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mercredi 17 octobre 2012

Interview de Florent (dit Casti) à Montpellier


Sur MEDIAterranée, le petit journal de la Méditerranée

Affaire du Flash-Ball : Casti parle et remet les pendules à l'heure pour tous les Ultras !

Après avoir manifesté samedi à Montpellier avec plus de 1500 Ultras, Florent Castineira a accordé une longue interview à Médiaterranée Languedoc-Roussillon. (© Julie Prévot)
Après avoir manifesté samedi à Montpellier avec plus de 1500 Ultras, Florent Castineira a accordé une longue interview à Médiaterranée Languedoc-Roussillon. (© Julie Prévot)


Qu'est-ce qu'il s'est passé le 21 septembre dernier, juste avant que Casti ne prenne un tir de Flash-Ball dans l’œil, en marge du match MHSC-ASSE ? Où en est aujourd'hui Casti et comment vit-il cette situation ? Comment son dossier médical a-t-il disparu de l'hôpital Guy de Chauliac, à Montpellier ? Qui sont les Ultras ? Pourquoi réclament-ils aujourd'hui plus de « liberté » au niveau national et international ? Florent Castineira, le jeune supporter de 21 ans qui a perdu l'usage de son œil le 21 septembre dernier, nous répond à toutes ces questions sensibles. Sans sujets tabous, ni langue de bois...
Au lendemain de la manifestation nationale qui a rassemblé samedi plus de 1500 Ultras revendiquant la « Justice pour Casti » et la « liberté pour les Ultras », Florent Castineira a accepté de s'entretenir longuement avec Médiaterranée Languedoc-Roussillon. Trois semaines après le tir de Flash-Ball reçu dans l'œil, Casti fait le point sur tous les dossiers en cours, sans mâcher ses mots. Entretien...

Qu'est-ce que vous avez ressenti, samedi, en voyant que plus de 1500 Ultras étaient venus manifester à Montpellier en soutien à votre cause et pour la « liberté des Ultras » ?
« Ça m'a fait énormément de bien, parce que je me suis senti soutenu dans l'injustice que je vis. Je dis bien le mot "injustice". Voir que toutes ces personnes étaient d'accord avec moi et me soutenaient, ça m'a fait énormément plaisir, parce que je me suis senti beaucoup moins seul, contre ces policiers, ça m'a bien remonté le moral.

Les policiers disent qu'ils ont été agressés par les supporters présents le 21 septembre aux abords de La Mosson et qu'ils ont utilisé leur Flash-Ball en état de légitime défense. Quelle est votre version des faits ? Avez-vous vu la même chose que ce qu'a déclaré un témoin de la scène à Médiaterranée Languedoc-Roussillon ?
Oui, tout à fait. J'étais assis à la baraque à frites « Chez Tonton » pour y voir mes amis, quand j'ai vu un gars courir vers nous avec la BAC derrière, en essayant d'échapper à leurs coups de matraques. Quand il y est parvenu, les agents de la BAC ont reculé parce qu'il y avait du monde devant, des supporters qui leur disaient : « arrêtez, arrêtez, laissez-le le pauvre, faites attention, c'est dangereux, il y a des enfants ! ». Il y avait au moins 5 ou 6 mètres, entre les supporters et les gars de la BAC, quand le premier coup de Flash-Ball a retenti. Ça a commencé à crier : « mais vous faites quoi, vous faites quoi ? » Là, le deuxième coup de Flash-Ball est parti et c'est celui-là que j'ai pris dans la tête.

Vous avez perdu connaissance sur le coup ?
J'étais dans les pommes, entre le conscient et l'inconscient. Je me suis vraiment réveillé le dimanche...

Et vous étiez précisément où, au moment au vous avez pris le tir dans l’œil ?
J'étais assis aux chaises que nous avait prêté « Tonton », pour que l'on soit assis tranquilles sur le côté de la baraque à frites, quand la BAC est arrivée. Là, je me suis levé de ma chaise pour voir ce qu'il se passait. Quand j'ai vu la violence de l'action des agents, leur détermination à vouloir frapper, j'ai flippé et j'ai reculé d'un pas. C'est là que j'ai pris le tir de Flash-Ball dans l’œil.

Où en êtes-vous aujourd'hui, aux niveaux médical et juridique ?
Au niveau juridique, avec mon avocat Me Phung, nous avons déposé plainte et on constitue notre dossier petit à petit : on rassemble tous les éléments qui montrent bien que le tir de Flash-Ball n'était pas un tir de légitime défense, nous avons déjà recueilli beaucoup de témoignages de personnes présentes ce jour-là... Au niveau médical, j'ai vu mon ophtalmologue ce lundi après-midi, la cicatrisation de mon œil se passe plutôt bien, mais je vais devoir me faire à nouveau opérer pour certainement que l'on me place une prothèse occulaire soit entière, soit partielle, on ne sait pas encore... Il faut encore que je vois des professionnels de plus en plus pointus pour arriver à avoir un bon résultat. Un bon résultat seulement esthétique, parce que côté pratique, mon œil n'y verra plus jamais. J'ai encore lu aujourd'hui dans le Midi Libre du dimanche 14 octobre que j'avais peut-être encore un espoir d'avoir mon œil, mais non, je ne verrai plus jamais de mon œil ! Il faut vraiment que les gens se mettent ça dans la tête. Midi Libre cite une phrase que je n'ai jamais dite (« On ne peut pas encore savoir, mais je ne crois pas pouvoir récupérer l'usage de mon œil »), alors que j'ai passé mon temps à dire le contraire de cette phrase en étant précis sur mes mots qui ont finalement été déformés...

Selon nos informations, votre dossier médical a disparu de l'hôpital Guy de Chauliac où vous avez été hospitalisé suite au tir, à Montpellier. Vous nous confirmez ce fait ?
Mon dossier médical a été réquisitionné par la police, alors que c'est interdit. Heureusement que les meilleurs médecins sont sur Montpellier, parce que si je devais me faire soigner dans une autre ville, je ne pourrais pas, parce que je ne dispose pas de ce dossier médical : pour moi, il est clair que la police a voulu enlever toutes les preuves de ce qu'il m'est arrivé en récupérant ce dossier, alors qu'elle n'en avait pas le droit...

Comment est-ce possible ?
C'est bien la question que l'on se pose tous : comment ils ont réussi à faire ça ? Comment ils ont réussi à faire ça ?

Et même à l'hôpital, ils n'ont pas de réponse ?
Non, il n'y a pas de réponse. La réponse doit être illégale, certains parlent de pressions de la police sur du personnel hospitalier, mais bon, on ne la saura pas pour le moment... Tout ce que l'on sait, c'est que la police a récupéré l'ensemble du dossier médical, alors qu'elle n'en avait pas le droit. Ils avaient le droit de prendre le compte-rendu d'hospitalisation, mais pas les autres papiers attestant de mon état médical, de ce qu'il y a dans mon œil, dans ma tête, dans mon corps. Ils ne peuvent pas être au courant de tout ça, sans que nous, nous le soyons. Tout ça à cause d'un flic qui a peur d'assumer sa bêtise ! Cela rend fou tous les gens qui sont autour de moi. Ma mère est folle de ne pas pouvoir lire noir sur blanc les compte-rendus des médecins, il ne nous reste que des paroles, quelques lettres, quelques mails et quelques étiquettes d'entrées et de sortie de l'hôpital... Mais les papiers, pour l'instant, je ne ai pas et eux ils les ont. Heureusement, il existe des démarches juridiques qui permettent de récupérer ces papiers, mais ça va prendre du temps, et pendant ce temps-là, ils gagnent du temps... Le vol de ce dossier médical, ce sera l'une des grandes lignes de cette affaire. S'ils ont fait ça, c'est parce qu'ils ont des choses à se reprocher.

Dans le dossier médical, il y avait également l'avis du médecin légiste qui avait certifié que l'explosion de votre œil était bien due à un tir de Flash-Ball ?
C'est bien ça... Tout cela montre bien que la police peut être injuste, qu'elle n'a pas toujours raison. C'est pas parce que le supporter est mal vu par l'opinion publique qu'on est forcément toujours en tord. On n'est pas des anges, mais là, c'est bien trop cher payé, pour rien. C'est inadmissible, intolérable, illégal. On ne peux pas laisser passer des choses comme ça...

Voir notre reportage photos de la manifestation :
Quand vous dites « on n'est pas des anges », une phrase qui a été dite également samedi par plusieurs personnes, lors de la manifestation nationale des Ultras, qu'est-ce que ça veut dire, exactement ?
Quand on dit qu'on n'est pas des anges, ça veut dire qu'on fait l'apéro, qu'on s'amuse bruyamment ! Quand on arrive dans une ville qu'on est 50 à gueuler en même temps, ça peut fait peur à certaines personnes parce que la plupart des gens ne font pas ça... Nous, on le fait, c'est pas pour autant qu'on est méchant, contrairement à ce que croient beaucoup de gens. C'est juste une fierté, une passion comme n'importe laquelle, qui ne mérite pas d'être victime de répression.

Pourquoi y-a-t-il un problème de représentation dans la tête des gens, selon vous, au sujet des Ultras et qui sont-ils justement ces Ultras, pour vous qui en êtes aussi un ?
La plupart des gens nous voient comme des « animaux ». Il y a même une personne au commissariat qui nous a dit récemment : « il faut admettre que vous êtes pas normaux ». N'importe quelle personne qui s'intéresse à nous peut voir, en nous côtoyant que nous sommes des personnes normales et des citoyens normaux. On est comme tout le monde, on est juste supporters d'une équipe de football. Acharnés, oui, parce qu'il faut l'être pour faire des kilomètres dans toute la France... Mais de là à dire qu'on est violent, non ! Par contre, les policiers sont violents envers nous, de plus en plus : il y a une répression abusive et ça commence à faire des dégâts. Ça fait longtemps que les supporters ont droit à des coups de matraques tous les week-ends ! Juste parce qu'on est des supporters et que la politique a décidé qu'il fallait les réprimer ! Ça n'a fait que s'empirer jusqu'à ce 21 septembre où ils ont utilisé le Flash-Ball que j'ai pris dans la tête... Ça a été la goutte qui a fait déborder le vase : on ne veut plus de ces policiers violents qui viennent déchaîner leurs violences. Parce qu'en plus, un tel déchaînement de violences ne peut que générer de la violence dans les rangs des supporters ! Et après, les médias disent que tout est de notre faute, alors que c'est celle de l’État...

La politique qui est mise en place, selon vous, au niveau de l’État et de la Ligue de Football Professionnel vise à ce qu'il n'y ait plus de clubs de supporters Ultras dans les tribunes du pays ?
C'est ça, ils veulent qu'il n'y ait plus d'Ultras dans les tribunes, que les stades soient « propres » pour reprendre leurs mots. Tout cela pour des raisons politiques que l'on ne comprend pas. On ne comprend pas pourquoi on est victime de ça, alors que nous sommes des gens comme tout le monde.

Pour l'opinion publique, les Ultras, ce sont des personnes, comme vous disiez « acharnées », qui aiment bien, aussi, se fricoter, dans un esprit d'hooliganisme... Vous qui êtes un supporter Ultra, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure le hooliganisme existe-t-il dans votre mouvement ?
Le monde ultra et le monde hooligan sont deux mondes différents qui n'ont aucun rapport ! Moi, je ne connais pas de hooligans, je ne connais que des Ultras ! Je suis avec eux dans les tribunes pour chanter et supporter mon équipe, je ne suis pas là pour me battre, à aucun moment. Chez les Ultras, il y a parfois un peu de chambrage entre clubs de supporters, mais il n'y a pas de violences, sauf à de très rares exceptions ! Et ce n'est pas ce qui fait la mentalité Ultra. Il ne faut pas confondre tout ! Beaucoup de gens croient que les Ultras sont des hooligans, mais ceux qui nous ont vu samedi, ont vu qu'on a rien de hooligans ! Est-ce que moi, j'ai une tête de hooligan ?! Non, je suis juste un supporter investi à fond derrière son équipe, un supporter qui ne mérite pas de perdre un œil pour une répression abusive et arbitraire...

Vous êtes, comme les autres Ultras qui ont manifesté samedi, contre les Interdictions Administratives de Stade (IAS) ?
Oui, parce que les IAS bafouent les Droits de l'Homme ! Toute personne est présumée innocente jusqu'à la preuve de sa culpabilité, à l'issue d'un procès en justice et la mise en place des interdictions administratives de stade ne respectent pas ce droit. J'ai un ami qui a pris deux années d'interdiction de stade pour un graffiti. Quand il a été jugé, il a reçu une peine de 100 euros d'amende. Mais à côté de ça, pendant deux ans, sur simple décision du préfet, il a dû aller pointer tous les week-ends au commissariat de Montpellier et s'il ne le faisait pas, il risquait de la prison ferme. Pour nous, ce n'est pas une loi qui respecte les Droits de l'Homme et c'est inadmissible. Tous les week-ends, on se prend des interdictions de stades, parce qu'on est accusé d'être coupable, alors qu'on est présumé innocent normalement, dans le pays des Droits de l'Homme... Nous voulons que cette pratique cesse.

Est-ce que vous espérez qu'il y aura prochainement une nouvelle manifestation nationale des Ultras ?
Ça ne s'arrêtera pas. Si la justice fait bien son boulot, on n'aura pas besoin de crier à nouveau dans la rue. Et si justice est faite sur mon dossier les choses avanceront obligatoirement pour tous les Ultras... Ce qui est sûr, aujourd'hui, c'est que tous les Ultras me soutiendront du début à la fin : si manifestations il doit y avoir, manifestations il y aura.

Une information a couru selon laquelle vous étiez en « interdiction de stade », le soir du tir de Flash-Ball, est-ce vrai ?
En 2011, j'avais essayé de rentrer un fumigène dans le stade, ce qui est interdit par la loi pour des raisons que je trouve inexpliquées et arbitraires, parce que c'est dit dangereux, alors que ça ne l'est pas réellement, même si tout ça, c'est un autre débat. C'est interdit, j'ai essayé de le rentrer, j'ai été puni, d'abord à six mois d'interdiction de stade au niveau administratif, puis à un an au niveau juridique, pour ces mêmes faits, cette fois-là où j'ai voulu rentrer un fumigène dans un stade. J'ai respecté mon interdiction de stade jusqu'au bout. Le 21 septembre, le match MHSC-ASSE, c'était la dernière journée avant mon retour : je suis allé à la baraque à frites « Chez Tonton » pour voir mes collègues que je n'avais pas vu depuis longtemps pour les retrouver et se remettre un peu dans l'ambiance avant la Ligue des Champions jouée à Schalke, où je devais aller pour assister au match, ce que j'attendais depuis un an et demi. Mais, comme vous l'imaginez, je n'ai pas pu y aller... Et le pire dans tout ça, c'est qu'en fait, le 21 septembre, je n'étais même pas interdit de stade réellement, je l'ai appris depuis. La police m'avait dit que les 6 mois de mon IAS s'ajoutaient à ma condamnation juridique à un an d'interdiction de stade, alors qu'en fait, normalement, ces six mois d'IAS devaient être inclus ! J'ai donc eu six mois de plus d'interdiction de stade en cadeau, à cause de la police qui, le week-end, nous envoyait des textos à ma mère et moi pour nous dire qu'il fallait que je pointe au commissariat. Tout cela, alors qu'en fait je n'étais interdit de stade que pour la police, pas sur le papier...

Quel sera votre dernier mot ?
J'aimerais que les gens ouvrent les yeux. La plupart ne voient que ce que la Fédération française de football leur donne, ce qui n'a rien à voir avec la réalité. J'ai vu des commentaires méchants, notamment sur Midi Libre, de personnes qui disent que je suis coupable. Si elles avaient été à côté de moi, le 21 septembre, elle ne pourraient pas dire ça ! Parce que ce qui est arrivé est inhumain : c'est de la violence volontaire de la part d'un policier contre des gens qui n'avaient rien à voir avec aucune histoire. Et cette violence est totalement inadmissible ! »

Recueilli par Nicolas Ethève