Flashball : à Nantes, la police éborgne, la justice relaxe
03 avril 2012 | Par Carine Fouteau
Cagoulé, protégé par sa tenue de service, le policier muni d’un LBD 40x46, sorte de flashball nouvelle génération, a visé un manifestant et tiré. Il l’a blessé au point de lui faire perdre à tout jamais la vue d’un œil. Au moment des faits, le 27 novembre 2007, lors d'une mobilisation contre la loi sur les universités, la victime était mineure. Des grilles métalliques la séparaient du tireur.
Après deux jours d’audience début mars, le tribunal correctionnel de Nantes a prononcé, mardi 3 avril 2012, la relaxe du policier mis en cause, Mathieu Léglise. Il a reconnu que le prévenu était à l’origine du tir, ce que ce dernier a nié le temps du procès, mais ne lui a infligé aucune sanction.
Pour justifier son verdict, le tribunal a mis en avant le fait que le policier « n’a pas de formation approfondie en matière juridique », qu’en ce qui concerne l’arme, il « a suivi une formation d’à peine une journée » et qu’« il (lui) a été enseigné que, dès lors qu’il y a jet de projectiles, les conditions de la légitime défense sont nécessairement réunies ».
Selon le tribunal, l’enjeu n’est donc pas de savoir si des projectiles ont bel et bien été lancés, si oui, de quel type, et si cela autorisait en retour l’usage de cette arme en expérimentation. « Il n’y a pas lieu de s’intéresser de manière différenciée à la question de la proportionnalité de la riposte à la menace ni à celle de la nécessité de l’usage de l’arme », assure le jugement (le lire dans son intégralité).
Suivant le réquisitoire du parquet, il a fait valoir que la responsabilité pénale du brigadier ne peut être engagée dans la mesure où il a exécuté un ordre qui n’était pas « manifestement illégal ». Selon l’article 122-4 du Code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ».
« C’est un permis de crever les yeux »
Au cours de l’audience (lire notre article), le représentant du ministère public, Yann Richard, tout à sa volonté de couvrir la hiérarchie, avait applaudi le « courage » du commissaire qui « a revendiqué la décision du tir » et ramené le fonctionnaire de police à un simple exécutant : « Monsieur Léglise est un gardien de la paix. Il est là pour exécuter, pour aller au contact. Comment aurait-il pu dire que l’acte était illégal alors que toute sa hiérarchie dit le contraire ? »
L’avocat du policier, Laurent-Franck Liénard, avait même veillé à rabaisser intellectuellement son client en le décrivant comme ne maîtrisant pas les notions juridiques au centre du procès pour lui dénier toute responsabilité.
Catherine Glon, l’avocate du plaignant, Pierre Douillard, et de sa famille, avait, elle, montré que sans riposte « nécessaire et proportionnée », l’usage de l’arme était injustifiable. Ou alors, avait-elle demandé, « est-ce l’autorisation de tirer n’importe où et n’importe comment ? »
« C’est un permis de crever les yeux », résume l’avocate à l’issue du verdict. « Cette décision est extrêmement problématique dans un État démocratique », ajoute Pierre-Yves Launay, qui représentait l’accusation, ce mardi, au tribunal correctionnel de Nantes.
« Nous sommes face à un policier équipé d’une arme très dangereuse, insiste-t-il, mais la justice l’excuse au motif qu’il n’a pas été suffisamment formé et malin pour en faire un usage normal et légal. C’est comme donner un pistolet à un enfant. » « C’est très inquiétant, poursuit-il, car cela autorise les policiers à faire usage de leurs armes en toute impunité. »
Dans un communiqué [...], les parents de Pierre déconstruisent ce jugement « quatre fois paradoxal ». « Cette relaxe est une triste nouvelle, car l’impunité profite à une personnalité de récidiviste qui a reconnu avoir tiré à neuf reprises (…) sur une foule de fêtards en septembre 2007, avant de mutiler Pierre », indiquent-ils.
À propos du policier : « S’il est si bête (ce que nous ne croyons pas), la conclusion logique n’aurait-elle pas été de lui retirer son port d’armes létales ? », s’interrogent-ils.
Leur bataille, que le tribunal avait saluée à l’audience, ne se termine pas là pour autant. Aussitôt, ils ont annoncé leur intention de se tourner vers la justice administrative afin de mettre en cause la hiérarchie policière, ainsi que vers la Cour européenne des droits de l’homme.
Une des premières en la matière, cette décision est déterminante, puisqu’elle risque de servir de référence dans des procès à venir. Or les victimes du flashball, sous quelque forme que ce soit, sont nombreuses, de même que les victimes des violences policières en général.