Communiqué de presse
Ce vendredi matin 22 mars 2013, s'ouvrira à Rennes l'Appel du jugement qui a relaxé l'année dernière, à Nantes, le policier auteur d'un tir de flash-ball à l'oeil d'un lycéen le 27 novembre 2007.
À cette occasion, les parents de Pierre, à l'époque lycéen mineur, en tant que parties civiles, ont adressé ces jours-ci à Madame Taubira, garde des sceaux, une "demande d'enquête sur plusieurs anomalies judiciaires survenues à Nantes", suivie d'une pétition sur cette affaire importante, co-signée par Stéphane Hessel.
C'est cette lettre que nous rendons publique aujourd'hui, en souhaitant que la presse se fasse l'écho de cette audience en appel, alors que parallèlement la justice administrative est saisie pour faute de l'État.
En vous souhaitant bonne lecture et avec nos meilleures salutations,
Luc Douillard et Emmanuelle Lefevre, à Nantes, le 18 mars 2013
Presse-Océan 20 mars 2013 |
Madame Taubira, Garde des sceaux
Ministère de la Justice,
13, place Vendôme
75042 Paris Cedex 01
Nantes, le 8 mars 2013,
OBJET :
Demande d'enquête sur plusieurs anomalies judiciaires survenues à Nantes.
Affaire en cours : Douillard-Lefevre / Leglise,
Cour d'Appel de Rennes n°12/01216, appel du jugement en date du 03/04/2012 TGI de Nantes, n° minute 941/12 CB, n° parquet 08000011765, plaidé les 6 et 7 mars 2012,
délibéré le 3 avril 2012.
Madame la Garde des sceaux,
Une année s'est passée depuis que le policier qui a mutilé notre fils a été relaxé par le TGI de Nantes, ce que nous avons vécu comme un déni de justice.
Pierre a perdu définitivement l'usage de son oeil droit.
Certes, nous ne demandons pas que les victimes puissent faire appel des décisions pénales, car la justice n'est pas la vengeance personnelle, mais nous tenons à vous alerter sur plusieurs anomalies survenues pendant l'instruction et durant un procès qui s'est tenu d'ailleurs dans un climat de tension et d'intimidation des magistrats et de la presse locale, instauré par des policiers en
grand nombre lors de l'audience.
En faisant appel à votre examen, nous voulons d'abord défendre l'intérêt général, faire en sorte que cette décision judiciaire ne donne pas le sentiment d'une impunité de la police en matière de répression politique, comme le dénoncent Amnesty International, la Ligue des droits de l'homme et les organisations syndicales.
Notre enfant Pierre alors âgé de moins de 17 ans avait été touché par une balle de «flash-ball » (de type LBD, Lanceur de balles de défense) visée volontairement au visage par la police lors d'une manifestation pacifique de lycéens et d'étudiants contre la réforme des Universités, voici déjà cinq ans le 27 novembre 2007 devant le rectorat de Nantes.
Par rapport au flash-ball ordinaire, le LBD, qui venait d'être mis en « expérimentation » par l'administration de messieurs Guéant et Sarkozy, a pour particularité d'être doté d'une visée électronique à laser qui donne la garantie technique de ne pas manquer sa cible à un tireur qui viserait volontairement une partie précise du corps, par exemple les jambes, le thorax ou la tête.
Nous vous demandons d'ouvrir une enquête sur les faits suivants :
1 - Lorsque l'instruction puis une audience ont étudié les faits de violence volontaire du policier tireur, l'expert balistique auprès du tribunal n'a pas réellement produit d'expertise scientifique de son arme et de sa dangerosité corporelle (c'est notre famille qui a dû rechercher les informations par ses propres moyens), mais il est sorti de son rôle, qui doit être neutre, en échafaudant un scénario fictif calqué sur un scénario pré-établi, visant à incriminer la victime de faits imaginaires de violences (jets de pierres), et donc à justifier le policier tireur et sa hiérarchie.
2 - Malgré les demandes d'actes de notre partie civile, les vidéos des faits, réalisées par la police et la gendarmerie, n'ont jamais pu être retrouvées, sinon par fragments inutilisables, d'ailleurs analysés très tardivement, en raison d'excuses dilatoires telles que pannes de caméras et négligences, ce qui laisse craindre une soustraction, altération ou dissimulation volontaires de preuve pouvant servir à la Justice.
3 - Malgré les demandes d'actes, acceptées par le juge d'instruction, les appareils enregistreurs de ces vidéos et bandes audios n'ont pas pu être retrouvés aux fins de vérifier s'ils étaient effectivement tombés en panne, ce qui laisse craindre là aussi une soustraction, altération ou dissimulation volontaires de preuve pouvant servir à la Justice.
4 - Les allégations précises du policier, selon lesquelles auraient été lancés de « gros pavés » ou des pavés de format « 5x5x5 cm » n'ont pas pu être examinées et démenties, malgré notre proposition de prouver qu'il était impossible de trouver ce type de matériau sur le site.
5 - Malgré les demandes précises de la partie civile, elles aussi acceptées par le juge d'instruction, il n'a jamais été possible de disposer d'une comptabilité professionnelle entrées-sorties des munitions de l'armurerie de l'Hôtel de police de Nantes, et de leur emploi, dotations et affectations, ce qui laisse craindre toutes les dérives de trafics non traçables ou d'emplois extra-réglementaires de ces munitions, et qui fait craindre là encore, une soustraction, altération ou dissimulation volontaires de preuve pouvant servir à la Justice, notamment à
propos des agissements du policier tireur dans d'autres affaires précédentes mal élucidées, et alors que sa personnalité et ses motivations n'ont pas été examinées.
6 - Lors de l'audience, le 6 et 7 mars 2012, le président du tribunal s'est publiquement étonné que l'arme placée sous scellée soit absente du tribunal, contre tout usage, ainsi que les balles également placées sous scellés (balles dont la caractéristique technique n'a donc jamais pu être connue ni discutée à l'audience). Où donc est passée cette arme ?
7 - L'instruction puis le jugement n'ont pas abordé un aspect important du préjudice de notre enfant : la non assistance à personne en danger et la mise en danger d'autrui, repérables à travers l'insensibilité du policier et de ses collègues qui n'ont pas fait les gestes techniques de sauvegarde et de premiers soins qu'on doit faire, ceci même dans le cas d'un délinquant qui serait blessé, et ont même obstrué le passage de l'ambulance de secours, selon un témoin.
D'autre part, cette non assistance et mise en danger est repérable en amont comme une faute de l'État français, par les graves souffrances sanitaires endurées par notre fils lors de soins ophtalmologiques erratiques en raison de la nouveauté inédite de cette lésion de l'oeil quasiment inconnue en France, cela alors que l'institution policière détenait une documentation technique sur ce type d'arme cinétique introduite en France pour le maintien de l'ordre, « en expérimentation » (sur des enfants !). C'est une documentation qu'il aurait été indispensable de mettre immédiatement à la disposition de la médecine. Et par ailleurs elle aurait dû inspirer une doctrine d'emploi très restrictive, conforme aux lois républicaines sur la proportionnalité des actes policiers (voir notamment : Jean-Jacques Dorrzapf, Les armes à létalité réduite, diaporama non daté, Centre technique et scientifique de l'Intérieur-CTSI, document trouvé sur le site internet des urgentistes militaires).
Et pourtant, c'était l'occasion pour la justice française de nourrir la jurisprudence telle que définie par les instances nationales et européennes (notamment la Cour européenne des droits de l'homme). À ce sujet, nous affirmons que notre enfant a été victime d'actes définissables comme traitements dégradants, inhumains, ou barbares, portant atteinte à la dignité, et qui ont méconnu sa vulnérabilité en tant qu'enfant placé de fait sous l'autorité d'un dispositif policier, lequel aurait dû oeuvrer « avec humanité et avec le respect inhérent à la personne humaine» selon les conventions internationales.
D'ailleurs, un collègue policier du tireur, armé d'un flash-ball, avait, lui, immédiatement choisi le geste technique de s'agenouiller, lui donnant la garantie de ne blesser gravement personne, car il avait compris avoir affaire « à des enfants » (déposition, page 3 de la cote D49 de la procédure).
Et pourtant le policier a été jugé coupable du tir, mais relaxé pour avoir obéi à un ordre qui ne semblait pas « manifestement illégal » au tribunal, alors que la matérialité de cet ordre n'a jamais été examinée, et que les responsables hiérarchiques responsables de cet ordre supposé n'ont pas été cités à comparaître, même comme simples témoins.
Confiants et attentifs dans votre souci des Droits humains, et alors que cette affaire fait l'objet actuellement d'une saisie du tribunal administratif et d'un appel au civil d'une décision en première instance du tribunal de Nantes qui se tiendra le 22 mars à Rennes, nous vous demandons, madame la Garde des Sceaux, d'ouvrir une enquête sur ces anomalies, et de nous informer de ses suites, afin de restaurer la confiance dans la justice. C'est la raison pour laquelle nous rendons publique cette lettre, en vous rappelant que cette affaire a déjà fait l'objet d'une pétition signée notamment par plusieurs personnalités dont monsieur Stéphane Hessel, qui vous a été adressée en juin dernier, ainsi qu'à monsieur le Président de la République et les ministres chargés de l'Intérieur et de l'Éducation.
Nous vous prions de recevoir, Madame la Garde des sceaux, nos salutations distinguées,
Les parents de Pierre
Luc Douillard Emmanuelle Lefevre
Annexe voir plus bas :
Relaxe d'un policier à Nantes :
Adresse au nouveau Président de la République.
Pièce jointe à ce courrier :
Brochure « Flash-ball, LBD, mutilations, violences policières... »,
seconde édition actualisée, mars 2012, Groupe de travail du 27 novembre
Annexe :
Relaxe d'un policier à Nantes :
Adresse au nouveau Président de la République.
Le 6 juin 2012,
En novembre 2007, un policier cagoulé et casqué, en armure, protégé derrière une grille, expérimentait sa nouvelle arme, un "Lanceur de Balles", en ajustant son tir dans l’oeil d'un lycéen dans une manifestation.
Le 3 avril 2012, la Justice prononçait la relaxe de ce policier, tireur récidiviste, au tribunal de Nantes.
Est-il possible que nous vivions dans un pays où l'on peut mutiler un jeune homme pour le seul fait d'avoir manifesté pacifiquement ?
Est-il possible que nous vivions dans un pays où la justice refuse de remettre en cause l'utilisation d'armes contre nos enfants et relaxe le policier tireur ?
Est-il possible que la société civile soit laissée dans l'ignorance de ce déni de justice ?
Qui se lèvera pour exiger une justice qui protège vraiment la jeunesse dans l'exercice de ses droits fondamentaux ?
Vous poserez un acte fort, M. le Président, en prenant fermement position dans cette affaire, symbole des attaques qui s'exercent aujourd'hui sur l'ensemble de nos droits : 1- en réaffirmant le droit constitutionnel d'expression et de manifestation sans avoir à craindre d'être brutalisé, voire mutilé par les forces de l'ordre. 2- en signifiant à la police et à la justice que l'impunité ne peut plus être de mise. 3- en interdisant immédiatement l'usage de cette arme extrêmement dangereuse. 4- en privant ce policier de son port d'arme.
Premiers signataires :
– Le Réseau des enseignants du primaire en résistance
– Stéphane HESSEL, Ambassadeur de France
– Nico HIRTT, Seneffe (Belgique), Membre fondateur de l'Appel pour une Ecole
Démocratique (Aped) - Philippe SCHMETZ, Appel pour une école démocratique, Oproep voor een, Democratische School (Aped / Ovds), Belgique - Hubert MONTAGNER, Professeur des Universités en retraite, ancien Directeur de Recherche à l’INSERM, ancien Directeur de l’Unité “Enfance inadaptée” de l’INSERM, 33 SADIRAC- Angélique DEL REY, Professeur de philosophie, PARIS 75 - Bernard DEFRANCE, Professeur de philosophie honoraire, représentant l'Union départementale CLCV au Conseil départemental de l'accès au Droit de Seine-Saint-Denis - Frédéric JÉSU, Père, Médecin, Pédopsychiatre de service public, Vice-président de DEI-France, 75019 Paris - Philippe WALQUEMANE, DEI-France- Francas93, Bobigny 93000 - André OUZOULIAS, Professeur honoraire, Université de Cergy-Pontoise (IUFM), Formateur d'enseignants - Pierre FRACKOWIAK, Inspecteur honoraire EN, Auteur, Liévin, Pas de Calais - Laurent OTT, Formateur, Chercheur en travail social, Longjumeau 91- Catherine CHABRUN, Enseignante et militante des droits de l'enfant, 91 - Juvisy sur Orge - Jean LE GAL, Responsable des droits de l'enfant de la FIMEM ( Fédération internationale des Mouvements d'Ecole Moderne), REZE ( Loire Atlantique) - Maurice DAUBANNAY, IA-IPR retraité, Militant pour les droits des enfants, 63 Clermont Ferrand - Jacques JOURDANET, Inspecteur honoraire de l'Education nationale, 06510 Gattières - Lucien ANDRE, IDEN retraité, puy de dôme - Elisabeth LE DEUN, Docteure en sciences de l'éducation et Professeure de lettres retraitée de l'IUFM du Tampon, département de La Réunion, 97432 - Stefan CHEDRI, Psychanalyste, Paris, 75 - Bastien CAZALS - Maternelle Louise Michel, 34430 St Jean de Védas - Jacques BERTHELOT, Ancien enseignant chercheur en économie, Toulouse - Cédric LAMARCELLE, Artiste plasticien, Curateur, 94300 VINCENNES - Christian CELDRAN, 08390 Le Chesne, ATTAC - Marie-Laure CADART, Médecin et anthropologue, Aix en Provence - Alain REFALO, Enseignant du primaire, Colomiers, 31 (Haute- Garonne) - Cécile LEFEVRE, Enseignant-chercheur Université Paris Descartes, Paris (...)