle » jusqu’à commander une de ces armes pour l’apporter en séance cet après-midi (Sourires.), mais j’aimerais savoir si le Gouvernement entend encadrer ces ventes sur Internet ou par correspondance.
En effet, j’estime que l’usage de ces armes par les particuliers est beaucoup plus dangereux que leur emploi par les forces de police.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur le président, m’est-il possible de revenir sur une question qui m’a été posée antérieurement ? M. Charles Gautier et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ont en effet soulevé des points qui méritent des éclaircissements.
M. le président. C’est possible, monsieur le ministre, mais à condition que vous répondiez également à la très importante question de Mme Procaccia.
M. Brice Hortefeux, ministre. Je me tourne donc tout d'abord vers Mme Procaccia pour lui indiquer qu’un dispositif de formation initiale obligatoire est prévu pour tous les personnels susceptibles d’utiliser ces équipements, qu’il s’agisse des pistolets à impulsion électrique ou des Flashballs et autres lanceurs de balles de défense.
Cette formation doit être validée par une habilitation qui, naturellement, est individuelle et non pas collective. Celle-ci vérifie la fois le discernement, le sang-froid et la maîtrise des équipements, sur le plan tant technique que juridique, qu’ont acquis les personnels.
Vous m’interrogez sur le volet continu de cette formation. Le maintien de l’habilitation est précisément conditionné par le suivi d’une formation individuelle annuelle. Si cette obligation n’est pas respectée, bien entendu, des mesures sont prises.
Par ailleurs, vous vous souciez de ce qu’il en est s’agissant des ventes sur Internet. Vous avez eu raison d’attirer mon attention sur ce problème, qui m’a déjà été signalé. Je vous précise donc que ces armes ne sont en vente libre nulle part, et donc en aucun cas sur Internet. Si vous avez connaissance de cas précis, je vous remercie de nous les signaler et nous ne manquerons pas d’en saisir le parquet.
Puisque je dispose encore de quelques secondes, je précise à M. Charles Gautier que, en ce qui concerne les polices municipales, un décret adopté en mai 2010 aligne le dispositif de formation à l’usage de ces équipements sur celui qui existe pour la police et la gendarmerie nationales.
Je souhaitais également répondre à Mme Borvo Cohen-Seat, mais ne me souviens plus de la question qu’elle a posée… Bien sûr, j’y répondrai dès que la mémoire me reviendra…
En tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous souhaitez observer par vous-mêmes les formations qui sont dispensées pour l’utilisation des armes de ce type, vous êtes les bienvenus. Nous organiserons avec grand plaisir la visite de ces centres de formation.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le ministre, pour ma part, je vous invite, ainsi que les membres de votre cabinet, à aller sur Internet et à taper « Taser » ou « Flashball » sur un moteur de recherche.
Je vous assure que j’ai failli commander une arme de ce type pour voir jusqu’où je pouvais aller dans cette démarche sans rencontrer d’obstacle, mais je n’ai pas eu envie de communiquer mon numéro de carte de crédit (Sourires.), d’autant que je n’avais pas vraiment l’intention de me servir de cette arme… Tapez « anti-agression » sur un moteur de recherche et vous verrez !
Je ne sais pas si ces armes sont vraies ou fausses, mais il est très facile d’en acheter. Je le répète, ce qui m’a le plus surprise, c’est qu’il y avait aussi peu de conditions à leur acquisition.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat évoquait tout à l'heure les polices privées, c'est-à-dire les entreprises de sécurité. Si les particuliers que nous sommes peuvent acheter de telles armes, je ne vois pas ce qui empêche une police privée d’en faire autant !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait ! Il existe d'ailleurs de très beaux catalogues !
Mme Catherine Procaccia. Je pense qu’il faut encadrer ces ventes sur Internet, comme on le fait pour d’autres produits, et vérifier l’identité des acheteurs.
Enfin, sur ces sites, les textes sont écrits dans un français tout à fait convenable, ce qui permet de penser que ce ne sont même pas des sites étrangers.
Mmes Dominique Voynet, Alima Boumediene-Thiery et M. Charles Gautier. Combien coûtent ces armes ?
Mme Catherine Procaccia. Environ 400 euros.
Mme Dominique Voynet. Il y a des soldes ? (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le ministre, l’utilisation des nouvelles armes de quatrième catégorie – pistolets à impulsion électrique et lanceurs de balles de défense –, autorisées en France depuis quelques années, nous conduit à nous interroger très sérieusement.
Quand ces armes ont été autorisées, on nous a expliqué qu’elles permettraient d’éviter l’usage de certains moyens conventionnels d’intervention des forces de l’ordre, notamment des armes à feu, et donc d’épargner des vies. Elles avaient en commun, disait-on alors, d’être « non létales ». Je pense que cette qualification a rassuré de façon excessive un certain nombre de nos fonctionnaires de police, parce que la réalité est bien sûr plus complexe : si elles peuvent exceptionnellement tuer, ces armes sont, plus fréquemment, susceptibles de blesser et handicaper durablement.
Au-delà d’une formule séduisante, je crois donc que nous devons regarder la réalité en face : chaque mois nous apporte la preuve de la dangerosité de ces équipements. À Montreuil, ville dont je suis maire, en l’espace de dix-huit mois, deux jeunes hommes ont été gravement blessés par des tirs de Flashball émanant des forces de l’ordre. L’un y a perdu un œil, l’autre a déjà subi trois interventions chirurgicales et en gardera des séquelles durables au visage.
Dans aucun de ces deux cas, l’attitude des victimes n’était en cause : en clair, les fonctionnaires de police ne se trouvaient pas en état de légitime défense et ils n’ont pas respecté les consignes d’emploi de ces armes. Dans les deux cas, ils ont tiré au jugé, dans le tas, alors qu’ils étaient chargés de maintenir l’ordre à l’occasion d’une manifestation sur la voie publique et ne se trouvaient nullement dans une situation où ils auraient eu à affronter des délinquants dangereux.
Pour lever toute ambiguïté, j’ajoute que l’utilisation de ces armes met en péril non pas seulement les personnes qui y font face, mais aussi nos propres forces de l’ordre. L’imprécision de ces armes, la gravité des blessures qu’elles causent, le manque évident de formation des agents – vous n’avez pas précisé ce point, monsieur le ministre, mais je crois que l’on offre au maximum deux demi-journées de formation à ces personnels – ainsi que l’extrême difficulté à respecter, dans l’urgence, des conditions très restrictives d’usage exposent ceux qui les manient à des risques juridiques et moraux disproportionnés.
D'ailleurs, des deux policiers qui sont en cause dans les affaires de Montreuil, l’un a été mis en examen et l’autre ne manquera pas de l’être. Est-ce bien ce que nous souhaitons ?
Combien de temps encore accepterons-nous que nos concitoyens soient mis en danger par l’équipement de ceux qui sont censés les protéger ? Combien de blessés, combien de morts faudra-t-il avant que l’on ne reconnaisse l’inadaptation et la dangerosité de ces armes pour la surveillance des manifestations de voie publique ?
L’alternative aux armes à létalité réduite, ce sont les armes à feu, avez-vous dit ; pour ma part, je considère que, s’agissant de la surveillance des manifestations, ce sont des effectifs plus nombreux, bien encadrés et bien formés.
Monsieur le ministre, il vous appartient aujourd’hui d’agir en limitant drastiquement l’usage de ce type d’armes et en mettant l’accent sur le renforcement des effectifs, sur la formation et sur l’inscription des forces de l’ordre dans une logique de proximité.
M. le président. Veuillez conclure.
Mme Dominique Voynet. J'ajoute un mot sur les polices municipales et j’en aurai terminé, monsieur le président.
Monsieur le ministre, vous avez souligné qu’un décret récent alignait la formation des polices municipales sur celle de la police nationale pour ce qui concerne l’utilisation de ces équipements. Je considère qu’il y a là une confusion des rôles et des missions qui ne répond pas du tout à nos souhaits.
Ainsi, vendredi dernier au soir, à Montreuil, c’est la police municipale qui a dû procéder à la neutralisation de trois malfaiteurs qui avaient pris en otage un commerçant…
M. le président. Il faut vraiment conclure, madame Voynet.
Mme Dominique Voynet. … et menaçaient de violer son épouse. La police nationale est arrivée vingt minutes plus tard, monsieur le ministre. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame la sénatrice, tout d'abord, vous avez très largement préjugé des résultats de l’enquête en cours. Je vous le dis avec beaucoup d’humilité : dans notre pays, on est condamné pour bien moins que cela, et c’est un expert qui vous parle. (Sourires.)
En effet, vous avez ici, sinon porté atteinte à la présomption d’innocence, du moins largement préjugé des résultats de l’enquête en cours en affirmant que, inéluctablement, l’un des policiers en cause serait mis en examen.
Mme Dominique Voynet. Non, non !
M. Brice Hortefeux, ministre. Croyez-moi, je vous encourage à être très prudente dans votre expression. Je le répète, c’est un expert en ce domaine qui vous parle ! (Nouveaux sourires.)
Vous avez abordé plusieurs problèmes.
Tout d'abord, vous évoquez ce qui s’est passé à Montreuil le 8 juillet dernier – lors de l’évacuation d’un squat, un jeune homme a été gravement blessé à l’œil par un tir de Flashball – et le 14 octobre dernier – un lycéen de seize ans a été blessé au visage par un tir de lanceur de balles de défense à l'occasion d’une manifestation.
Pour ces deux affaires, j’ai bien sûr demandé immédiatement une enquête de l’inspection générale des services, indépendamment de l’information judiciaire qui est en cours et sur laquelle je me garde bien de me prononcer.
Je vous le dis très directement : si ces enquêtes devaient révéler un usage inadéquat de ces équipements ou des dysfonctionnements, je prendrais bien entendu un certain nombre de mesures. Toutefois, comme je l’ai indiqué à M. Fortassin, de tels incidents sont plutôt rares puisque, de 2006 à 2010, on en a recensé vingt-deux – ce qui est encore trop, bien sûr –, pour quelque 12 000 utilisations de ces armes.
Vous demandez un moratoire, voire une interdiction de l’utilisation de ces armes à létalité réduite.
M. Jean Desessard. Eh oui !
Mme Dominique Voynet. Pour les manifestations de rue !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je comprends votre point de vue, mais, je le répète, quelle est l’alternative à ces équipements ? Les armes à feu ? Là est la difficulté !
Je suis tout à fait attentif aux problèmes posés par ces équipements. Toutefois, si nous interdisons les armes à létalité réduite, nous devrons utiliser celles qui sont à létalité non réduite, c'est-à-dire que nous serons conduits à accepter l’utilisation des armes à feu.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas pour des manifestations ! Nous ne sommes tout de même pas en Tunisie.
M. Brice Hortefeux, ministre. Mon objectif est d’assurer la protection, la tranquillité et la sécurité de nos concitoyens, mais je dois aussi veiller sur ceux qui ont la responsabilité de cette mission, et je ne puis les laisser sans moyens de défense.
M. le président. Monsieur le ministre, il faut conclure, afin que le dernier intervenant puisse poser sa question.
M. Brice Hortefeux, ministre. Enfin, pour répondre à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat – je me souviens à présent de sa question ! –, les sociétés de sécurité privées n’ont pas le droit d’utiliser des armes de quatrième catégorie.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour la réplique.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, je ne suis pas convaincue par vos propos. Que ce soit à Montreuil, à Colombes ou à Marseille, il y a une vérité, qu’il faut savoir dire et assumer : ces armes sont mortelles ; la preuve en est qu’elles ont tué. Il faut donc cesser de mentir et admettre que leur dangerosité est bien réelle !
En outre, il faut que justice soit faite. Nous ne pouvons accepter l’impunité. J’ignore ce qui ressortira des instructions en cours, mais il est clair que celles-ci doivent aller jusqu’au bout. Nous devons connaître la vérité, et il faut que justice soit rendue. Les fautifs doivent être sanctionnés : c’est la condition sine qua non pour que la police soit respectée.
Enfin, vous demandez quelle est l’alternative à ces équipements. Vous le savez très bien, il existe de nombreuses solutions de rechange qui ne sont pas mortelles pour les citoyens, ne serait-ce que l’emploi des canons à eau. Surtout, il faut augmenter les effectifs. Dans toutes les banlieues, sur tous les territoires de France, nous avons besoin d’une police nationale – j’insiste sur cet adjectif – renforcée, voilà la vérité. Aujourd'hui, ce sont les citoyens qui sont les victimes de la réduction des effectifs. (Mme Dominique Voynet et M. Jean Desessard applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le ministre, face aux violences de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves auxquelles les représentants des forces de l’ordre, comme malheureusement l’ensemble des dépositaires de l’autorité publique, sont quotidiennement exposés, la France a choisi, ainsi que l’organisation des Nations unies l’a préconisé, d’équiper ses policiers et ses gendarmes en moyens de force intermédiaire, au premier rang desquels figurent, depuis 1993, le lanceur de balles de défense Flashball et, depuis 2004, le pistolet à impulsion électrique.
La dotation des forces de l’ordre en équipements alternatifs aux armes à feu a répondu à la volonté d’améliorer la sécurité de tous : les policiers, les mis en cause et les tiers. En effet, si l’utilisation de ces équipements, qu’il s’agisse du Flashball ou du pistolet à impulsion électrique, n’est pas sans risques, leur dangerosité apparaît infiniment moindre que celle des armes à feu, tel le pistolet automatique dont les agents sont équipés.
Monsieur le ministre, avec plusieurs années de recul, quel bilan peut-on tirer aujourd’hui de cette décision d’équiper nos forces de l’ordre en moyens de force intermédiaire ?
Vous avez répondu, voilà quelques instants, à mon collègue Antoine Lefèvre que de nombreux dispositifs techniques avaient été mis en œuvre en vue d’assurer une véritable traçabilité de l’utilisation de ces équipements. Existe-t-il un service spécifique qui exploite ces données en vue d’un travail statistique permettant de contribuer à l’élaboration d’un bilan plus détaillé encore ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame Troendle, je l’ai dit, nous avons fait un choix clair, que nous assumons, celui d’équiper nos forces de sécurité de lanceurs de balles de défense et de pistolets à impulsion électrique, précisément pour éviter que la possibilité de réaction de nos forces de sécurité, en état de légitime défense, se résume au seul usage des armes à feu. C’est donc un équipement alternatif qui a été proposé à nos policiers et à nos gendarmes, effectivement confrontés de plus en plus souvent à des situations extrêmement difficiles, où ils sont la cible d’attaques visant à les blesser, voire à les tuer.
Par exemple, à Grenoble, au mois de juillet dernier, un policier qui avait été visé par un délinquant a miraculeusement échappé à la mort parce que la balle lui a frôlé le visage, juste sous le nez, devant la lèvre supérieure.
Je le dis très clairement, l’usage des armes à feu dans nos démocraties doit rester extrêmement rare. Ainsi, dans notre pays, il ne doit intervenir que dans les circonstances les plus graves.
Les armes à létalité réduites sont aujourd'hui des moyens de force intermédiaire indispensables, qui prennent place entre l’usage de la seule force physique et celui des armes à feu.
Je l’ai dit, la traçabilité de l’utilisation de ces armes est assurée grâce à la caméra associée au viseur et à la puce électronique qui enregistre, pour chaque tir, la date, l’heure, le lieu d’utilisation, la durée de l’impulsion s’agissant du pistolet à impulsion électrique ou la distance de projection du lanceur de balles de défense.
Toutes ces données sont recensées et conservées aussi bien à la direction générale de la gendarmerie qu’à la direction générale de la police nationale, afin d’éviter toute polémique.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle, pour la réplique.
Mme Catherine Troendle. Je veux seulement remercier M. le ministre d’avoir répondu à mes deux questions.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques.
Je vous remercie, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’avoir participé à cet échange qui a permis d’éclairer le Sénat.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures dix, sous la présidence de Mme Monique Papon.)