« Avec les flash-ball, on voit de plus en plus de blessés dans les manifs »
Lorsque les CRS se déploient en marge des manifestations, quels sont leurs ordres?
Tout dépend de la situation. Dans le cas d'une manifestation déclarée, il y a beaucoup de mesures prises en amont, par la préfecture, les renseignements généraux, les syndicats, etc. pour tracer l'itinéraire. Ça permet ensuite à la police de dégager des rues tous les éléments susceptibles de devenir des projectiles. S'il y a un chantier par exemple, les outils et les matériaux seront retirés. Mais dans le cas d'une manifestation sauvage, c'est beaucoup plus compliqué, il y a beaucoup d'incertitudes. La tenue des CRS sera directement de type défensive. Ils s'attendent automatiquement à des affrontements alors que, dans le cas d'une manifestation déclarée, ils partent du principe qu'il y aura une escalade visible avant d'éventuels affrontements.
Quelle est leur principale mission?
Les CRS, pour ne prendre qu'eux, assurent le maintien de l'ordre. C'est-à-dire qu'ils assurent à la fois la liberté de manifester, et la liberté de se déplacer. Maintenir ces deux impératifs sans que l'un n'empiète sur l'autre, c'est la mission des CRS.
De quels outils disposent-ils?
Ça commence au porte-voix et ça finit au canon à eau. C'est le grand spectre, qui comprend des éléments aussi bien défensifs qu'offensifs. Depuis 50 ans, en France, selon la doctrine de la police, on ne tire normalement jamais sur la foule, à l'inverse des États-Unis, de l'Allemagne ou de l'Italie. Les tirs de lacrymo par exemple doivent être envoyés en cloche, et non pas en tirs tendus qui sont interdits. Or, le flash-ball est une arme qui a vocation à être en tir tendu.
Cette exception est-elle responsable d'abus?
Cette arme - dite de neutralisation - pose un gros problème, et marque un changement radical de comportement de la part de la police. Les compagnies d'intervention, dans leur ensemble, peuvent maintenant tirer sur la foule. Et comme on insiste sur son côté non-létal, les policiers ont tendance à le dégainer plus facilement, plus "naturellement". C'est pour ça qu'on voit de plus en plus de blessés par armes dans les manifs. Il existe bien une doctrine d'emploi, un manuel avec les règles d'engagement, les calibres et les distances minimales requises pour tirer, mais les policiers qui tirent réagissent parfois en passant outre ces règles. Et c'est sur ce point que l'IGS devra travailler. Le flash-ball a-t-il été employé dans «les règles de l'art» [hier à Montreuil, ndlr]? Si l'IGS répond non, le policier devra être sanctionné. Et la chaîne de commandement aura des comptes à rendre.
Qui donne l'ordre de tirer?
Pour le flash-ball, son utilisation peut être décidé par celui qui dirige sur place, pas forcement par la hiérarchie d'en haut. Il serait néanmoins intéressant de savoir quels ont été les ordres généraux donnés hier par la Préfecture de Seine-Saint Denis, compétente. Tant qu'on ne saura pas ça, on ne pourra pas savoir s'il y a radicalisation ou non de la part de la police, et de l'autorité civile. Rappelons que l'actuel Préfet de Seine Saint Denis est Christian Lambert, ancien Directeur central des CRS, notamment lors du mouvement anti-CPE.
Pourquoi laisse-t-on parfois les casseurs s'«exprimer»?
La police fait ce qu'elle appelle tout à fait officiellement de la "gestion patrimoniale". Laisse-t-on les dégradations s'opérer? Jusqu'où? Le principe est celui de la cocotte-minute, on essaye de faire retomber la pression en espérant que la situation se calme ensuite par elle-même. Un ancien Préfet de Police de Paris avait une litote pour ça, il disait: "on laisse les jeunes s'exprimer". Ensuite, si ça dure trop longtemps ou si l'autorité estime qu'il y a danger, la charge est donnée. Mais cette solution intervient, en théorie, en dernier recours. Un autre point à savoir est que le moment des dégradations est aussi utilisé par la police pour renouveler son stock... de photos et de fiches.