Nantes 6, 7 mars : Procès du policier tireur au flashball
Les 6 et 7 mars 2012, plus de quatre ans après les faits survenus le 27 novembre 2007, s’est enfin tenu le procès du policier responsable du tir au « LBD 40x46 », nouvelle génération de flashball alors en expérimentation. Le procureur de la république avait tout fait pour qu’aucune suite ne soit donnée mais la ténacité de la famille et la volonté de juges d’instruction ont permis cependant d’aboutir à ce procès. La FSU (nationale et locale) a été présente de bout en bout à l’audience, aux côtés du jeune mutilé à l’oeil suite au tir, et de sa famille. La salle du tribunal, trop petite, aura été fortement occupée par les policiers en civil venus nombreux soutenir leur collègue.
Les questions d’intérêt public posées par ce procès se sont heurtées à des stratégies et lignes de défense mouvantes destinées à brouiller les pistes. On aurait ainsi deux tireurs, des cibles subitement remises en cause puisque le tireur affirme ne jamais avoir visé le jeune lycéen, mineur au moment des faits. La défense ira même jusqu’à insinuer que la mutilation définitive à l’oeil peut avoir été causée par un « bon coup de poing », sinon un autre choc. Pourtant le rapport de l’IGPN du 14 avril 2008 est formel : «L’endroit de la blessure, le signalement de Monsieur L., seul fonctionnaire en uniforme et casqué portant une cagoule, et son positionnement confortent son lien avec la blessure de Pierre D. ». En quatre ans d’instruction, la police n’a pas contesté les faits reprochés. Désormais la défense nie tout. Le jugement, mis en délibéré, sera rendu le 3 avril prochain. Le procureur, sans surprise, a demandé la relaxe pure et simple du policier.
S’il était relaxé, le procès s’arrêterait là. On ne pourrait pas interroger la chaîne de responsabilités qui part du recteur de l’époque sollicitant l’intervention des forces de l’ordre sans même évaluer qu’il était face à une manifestation de jeunes inexpérimentés protestant contre la loi LRU. On évitera aussi et surtout de questionner la responsabilité directe de la préfecture, du directeur départemental de la police, devenu depuis conseiller du ministre de l’intérieur. Car au-delà du policier tireur, il y a la chaîne de commandement : le recours aux forces dites de l’ordre, leur déploiement, leurs modalités d’interventions, relèvent de décisions prises par les représentants directs de l’Etat. En plaidant la relaxe, le procureur sait qu’il protège le pouvoir en place. Il veut aussi éviter toute remise en cause de la militarisation de la police tant dans son armement que dans ses fonctionnements.
La FSU demeurera vigilante et, avec la LDH, l’intersyndicale étudiants/salariés, la FCPE et le comité de soutien elle continuera à agir pour ne rien lâcher afin que justice soit faite. Nous attendrons le verdict du 3 avril 2012 et nous continuerons notre action commune en fonction de ce qu’il sera.
ANNEXE
Suite au procès, un rassemblement de 300 personnes s’est tenu permettant au comité de soutien, à Pierre et sa famille de témoigner des attitudes et profondes déceptions de la position défendue par le procureur de la république, des craintes et écoeurements ressentis où, subitement, il y aurait bien des tireurs, mais plus aucun coupable, seulement une victime mutilée.
La FCPE, la LDH, la FSU ont pris la parole pour affirmer que rien ne s’arrêterait car ce procès se devait d’aller au bout d’un processus établissant tous les faits et rendant justice à la victime.
Intervention de Brigitte Cerf (FSU nationale) :
En tout premier lieu la FSU se félicite de la tenue de ce procès. Sans la ténacité de la famille et du mouvement de solidarité associatif et syndical, jamais celui-ci ne se serait tenu. Il est l'aboutissement d'un mouvement de prise de conscience pour que la police de notre pays ne soit pas au-dessus des lois. L'armement des policiers pose question, autant que l'utilisation de ce type d'armement.
En 1995, M. Guéant, alors directeur général de la police expliquait que «l'utilisation du flashball peut se révéler efficace dans certains cas (menaces par armes blanches, rixe sur la voie publique, pare-chocage de véhicules administratifs, franchissement de barrage routier». En réservant le flashball, à des unités spécialisées, certaines brigades anti-criminalité, les brigades antigang et surtout, en délimitant, son cadre juridique M. Guéant poursuivait pour justifier qu'il fallait, je cite : «N'utiliser le flashball que dans le cadre strict de la légitime défense. En effet, les essais effectués ont démontré que cette arme ne pouvait être qualifiée de non létale, en raison des lésions graves qu'elle est susceptible d'occasionner, en certaines circonstances»
Le cadre a progressivement été étendu à l'ensemble des unités intervenant dans les quartiers difficiles, ce qui laisse libre court à toutes les interventions sans limitation de cadre juridique dans cette période de tout répressif.
Ces dérives sont inquiétantes à plus d'un titre.
Non seulement elles s'écartent du rôle attendu des forces de l'ordre d'assurer la sécurité des citoyens (y compris de ceux qui use de leur droit à manifester), non seulement elle s'écarte doucement du cadre de la loi, mais encore, ce n'est pas, dans le cadre d'une politique de plus en plus répressive, de plus en plus sécuritaire que sera trouvée une solution pour répondre aux besoins d’une société mise en souffrance sociale
En France, manifester est un droit !!!
La FSU rappelle son exigence d'en respecter la lettre et l'esprit.
Chacun doit pouvoir manifester sans craindre d'être menacé, sanctionné ou blessé.
Nous ne nous expliquons toujours pas, et nous espérons que ce procès apportera quelques réponses, comment un fonctionnaire de police à pu arriver à sortir une arme, ayant la réputation de blesser de mutiler en commettant de graves lésions surtout lorsqu'elle est utilisée au niveau du visage ? Comment a-t-il pu faire usage de cette arme à l'encontre de lycéens jeunes mineurs en manifestation pacifique comme il en est organisé régulièrement devant les rectorats ?
Depuis 2007, de nombreux cas de blessures dues à un flashball ont été recensés. Même le défenseur des droits s'est saisi du dossier car il estime que l'utilisation de cette arme à l'encontre de lycéens est un usage disproportionné. La tragique agression de Pierre est, hélas, une situation non-isolée.
Les militants syndicaux sont particulièrement exposés et sensibilisés aux questions d'ordre public, aux libertés et conditions d'organisation des manifestations et rassemblements. Plusieurs d'entre eux ont été victimes de violences et d'actes de répression disproportionnés. C'est pourquoi, plus de 4 ans après les faits, la FSU espère que ce procès :
• Fera tout d'abord la lumière sur ce qui s’est passé en 2007
• Mettra ensuite en lumière, l'usage abusif et disproportionné des flashball ou toutes armes potentiellement dangereuses, comme cela a encore été le cas à Saint-Nazaire en 2009 entraînant des mutilations au pied après un grenadage de tirs de gaz lacrymogène.
Intervention de Didier Hude (secrétaire FSU Loire-Atlantique)
Dans une société idéale on pourrait vivre sans police, voire sans justice. Mais nous ne sommes pas dans une société idéale, loin s’en faut, et notre police, comme notre justice, n’ont rien d’idéal. On devrait pouvoir penser que la police, comme la justice, ne sont pas des instruments au service des pouvoirs en place mais des institutions garantissant les droits de tout citoyen à pouvoir s’exprimer et manifester. La police est au service du peuple dans un régime républicain. Elle est au service de l’intérêt général, pas au service des notables du moment et de leurs intérêts particuliers.
Ce matin, dans le palais de justice, on a pu encore assister à des comportements désagréables, inquiétants, où des fonctionnaires de police ont eu droit à des faveurs pour écouter le procès en dehors de la salle alors que d’autres citoyens, parce qu’ils n’étaient pas porteurs de cartes de police, se devaient, eux, de rester en dehors de toute possibilité d’écouter. D’autres petites mesures de vexation, toutes dirigées, contre les personnes venues soutenir Pierre, ont aussi pu être vérifiées. Rien de grave en soi, mais du suffisant pour témoigner d’attitudes vexatoires, de petits actes discrétionnaires que des détenteurs de parcelles de force publique devraient soigneusement éviter. Car ces petits quotidiens sont révélateurs des freins qu’on ne met pas sur des policiers sachant qu’ils ne seront pas désavoués. Empêcher certains citoyens d’avoir accès aux informations, les interdire à d’autres, n’est pas un acte si anodin que ça. Le zèle mis par des forces de l’ordre témoigne non pas d’un amour du travail bien fait mais d’attitudes hostiles à des citoyens contestant l’ordre établi. Dès lors nous ne sommes plus face à une police républicaine mais à des gardiens de valeurs opposables aux peuples dès lors qu’ils entrent en contestation. Le premier souci de la police de la république devrait être de protéger les manifestants, en premier lieu de ses propres dérapages.
Le policier jugé aujourd’hui, pour lequel le procureur demande la relaxe, n’est qu’un lampiste. Nous l’avons vu tirer et viser Pierre. Il y avait deux tireurs armés l’un à genoux, l’autre debout. Pour la FSU la relaxe, si elle était suivie, n’aurait d’autre but que de dédouaner le lampiste pour surtout éviter d’aller chercher les vraies responsabilités, du côté de la préfecture. Le directeur de la police de l’époque est devenu depuis conseiller du ministre de l’intérieur. Il serait ainsi encore mieux protégé. D’autres responsables, les mêmes qui se sont acharnés à charger Sami à l’inspection académique, seraient aussi en toute tranquillité. Sans ces commanditaires, ces officiers qui devraient en premier lieu faire preuve de pondération et donner l’exemple, on n’aurait pas ces dérapages de bouts de chaînes.
Certes, il y a des métiers où on sait bien que des idéologies de l’ordre ont des terreaux plus fertiles que dans d’autres mais il nous faut faire un travail sérieux de refondation. Parce que nous n’avons pas une société idéale, parce que nous n’avons pas une police idéale, parce que notre justice est malmenée et que nous ne pouvons plus avoir confiance dans les circuits de fonctionnements voulus par le pouvoir en place, il nous faut réformer la police, reconstruire la justice. Notre combat ne s’arrêtera pas à ce procès.