Joachim Gatti, victime du flash-ball à Montreuil: « Il me reste un œil et avec lui une haine sourde »
Par Carine Fouteau et Charlotte Rouault
Des affrontements ont eu lieu avec les forces de l'ordre, lundi 13 juillet au soir à Montreuil-sous-Bois, lors d'une manifestation ayant réuni des centaines de personnes, de tout âge et tout horizon, contre les violences policières et l'expulsion de l'ancienne clinique occupée. Plusieurs participants ont été gardés à vue, dont un journaliste stagiaire du Monde qui couvrait l'événement, rapporte le quotidien.
Mardi matin, Dominique Voynet, maire de Montreuil-sous-Bois, s'est élevée contre l'intervention des forces de l'ordre la veille pour disperser la manifestation. L'ancienne dirigeante des Verts a estimé sur France Info qu'il s'agissait d'une «démonstration de force totalement inutile qui a généré à son tour le désordre» à la suite d'un ordre qui venait selon elle probablement «d'en haut». La «manifestation dans laquelle la tension était palpable, dans laquelle aucune violence n'a été commise, a été dissoute assez violemment par les forces de l'ordre», a-t-elle déploré.
Joachim Gatti n'est pas la première personne à être blessée par un tir de lanceur de balles de défense, plus connu sous le nom de Flash-ball, une marque déposée.
«Mettre hors combat»
Cette arme à «létalité atténuée», inventée et fabriquée par Verney-Carron, lance des projectiles qui ne sont pas destinés à tuer la cible, mais à la mettre «hors combat». Les munitions les plus fréquentes sont des balles en caoutchouc qui répartissent leur puissance «sur une surface de 35cm2» à l'impact, provoquant «le même effet qu'un coup de poing d'un champion de boxe», détaille le fabricant. Mais le même lanceur peut envoyer avec la même violence d'impact des balles lacrymogènes et des balles colorantes, servant à marquer leur cible. Lorsqu'il était ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy avait appuyé le développement de l'arsenal dit «non létal» des forces de l'ordre, car, si «la police doit rester républicaine, ce n’est pas la condamner à l’inefficacité». Avec les armes «à létalité atténuée», «dissuasives» mais «pas mortelles», la sémantique fit passer l'idée que le maintien de l'ordre pouvait être respecteux de la vie et de la dignité des personnes.
Or, si les projectiles sont étudiés «pour éviter, même à très courte distance, la pénétration sur un individu normalement vêtu», ils peuvent néanmoins provoquer des lésions irréversibles selon l'usage qui en est fait. En effet, comme tout projectile, si la balle atteint une zone sensible du corps, la blessure peut être bien plus grave qu'un hématome. On peut ainsi affirmer – sans que nous ayons connaissance de tous les cas de mutilations ou de séquelles irréversibles dues au Flash-ball – que près d'une dizaine de personnes ont perdu un œil en France depuis quatre ans.
Dans les Yvelines, en Seine-Saint-Denis...
Mercredi 6 juillet 2005, un garçon de 14 ans habitant aux Mureaux (Yvelines) perd un œil alors qu'il jouait aux alentours d'un immeuble voué à la démolition où la police intervenait pour en déloger des occupants. Sékou descendait par un balcon du premier étage et s'est retrouvé nez à nez avec un policier armé qui a «paniqué». «Sekou n’avait aucun bâton, ni barre de fer et n’était pas menaçant. Il a levé les mains. Le policier en tenue a mis un pied en avant puis un autre en arrière et s’est mis en position de tir en pointant Sekou avec son arme sans l’avertir. J’ai entendu la détonation et Sekou est tombé face contre terre en se tenant la tête dans les mains. Il ne bougeait plus. Un policier en civil s’est approché et lui a mis des coups de tonfa sur les jambes et dans les côtes et l’a menotté», raconte un animateur du centre social de la Vigne Blanche qui a assisté à la scène.
En octobre 2006, c'est un adolescent de 16 ans qui perd un œil, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dans des circonstances troubles. Accusé d'avoir participé à l'édification d'une barricade et d'avoir lancé des projectiles sur des policiers, il est interpellé dans une rue adjacente près du lieu des affrontements, gravement blessé. A Nantes, en novembre 2007, lors du mouvement contre la réforme sur l'autonomie des universités, un lycéen de 17 ans participant à une manifestation devant le rectorat est atteint «par un tir de Flash-ball dont il affirme qu’il a été tiré par le policier cagoulé avec son Flash-ball jaune», apprend-on sur le site du collectif de vigilance qui s'est formé à cette occasion. Ce «Flash-ball jaune» n'est autre que le nouveau lanceur de balle de défense «LBD 40», plus puissant et précis que le modèle Super-pro utilisé depuis 1999. Fin 2007, il était encore en cours d'expérimentation.
C'est au lendemain des émeutes qui ont eu lieu en fin d'année 2007 à Villiers-le-Bel (Val-d'Oise) que la direction de l'administration de la police nationale (DAPN) a décidé de mettre à disposition des forces de l'ordre de nouveaux moyens. Outre les lunettes pour se protéger des jets de pierre et les boucliers résistant aux tirs de chevrotines, la DAPN promet qu' «une nouvelle génération de Flash-ball 'lanceur 40' (calibre 40 mm) va leur être fournie» au cours de l'année 2008, passant d'une portée de 10 à 50 mètres.
Il a fallu l'accident de Nantes pour que la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) soit saisie par le sénateur de Loire-Atlantique François Autain en janvier 2008, et rende un avis critique sur la façon dont la police a mené son intervention. Elle recommande aussi une meilleure formation des agents amenés à manier ce lanceur de balles. «Si les projectiles lancés par le LBD ont été choisis pour leur capacité de déformation à l’impact limitant le risque de pénétration dans un corps vivant, ils peuvent avoir des conséquences dramatiques lorsque la partie corporelle atteinte est, comme en l’espèce, le visage et plus précisément les yeux. En outre, un tir à faible distance (à moins de 10-15 mètres) accroît considérablement les risques», note la CNDS.
Le 19 mars, lors de la journée de mobilisation interprofessionnelle, un étudiant de 25 ans perd lui aussi un œil lors d'une action de réquisition de nourriture dans un supermarché. Réagissant à de récentes histoires similaires à celle de leur fils, les parents du jeune Nantais s'interrogent dans un communiqué daté du 12 mai sur le caractère intentionnel de ces mutilations : «Le fait que deux jeunes habitants de Villiers-le-Bel aient pu être tous les deux blessés à l'œil simultanément samedi dernier 9 mai, par des policiers, conduit évidemment à s'interroger sur la possibilité de visées intentionnelles au visage ou même précisément aux yeux.» Regrettant que le débat relatif aux armes à létalité réduite soit «encore placé au second plan dans le débat public», ils regrettent que les enquêtes ouvertes «n'aient aucunement dissuadé la police d'utiliser de tels armements sans discernement».
«Pas de tir au-dessus de la ceinture»
En effet, les blessures irréversibles dues à des tirs de Flash-ball ne cessent pas. Depuis le mois de mai, trois personnes ont perdu un œil dans ces circonstances, et plusieurs usages abusifs du lanceur de balles de défense sont signalés. Le 15 avril, à Argenteuil, un policier tire à bout portant dans le ventre d'un automobiliste qui cherchait à se soustraire à un contrôle.
Autres séquelles recensées par la victime: des nausées, des vertiges, des sifflements. Ainsi, Samir, 18 ans, touché à l'oreille par le tir d'un agent de la brigade anti-criminalité à Neuilly-sur-Marne. Souvent, un nez brisé et plusieurs hématomes accompagnent un tir en pleine tête. Pourtant, les règles sont claires: pas de tir au-dessus de la ceinture et à moins de 7 mètres. Mais une énième mutilation le 9 mai 2009 à Villiers-le-Bel où deux hommes perdirent un œil poussa le responsable de la direction centrale de la sécurité publique, Eric Le Douaron, à rappeler à l'ordre les forces de l'ordre en faisant circuler une note à ses directeurs départementaux afin qu'ils rappellent les principes de l'usage du Flash-ball et les fassent appliquer. Une mise au point dont les policiers intervenus le 8 juillet à Montreuil – et qui touchèrent cinq personnes au-dessus de la poitrine – n'ont, semble-t-il, pas fait grand cas.
Ce n'est pas la première fois que la police de Montreuil s'illustre par la brutalité de ses pratiques. La CNDS avait dénoncé «un usage de la force disproportionné» et «des blessures injustifiées» à l'encontre de manifestants qui protestaient contre l'arrestation d'un sans-papiers, devant le commissariat local, le 4 juin 2008. Au cours de la charge, l'un des participants avait d'ailleurs reçu un tir de Flash-ball à bout portant dans les testicules.
Par Carine Fouteau et Charlotte Rouault
Des affrontements ont eu lieu avec les forces de l'ordre, lundi 13 juillet au soir à Montreuil-sous-Bois, lors d'une manifestation ayant réuni des centaines de personnes, de tout âge et tout horizon, contre les violences policières et l'expulsion de l'ancienne clinique occupée. Plusieurs participants ont été gardés à vue, dont un journaliste stagiaire du Monde qui couvrait l'événement, rapporte le quotidien.
Durant la manifestation du 13 juillet © Carine Fouteau
Le 8 juillet dernier, après l'évacuation de cette ancienne clinique, les policiers ont fait usage de flash-ball, touchant en plein visage Joachim Gatti. Ce réalisateur de 34 ans a perdu un œil. Lundi en fin de journée, lors du rassemblement, un de ses amis a lu le texte qu'il avait préparé:Mardi matin, Dominique Voynet, maire de Montreuil-sous-Bois, s'est élevée contre l'intervention des forces de l'ordre la veille pour disperser la manifestation. L'ancienne dirigeante des Verts a estimé sur France Info qu'il s'agissait d'une «démonstration de force totalement inutile qui a généré à son tour le désordre» à la suite d'un ordre qui venait selon elle probablement «d'en haut». La «manifestation dans laquelle la tension était palpable, dans laquelle aucune violence n'a été commise, a été dissoute assez violemment par les forces de l'ordre», a-t-elle déploré.
Joachim Gatti n'est pas la première personne à être blessée par un tir de lanceur de balles de défense, plus connu sous le nom de Flash-ball, une marque déposée.
«Mettre hors combat»
Cette arme à «létalité atténuée», inventée et fabriquée par Verney-Carron, lance des projectiles qui ne sont pas destinés à tuer la cible, mais à la mettre «hors combat». Les munitions les plus fréquentes sont des balles en caoutchouc qui répartissent leur puissance «sur une surface de 35cm2» à l'impact, provoquant «le même effet qu'un coup de poing d'un champion de boxe», détaille le fabricant. Mais le même lanceur peut envoyer avec la même violence d'impact des balles lacrymogènes et des balles colorantes, servant à marquer leur cible. Lorsqu'il était ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy avait appuyé le développement de l'arsenal dit «non létal» des forces de l'ordre, car, si «la police doit rester républicaine, ce n’est pas la condamner à l’inefficacité». Avec les armes «à létalité atténuée», «dissuasives» mais «pas mortelles», la sémantique fit passer l'idée que le maintien de l'ordre pouvait être respecteux de la vie et de la dignité des personnes.
Or, si les projectiles sont étudiés «pour éviter, même à très courte distance, la pénétration sur un individu normalement vêtu», ils peuvent néanmoins provoquer des lésions irréversibles selon l'usage qui en est fait. En effet, comme tout projectile, si la balle atteint une zone sensible du corps, la blessure peut être bien plus grave qu'un hématome. On peut ainsi affirmer – sans que nous ayons connaissance de tous les cas de mutilations ou de séquelles irréversibles dues au Flash-ball – que près d'une dizaine de personnes ont perdu un œil en France depuis quatre ans.
Dans les Yvelines, en Seine-Saint-Denis...
Mercredi 6 juillet 2005, un garçon de 14 ans habitant aux Mureaux (Yvelines) perd un œil alors qu'il jouait aux alentours d'un immeuble voué à la démolition où la police intervenait pour en déloger des occupants. Sékou descendait par un balcon du premier étage et s'est retrouvé nez à nez avec un policier armé qui a «paniqué». «Sekou n’avait aucun bâton, ni barre de fer et n’était pas menaçant. Il a levé les mains. Le policier en tenue a mis un pied en avant puis un autre en arrière et s’est mis en position de tir en pointant Sekou avec son arme sans l’avertir. J’ai entendu la détonation et Sekou est tombé face contre terre en se tenant la tête dans les mains. Il ne bougeait plus. Un policier en civil s’est approché et lui a mis des coups de tonfa sur les jambes et dans les côtes et l’a menotté», raconte un animateur du centre social de la Vigne Blanche qui a assisté à la scène.
En octobre 2006, c'est un adolescent de 16 ans qui perd un œil, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dans des circonstances troubles. Accusé d'avoir participé à l'édification d'une barricade et d'avoir lancé des projectiles sur des policiers, il est interpellé dans une rue adjacente près du lieu des affrontements, gravement blessé. A Nantes, en novembre 2007, lors du mouvement contre la réforme sur l'autonomie des universités, un lycéen de 17 ans participant à une manifestation devant le rectorat est atteint «par un tir de Flash-ball dont il affirme qu’il a été tiré par le policier cagoulé avec son Flash-ball jaune», apprend-on sur le site du collectif de vigilance qui s'est formé à cette occasion. Ce «Flash-ball jaune» n'est autre que le nouveau lanceur de balle de défense «LBD 40», plus puissant et précis que le modèle Super-pro utilisé depuis 1999. Fin 2007, il était encore en cours d'expérimentation.
C'est au lendemain des émeutes qui ont eu lieu en fin d'année 2007 à Villiers-le-Bel (Val-d'Oise) que la direction de l'administration de la police nationale (DAPN) a décidé de mettre à disposition des forces de l'ordre de nouveaux moyens. Outre les lunettes pour se protéger des jets de pierre et les boucliers résistant aux tirs de chevrotines, la DAPN promet qu' «une nouvelle génération de Flash-ball 'lanceur 40' (calibre 40 mm) va leur être fournie» au cours de l'année 2008, passant d'une portée de 10 à 50 mètres.
Il a fallu l'accident de Nantes pour que la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) soit saisie par le sénateur de Loire-Atlantique François Autain en janvier 2008, et rende un avis critique sur la façon dont la police a mené son intervention. Elle recommande aussi une meilleure formation des agents amenés à manier ce lanceur de balles. «Si les projectiles lancés par le LBD ont été choisis pour leur capacité de déformation à l’impact limitant le risque de pénétration dans un corps vivant, ils peuvent avoir des conséquences dramatiques lorsque la partie corporelle atteinte est, comme en l’espèce, le visage et plus précisément les yeux. En outre, un tir à faible distance (à moins de 10-15 mètres) accroît considérablement les risques», note la CNDS.
Le 19 mars, lors de la journée de mobilisation interprofessionnelle, un étudiant de 25 ans perd lui aussi un œil lors d'une action de réquisition de nourriture dans un supermarché. Réagissant à de récentes histoires similaires à celle de leur fils, les parents du jeune Nantais s'interrogent dans un communiqué daté du 12 mai sur le caractère intentionnel de ces mutilations : «Le fait que deux jeunes habitants de Villiers-le-Bel aient pu être tous les deux blessés à l'œil simultanément samedi dernier 9 mai, par des policiers, conduit évidemment à s'interroger sur la possibilité de visées intentionnelles au visage ou même précisément aux yeux.» Regrettant que le débat relatif aux armes à létalité réduite soit «encore placé au second plan dans le débat public», ils regrettent que les enquêtes ouvertes «n'aient aucunement dissuadé la police d'utiliser de tels armements sans discernement».
«Pas de tir au-dessus de la ceinture»
En effet, les blessures irréversibles dues à des tirs de Flash-ball ne cessent pas. Depuis le mois de mai, trois personnes ont perdu un œil dans ces circonstances, et plusieurs usages abusifs du lanceur de balles de défense sont signalés. Le 15 avril, à Argenteuil, un policier tire à bout portant dans le ventre d'un automobiliste qui cherchait à se soustraire à un contrôle.
Autres séquelles recensées par la victime: des nausées, des vertiges, des sifflements. Ainsi, Samir, 18 ans, touché à l'oreille par le tir d'un agent de la brigade anti-criminalité à Neuilly-sur-Marne. Souvent, un nez brisé et plusieurs hématomes accompagnent un tir en pleine tête. Pourtant, les règles sont claires: pas de tir au-dessus de la ceinture et à moins de 7 mètres. Mais une énième mutilation le 9 mai 2009 à Villiers-le-Bel où deux hommes perdirent un œil poussa le responsable de la direction centrale de la sécurité publique, Eric Le Douaron, à rappeler à l'ordre les forces de l'ordre en faisant circuler une note à ses directeurs départementaux afin qu'ils rappellent les principes de l'usage du Flash-ball et les fassent appliquer. Une mise au point dont les policiers intervenus le 8 juillet à Montreuil – et qui touchèrent cinq personnes au-dessus de la poitrine – n'ont, semble-t-il, pas fait grand cas.
Ce n'est pas la première fois que la police de Montreuil s'illustre par la brutalité de ses pratiques. La CNDS avait dénoncé «un usage de la force disproportionné» et «des blessures injustifiées» à l'encontre de manifestants qui protestaient contre l'arrestation d'un sans-papiers, devant le commissariat local, le 4 juin 2008. Au cours de la charge, l'un des participants avait d'ailleurs reçu un tir de Flash-ball à bout portant dans les testicules.