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jeudi 13 février 2014

1 février 2014 : Steve a perdu son œil [suite...]


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Après le tir de flash-ball ayant coûté un oeil à un adolescent au Port

Forces de l'ordre : l'usage des armes et la légitime défense en question

Confiée à l'IGPN (Inspection générale de la police nationale), une enquête va être menée pour faire la lumière sur les circonstances ayant conduit un policier à tirer au flash-ball, touchant au visage un adolescent de 16 ans, dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 février 2014 au Port, le jeune garçon y ayant laissé un oeil. Au coeur du dossier se trouve notamment la question de l'usage des armes par les forces de l'ordre, mais aussi la notion de légitime défense, parfois délicate à déterminer à l'image d'autres affaires ayant eu lieu à La Réunion par le passé.
 
 
Deux versions s’affrontent concernant le déroulé des événements ayant coûté un œil au jeune Steve, dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 février au Port. Du côté des policiers, on affirme que le tir de flash-ball responsable des blessures de l’adolescent était un "tir de dispersion" et qu’aucun fonctionnaire n’a mis le pied à terre. En revanche, plusieurs témoins prétendent avoir vu les policiers descendre de leur véhicule et poursuivre le garçon âgé de 16 ans avant de tirer.
Toujours est-il que le procureur de Saint-Denis va ouvrir une information judiciaire pour des faits présumés de "violences volontaires par dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une infirmité", posant ainsi la question de l’usage des armes par les forces de l’ordre.
"Le flash-ball s’utilise dans des conditions particulières de la légitime défense et notamment dans une manifestation où nos collègues sont assaillis par des manifestants avec des jets de pierres", explique Thierry Flahaut, secrétaire régional de l'Unité SGP Police - Force Ouvrière, interrogé par Radio Festival. "Se trouvant en état de légitime défense, ils ont tout loisir d’utiliser leur arme, notamment le flash-ball. Les autres armes utilisées, comme le cougar (un lance-grenade, ndlr) ou les grenades, ce sera sur ordre de l’autorité, mais le flash-ball, comme notre arme à nous individuelle, ce sera en cas de légitime défense", complète-t-il.
Dans la nuit de ce samedi 1er février, les forces de l’ordre ont fait face à des manifestants munis de galets. Mais le tir de flash-ball mis en cause a-t-il pour autant été effectué dans une situation de légitime défense ? Un "tir de dispersion" entre-t-il dans ce cadre ? L’enquête de l’IGPN devra répondre à ces questions. Car comme le rappelle Maître Laurent Payen, avocat au barreau de Saint-Denis, toujours au micro de Radio Festival, les policiers "sont soumis aux mêmes règles que tout citoyen, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas faire usage de leur arme comme bon leur semble".
"S’ils blessent ou s’ils tuent une personne avec leur arme de service hors des cas qui pourraient le justifier légalement, les policiers ont à répondre de leurs actes", poursuit Maître Payen. "Au niveau judiciaire, ils peuvent très bien se retrouver devant un tribunal correctionnel ou devant une cour d’assises", ajoute-t-il.
Il existe d’ailleurs quelques précédents à La Réunion. Les dockers, mais aussi les Portois, gardent notamment en mémoire l’épisode du 7 mars 1994 où une manifestation avait dégénéré. Devant l'enceinte portuaire du Port-est, le docker Théo Hilarion avait été victime d'un coup de feu tiré par l'un des gendarmes mobiles qui faisaient face aux manifestants et avait définitivement perdu l'usage d’un œil. En juin 2008, après plusieurs procès, le gendarme et l'officier accusé d'avoir couvert les faits avaient toutefois été acquittés par la cour d'assises.
Plus récemment est survenu également le cas de Nassuir Oili, un garçon de 9 ans ayant également perdu un œil suite à un tir de flash-ball lors d’une manifestation contre la vie chère à Mayotte, en octobre 2011. Là encore, le gendarme incriminé invoquait la légitime défense, mais les trois ans d’enquête ont conclu à un crime. Le militaire mis en cause a été renvoyé devant la cour d’assise le 5 décembre dernier.

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Un tir de flash-ball a coûté un oeil au jeune portois

Courrier des lecteurs : "Steve : victime d'une politique !"

Le samedi 1er février 2014 restera un grand jour pour les pétroliers et les gérants de stations, gogos manipulés, alors regroupés à la SRPP du Port pour faire leur spectacle. Comme souvent dans de pareilles situations des échauffourées éclatent la nuit entre forces de l'ordre et jeunes. Feux de poubelles, de pneus, cassages de vitrines puis alors échanges de jets de galets et de grenades lacrymogènes ... avec d'autant moins de retenue dans cette Cité à forte identité créole que le face-à-face se fait souvent en présence "de renforts extérieurs."
 
Et puis, des dégâts matériels et hélas des victimes aussi. De part et d’autres. Et même des victimes collatérales. Steve, 16 ans, en est une. Il a eu le tort d’être à l’extérieur sur la trajectoire d’un projectile policier. Il faut dire que pour les jeunes de son âge, ils n’ont connu des forces de l’ordre que des agents obligés à la culture du chiffre (par les retours du fameux état 4001), une police militarisée par des unités spécialisées, déshumanisées, ... par les scènes de déploiements de CRS escortés par la BAC pour des opérations qui n’ont rien à voir avec le maintien de l’ordre, par les robots cops, les ninjas à la détente facile, etc. Les plus anciens pourront nous le dire. Existe-t-il encore aujourd’hui des forces de sécurité de proximité dans les quartiers, qui circulent à pied (îlotage) plutôt qu’en voiture et discutent avec les habitants ? La réponse est non. Le sentiment général qu’éprouve la population envers sa police est l’intention répressive.

Steve est mon élève en cours de mathématiques depuis près de deux ans maintenant. Je peux donc affirmer en connaissance de cause qu’il s’agit d’un garçon élégant, assidu et studieux. Un adolescent qui s’était déjà trouvé. Un kaf la soie, comme on dit ici, encore plus posé en 1ère qu’en seconde. Je ne peux donc pas l’imaginer en train de caillasser des fonctionnaires. Hier soir, à ma grande stupeur, j’ai appris par une collègue qu’il avait perdu un œil. Par une présumée balle perdue d’un flashball. Je suis tout simplement effondré. Parce qu’au fond, Steve est victime d’une politique. Une politique sécuritaire !

En effet, qu’est-ce qui a bien pu changer à l’intérieur, sous la gauche dit-on, depuis 2012 ? Fondamentalement, rien. Rien, parce que le ministre Manuel Valls a tout simplement choisi de mettre ses pas dans ceux de Sarkozy. Etrangement, lui-aussi est très proche d’Alain Bauer, ancien conseiller de N. Sarkozy et intellectuel organique du complexe politico-sécuritaire. Sans doute, Valls rêve-t-il en son for intérieur d’un destin présidentiel en suivant la même voie que Sarkozy. Son idéologie, leur commune obsession reposent sur les fameux 3i " Insécurité, Identité et Immigration ".

Député, Valls n’hésitait déjà pas à voter dans le même sens que les députés de droite (émeutes de 2005). Maire d’Evry, il sur-dote sa ville de caméras de surveillance et équipe sa police municipale, dont les effectifs ont explosé, d’armes de 4ème catégorie à telle point qu’elle n’a rien à envier à celle de Nice.

En réalité, cette politique doit cesser. Nous pourrions développer ce qui serait une politique de sécurité de gauche. Nous nous contenterons de renvoyer nos lecteurs au livre de Fr. Delapierre – Délinquance : les coupables sont à l’intérieur – aux éditions Bruno Leprince. Mais, philosophiquement, quand on se déclare de gauche, on n’accepte jamais la condamnation d’innocents. Rappelons-nous l’affaire Dreyfus. La France coupée en deux. D’un côté, les dreyfusards qui affirment l’impératif respect du droit, de la justice et de la vérité en toute circonstance. C’est en réalité la France de 1789-93 qui est y défendue, la France des Droits de l’homme et de l’universalisme républicain. Ils ont pour nom Jaurès, Clémenceau, Anatole France, Zola, ... A droite, en revanche, on n’accepte mal d’innocenter un coupable. On aura alors tendance à sur-réagir. C’est ce qui hélas se passe aujourd’hui trop souvent dans notre police. Et, trop souvent encore à La Réunion. Dans d’étranges circonstances puisque de fait, cette affaire fait penser à celle de Théo Hilarion survenue il y a vingt ans.

Steve va devoir maintenant se reconstruire. Surmonter sa mutilation. Une mutilation d’Etat. Si nous avons entendu le Préfet, représentant de l’Etat, nous informer de l’état de santé du gendarme blessé ce soir-là, nous ne pouvons hélas pas en dire autant au sujet de Steve. Et ce n’est pas la venue de l’IGPN (la police des polices) dans l’île qui nous ne convaincra de l’impartialité de l’enquête interne. La bataille de l’opinion s’impose donc pour que Steve soit considéré de bout en bout avec les égards qui s’imposent dans la recherche des responsabilités. Nous serons en tout cas, copains de classe, enseignants et Portois à ses côtés dès son retour. Courage à toi, nous t’embrassons.

Jean-Hugues Savigny
Militant du Parti de Gauche