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mercredi 22 juillet 2009

Des fonctionnaires de police s'expriment (LeMonde.fr)

"Comment être un bon flic dans ce climat de haine ?"
LEMONDE.FR : Article publié le 17.07.09

Entre besoin de "faire du chiffre", mauvaise image dans les médias et rapports de plus en plus conflictuels avec une partie de la population, les fonctionnaires de police expriment leur malaise. Le Monde.fr avait fait état en avril d'un rapport d'Amnesty International à propos de la mauvaise image de la police dans certains quartiers. Après la récente polémique sur l'utilisation des Flash-Ball par la police à Montreuil, nous avons décidé de donner la parole, dans un appel à témoignages, aux fonctionnaires de police pour connaître leur sentiment sur leur travail, sur son évolution et sur la manière dont ils perçoivent leurs rapports avec la population mais aussi sur leur fierté à exercer ce métier. Nous vous en livrons ici une sélection, anonyme par respect de leur devoir de réserve.

Si c'était à refaire, je ferais le même choix par A.
Je suis "flic" depuis longtemps maintenant... trop de temps ? Parfois, je me dis qu'il faudrait raccrocher. Mais comment expliquer que ce si beau métier, censé aider les gens et arrêter les "bandits" soit tant décrié aujourd'hui ? Je peux même pas dire "viens vivre ma vie de flic à quelqu'un" car cela est devenu trop dangereux : on a face à nous des gamins ou des inconscients qui jouent avec le feu. Parfois ça marche, c'est un "keuf" qui se brûle et c'est le silence radio. Parfois ça ne marche pas, et alors c'est une bavure, mot très à la mode dans toutes les bouches et chez tous les bien-pensants et hommes politiques. Pourtant, quand ils sortent dans les quartiers, ce n'est qu'à grand renfort de CRS.
Alors oui il y a dégradations des liens, mais pas seulement avec les jeunes : avec tout le monde, la population, la hiérarchie comptable de nos affaires. Et pourtant si c'était à refaire, je ferais le même choix, car un seul regard d'une personne aidée quand elle est vraiment dans la merde efface tout le reste. Je suis flic parce que j'aime ça ; pas parce que je méprise les gens et me crois au-dessus des lois.

Un décalage de plus en plus important par L.
J'ai l'impression d'un décalage de plus en plus important entre les attentes de la population et nos possibilités : les habitants se plaignent des "jeunes" qui font des rodéos en moto-cross pendant l'été, qui jettent des pétards dans la première quinzaine de juillet.
Des lois ou décrets ont été pris réprimant la mise en circulation de véhicules non homologués, la vente d'artifices à certaines périodes a été interdite. Mais un car de police ne pourra jamais poursuivre une moto-cross dans Paris. Surtout quand son conducteur est prêt à rouler à contre-sens ou sur les trottoirs. Aucun flic de ma connaissance n'a envie d'être à l'origine d'un second Villiers-le-Bel.
Quand une moto de ce type est abandonnée par son conducteur, elle est réclamée dans les 48 heures par un propriétaire qui indique qu'on lui a empruntée à son insu. Il repart, et ça recommence le lendemain...
Les gens se plaignent de jets de pétards ou fusées de feux d 'artifice. Mais ce n'est pas pour autant que les artifices dont certains sont porteurs peuvent être confisqués. Vous voyez les flics poursuivre et verbaliser des gosses de 10-12 ans pour jet de pétards, les parents se retrouvant convoqués au tribunal ? Sans compter que les gosses n'ayant pas de papiers devraient être ramenés au commissariat pour remise aux parents... tout ça est totalement ingérable !

La délinquance est de plus en plus violente par A.
Je suis flic en banlieue parisienne depuis 2002. Je travail où je suis né, où j'ai côtoyé et connu mes amis. A l'époque tout n'était pas rose, mais le respect et la "crainte du gendarme" étaient forts. Depuis plusieurs années, la délinquance est de plus en plus violente. La faute au système et aux parents qui pondent des gosses sans s'en occuper en les laissant libres d'aller et venir, sans trop se soucier de ce qui se passe. Mon droit de réserve m'oblige à ne pas citer de cas précis, mais il est assez facile pour quiconque de venir en banlieue et de regarder autour de soi.
Parlons également de cette justice, qui mis à part faire de la sécurité routière, oublie sa fonction première et mise sur le rapport argent que lui rapportera tous ces méchants pères de famille radarisés à 110 au lieu de 90.
Pendant ce temps-là, les mineurs ne sont pas inquiétés, agressions multiples, vols de véhicules, voire bien plus. Et à chaque fois la même rengaine : ils sont remis en liberté car l'Etat ne sait que faire de toute cette délinquance. Croyez-vous qu'il est simple pour un policier d'interpeller 3 à 4 fois par mois pour ne pas dire plus, le même groupe de jeunes qui vient de commettre un délit, et de les revoir le lendemain libres comme l'air en nous disant qu'ils vont recommencer ?
Dormez bien, tant que vous le pouvez, car la police veille et prend des risques pour vous, mais pour combien de temps encore ?

Mettre en cause la police, recette connue par J.
Il est clair que la dégradation des relations police-population est nette. Je n'affirme pas que les policiers sont tous exemplaires. Néanmoins les sanctions tombent en cas de manquement contrairement à ce qu'on entend ici ou là. Il faut réaliser que parfois les "bavures" le deviennent uniquement parce que le mot est répété dans tous les médias concernant un incident, alors que le travail des policiers n'est pas remis en cause au final. Cela imprime chez nos concitoyens l'idée que les bavures sont fréquentes alors qu'elles sont heureusement rares. Le buzz crée par les nombreux nouveaux médias contribue fortement à cette image négative de la police. A force de vouloir susciter l'émotion du lecteur pour attirer l'audience, la surenchère est de mise. Tout ce qui concerne la police attire le lecteur.
Mettre en cause la police pour se dédouaner d'une infraction commise, la recette est connue. Peu importe si le policier a été correct ou non, le délinquant se victimise et est présenté comme un ange plein d'avenir en occultant son "palmarès".
J'ai longtemps été contre le principe de la vidéo car je ne voyais pas pourquoi en faisant mon travail au mieux je devrais justifier ensuite de mon action, aujourd'hui je me dis que cela peut démontrer que les accusations d'un voyou sont mensongères, et que la presse aura aussi eu tort.

J'étais fier d'entrer dans la gendarmerie par S.
Je suis gendarme depuis 15 ans. Je constate une aggravation régulière des relations avec la population des quartiers sensibles. Nous sommes littéralement haïs, nous entendons des horreurs, sur nous ou sur la France, à longueur de temps. Et nous sommes menacés physiquement.
J'étais fier d'entrer dans la gendarmerie. Mais aujourd'hui, on dirait que les gens confondent bien et mal. Nous sommes la cible de provocations, d'attaques : il semble être de bon ton de "se faire du flic". Je n'ai jamais compris qu'on puisse autant s'acharner sur des gens qui bossent durement, nuit et jour, pour le bien public, pour défendre ce que nous aimons tous, au lieu de s'indigner contre ceux qui menacent la démocratie, la liberté, la sécurité. Cela me fait beaucoup souffrir.
On ne peut pas dire que nous l'avons mérité : nous passons notre temps à prendre des pincettes, à nous excuser, à renoncer à bosser pour ne pas "provoquer", à ravaler notre fierté, à nous retirer, humiliés, d'un quartier "difficile". Nous vivons dans la terreur de la bavure. Nous démissionnons tous les jours devant une espèce d'opinion publique bien pensante, souvent insensée. C'est totalement anormal, et c'est au profit de la délinquance.
Je crois dur comme fer à mon boulot. J'aime profondément les gens, parfois malgré eux. J'aime améliorer la société. Je ne compte ni ma peine, ni mon temps, ni le risque. Je n'attends aucun remerciement, j'admets même que personne ne s'en rende compte. Mais c'est vraiment de plus en plus difficile.

Tout va bien madame la marquise par C.
Comme nous sommes soumis au devoir de réserve, nous ne pouvons rien dire, à part "tout va bien madame la marquise". Le ministre de l'intérieur est content, donc nous devons être contents, c'est tout. Des collègues blessés, il y en a tous les jours, mais comme cela n'intéresse pas la presse, cela n'existe pas. Nous avons des syndicats de police qui sont dirigés par des personnes soumises aux politiques dans l'espoir de postes intéressants. On nous annonce tous les jours de nouvelles missions (j'ai entendu aujourd'hui qu'il est dans les tuyaux de nous demander de surveiller les matches de foot amateurs suite aux violences sur les terrains) mais on supprime 10 000 postes de policiers sur la France.
On nous demande de faire des patrouilles dans des véhicules ayant plus de 200 000 km au compteur et qui ne passeraient pas au contrôle technique. On nous parle des locaux de garde-à-vue insalubres mais personne ne regarde les conditions dans lesquelles nous, nous travaillons : vestiaires de taille indigne, sans aération avec de la moisissure, des fuites d'eau où nous nous changeons à 30 dans 6 m2, des W.C. hors d'usage depuis des mois, des douches jamais lavées, etc. Mais tout va bien madame la marquise.

On nous caricature par J.
On regarde souvent la télé dans ma famille, au repas. Et je vois comment nous sommes traités : moins-que-rien, idiots, buveurs, batailleurs. La télé nous montre comme un troupeau de bœufs prêts à charger. Pourtant, on oublie notre fonction principale : maintenir l'ordre. Je ne suis pas bête, je sais pourquoi je fais ce travail. J'imagine que les jeunes de banlieue ressentent aussi cette impression de caricature. Tous ne sont pas des voleurs, ni des dealers. Il y en a des bien.
Entre les gens qui nous soutiennent et ceux qui nous détestent, on ne sait où se placer. Je me sens écrasé entre ma citoyenneté et mon travail. C'est pas facile à vivre. Comment être un bon flic, dans ce climat de violence intérieure, de haine rentrée ? Ce que je veux, moi, c'est que les gens vivent en paix, et je conçois mon travail comme un règlement de ces rapports. Nous sommes nécessaires, et tous ceux qui ne veulent pas de nous sont des anarchistes. Je ne dis pas que Sarkozy fait du bon boulot (j'ai personnellement voté Besancenot), mais il faut être sincère avec soi-même : si nous n'étions pas là, la France, ce serait vraiment le désordre. Qui peut vouloir le désordre pour son pays ? Certainement pas moi.

Dans le 93 sans expérience par O.
Cela fait 4 ans que j'exerce dans les quartiers. Après un an de formation sur le terrain, je suis affecté depuis trois ans dans 93. Avec aucune technique d'approche apprise durant ma formation, on me met dans une zone sensible avec des jeunes policiers sans expérience et un commissaire de police qui change tous les ans. Le travail de terrain est impossible et nos missions consistent essentiellement à faire de la répression.
Nous avions entamé un travail de prévention au sein d'une association de soutien scolaire pour un travail avec les éducateurs, les jeunes et leurs enfants, alors que cette action commençait à porter ses fruits (les jeunes nous disaient bonjour dans la rue par exemple), nous avons dû cesser du jour au lendemain car l'association a fermé faute de subventions. Educateurs licenciés, les jeunes à la rue et nous aussi en tant que policiers : plus de relais associatifs ou sociaux avec qui poursuivre ce travail de prévention.
De plus, le nouveau commissaire ne désire plus qu'une chose : faire du chiffre sur les petites infractions et surtout ne pas perturber les gros trafiquants. Il paraît que d'autres services se chargent de cela. Pendant de temps-là, la vente de drogue continue sous nos yeux en toute impunité, les plus jeunes sont embrigadés par les plus grands, et nous nous retrouvons impuissants.