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mercredi 22 juillet 2009

Un usage adéquat du flashball ? (LeMonde.fr)

Les policiers font-ils un usage adéquat du Flash-Ball ?
LEMONDE.FR : Article publié le 16.07.09

L'utilisation du Taser par la police a souvent été mise en cause ces dernières années. Après les incidents survenus récemment à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), celle du Flash-Ball suscite également la polémique. Joachim Gatti, réalisateur de 34 ans, a perdu un œil avoir été frappé par un tir de Flash-Ball à Montreuil alors qu'il participait, mercredi 8 juillet, à un rassemblement de soutien à des expulsés d'un squat. C'est la cinquième personne à être blessée au visage depuis le mois de mars.
Dans une lettre ouverte publiée sur Internet, le père de Joachim Gatti, le documentariste Stéphane Gatti, dénonce une "brutalité policière" : "Il n’y a pas eu d’affrontement. Cinq personnes ont été touchées par ces tirs de Flash-Ball, tous au-dessus de la taille." Une version contestée par le syndicat de police Alliance, dont le secrétaire, Denis Jacob, affirme avoir pu lire les dépositions des policiers présents sur les lieux. Il explique que "lorsque Joachim Gatti a malheureusement été blessé, les fonctionnaires de police interpellaient un individu et ont dû utiliser leur Flash-Ball pour éviter un affrontement direct avec un groupe de personnes menaçantes qui leur jetaient des projectiles".
Une enquête de l'Inspection générale des services doit déterminer les circonstances exactes de l'accident et répondre notamment aux interrogations concernant les conditions d'utilisation de l'arme. En mai, après un incident à Villiers-le-Bel (Val-d'Oise), Eric Le Douaron, responsable de la Direction centrale de la sécurité publique, jugeait déjà nécessaire de rappeler les conditions d'utilisation de l'arme : "Légitime défense de soi-même ou d’autrui" et "respect de la distance minimale de tir de 7 mètres afin d’éviter toute lésion corporelle". Surtout, il rappelait que "les visées au niveau du visage et de la tête sont formellement proscrites".

UN MANQUE DE FORMATION DES POLICIERS

Les "lanceurs de balles de défense" (LBD) sont des armes non létales ou incapacitantes. Selon le site Internet du fabricant du Flash-Ball, elles provoquent "l'équivalent d'un K.-O. technique". Correctement utilisées, elles sont conçues pour que la "cible" ne soit ni tuée, ni blessée grièvement. Cependant, la multiplication des "incidents" met au jour la dangerosité d'une arme destinée d'abord à "impressionner", selon les termes du ministre de l'intérieur qui a généralisé son utilisation en 2002, Nicolas Sarkozy.
D'après Denis Jacob, d'Alliance, les policiers ne peuvent faire usage du Flash-Ball que dans trois cas bien définis : la légitime défense, l'état de nécessité ou encore pour disperser un attroupement. "Lors des interventions, la pratique s'éloigne souvent de la théorie", constate cependant Christophe Saint-Martin, responsable de la commission arme d'Amnesty International. "Les conditions de travail des policiers peuvent être très dures et le dérapage peut arriver très vite", ajoute-t-il. Pour lui, la réaction des policiers n'est pas toujours proportionnée à la situation, et le manque de formation peut en partie expliquer les accidents : "Soumis à un stress important, les policiers oublient parfois les consignes et tirent de trop près sans prendre soin de viser les jambes. On constate un vrai manque de formation, de mises en situation, et beaucoup de policiers s'en plaignent eux-mêmes."
Pour le syndicat de police Alliance, le cas de Joachim Gatti ne doit pas conduire à remettre en question l'aptitude des fonctionnaires de police. Il conteste l'analyse de l'ONG. "Une semaine ou un mois de formation, le risque zéro n'existe pas, insiste Denis Jacob. C'est regrettable, mais on ne compte que 8 blessés pour les millions d'interventions que la police fait chaque année."

UNE NOUVELLE ARME PLUS PUISSANTE

Cette polémique intervient alors même qu'un nouveau modèle de Flash-Ball, plus puissant, devrait bientôt être ajouté à l'arsenal des forces de l'ordre. En expérimentation depuis bientôt deux ans, le LBD 40 est une arme plus précise, à la portée plus importante.
Dans un avis d'octobre 2008, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) met en cause les conditions d'utilisation du LBD 40. Saisie après qu'un lycéen de 17 ans a été victime d'un tir à la tête qui lui fera perdre l'usage d'un œil lors d'une manifestation en 2007, la CNDS considère que le policier manquait d'une "expérience avérée". Elle observe que "le stage de formation théorique et pratique suivi par le policier en juin 2007 n’a duré qu’une demi-journée". Mal préparé, il n'était pas entraîné à tirer sur des cibles mouvantes et il a fait feu de trop près, selon la CNDS : entre dix et quinze mètres, pour une arme conçue pour une utilisation optimale de 25 mètres.
La CNDS n'avait pas manqué de remarquer la dangerosité de cette nouvelle arme, en particulier à courte portée : "Si ce dernier [le Flash-Ball classique] permet de riposter instantanément à une agression, le LBD est une arme de neutralisation, susceptible d’atteindre, avec une excellente précision et une meilleure conservation de l’énergie cinétique, des cibles éloignées de 25 à 30 mètres." Il suppose donc "un tir plus réfléchi" et "exige une expérience avérée", poursuit la Commission. Une conclusion qui l'amène finalement à s'interroger sur "la compatibilité de l’usage d’une telle arme dans le cadre d’une manifestation qui implique une proximité des manifestants et de la police, et leur grande mobilité".
A Amnesty International, Christophe Saint-Martin partage cette analyse. Il considère que la police est en situation de sur-armement. "Taser, Flash-Ball : deux nouvelles armes se sont ajoutées à l'arsenal policier, mais elles ne font qu'augmenter le niveau de violence aux dépens d'un retour au dialogue", regrette-t-il.

Mael Inizan