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vendredi 31 décembre 2010

Taser et flashball bientôt à la barre [L'Humanité]

29 décembre 2010

Deux informations judiciaires ont été ouvertes après le décès de deux hommes. 

Une information judiciaire contre X pour « homicide involontaire » a été ouverte, lundi, par le parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine) dans le cadre de l’enquête sur la mort d’un sans-papiers malien, décédé après avoir été touché par deux tirs de Taser, à Colombes (Hauts-de-Seine), le 29 novembre. L’autopsie avait conclu à un décès dû à « une asphyxie aiguë et massive par inhalation de gaz ». Le médecin légiste avait également noté que les « poumons étaient inondés de sang » et que le cœur était « dur et contracté possiblement en lien avec l’utilisation du Taser ». La semaine dernière, une information contre X pour « homicide involontaire » a également été ouverte par le parquet de Marseille après la mort de Mostefa Ziani, quarante-trois ans, décédé le 13 décembre, au lendemain d’un tir de Flash-Ball.

Devant la multiplication des incidents, politiques et associations se sont saisis de la question, réclamant une enquête générale indépendante. À la Mairie de Paris, le groupe communiste et élus du Parti de gauche réclame « un moratoire sur l’utilisation, par les forces de l’ordre, du Taser et des autres armes de 4e catégorie dans l’attente de son interdiction ». Pour Ian Brossat, président du groupe, « on ne peut pas imaginer que le gouvernement en reste à cette hypocrisie qui considère que ces armes ne sont pas dangereuses alors que les faits divers se multiplient. On a des preuves à notre disposition, il faut en tirer les conséquences et renoncer à l’usage du Flash-Ball et du Taser, tant qu’il n’y a pas de remise à plat générale. » « Nous ne sommes pas hostiles à la dotation de ces armes, mais nous voulons un point d’évaluation sur leurs nombres, leurs conditions d’usage et les moyens consacrés à la formation », estime de son côté Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national du PS à la sécurité. Qui réclame que l’Assemblée nationale lance « une mission d’information sur l’usage de ces armes et les conditions d’ouverture du feu ».
M.F.

Société - le 29 Décembre 2010
Sécurité

Le Flash-Ball, outil de flicage des banlieues et des manifs

Symbole de la politique sécuritaire, cette arme dite « non létale » a vu son usage se banaliser. Hier réservée aux situations extrêmes, elle est devenue un outil classique du maintien de l’ordre. À l’origine de plusieurs accidents graves, voire mortels.
Il est classé catégorie 4, comme les petits revolvers. Pourtant, le Flash-Ball est arrivé dans l’arsenal des policiers assorti d’un lexique destiné à le dédramatiser. Arme à « létalité atténuée », voire « non létale », elle frappe sans tuer. En théorie, du moins. Car le décès d’un homme à Marseille lundi 13 décembre, dernière d’une longue liste d’accidents, a de nouveau mis à mal la sémantique du ministère de l’Intérieur. « Au fond, savoir si l’arme est censée être létale ou non létale est secondaire, souligne Fabien Jobard, chercheur au CNRS. C’est le droit qui prime la technique et non l’inverse. Donc, ce qui compte, c’est de savoir si l’arme a été adaptée à la situation dans laquelle elle est utilisée. C’est le contexte d’emploi qui dit la vérité de l’arme. » Or, justement, le contexte d’emploi de l’arme a radicalement changé, avec la récente modification de sa doctrine d’utilisation.

Renforcer l’arsenal et faire peur aux jeunes

À l’origine, le Flash-Ball n’était pas mis entre toutes les mains. Dans les années 1990, on en réservait l’usage aux unités spécialisées (antigang, Raid) et aux situations extrêmes. Les révoltes urbaines de Clichy-sous-Bois en 2005 et de Villiers-le-Bel en 2007 ont changé la donne. Il fallait renforcer l’arsenal des policiers et faire peur aux jeunes. L’engin est utilisé à présent pour les « violences urbaines », qui restent mal définies, et le maintien de l’ordre en général. « Aujourd’hui, l’habilitation est délivrée après un entraînement de six heures et cinq tirs ; et chaque année, l’agent habilité repasse en centre de tir pour un “recyclage” avec des tirs de deux à cinq cartouches », explique Éric Grimbert, secrétaire national à la formation du syndicat de policiers Alliance. Banalisé, l’engin massif au double canon est devenu le symbole de la politique sécuritaire dans les quartiers sensibles.

Dotés du LBD 40x46, plus puissant, les CRS sont parfois critiques sur l’utilité du Flash-Ball. « Ça ne sert à rien et c’est dangereux. C’est en progressant qu’on fait reculer des manifestants », estime Philippe Capon, de l’Unsa police. Néanmoins, pour les syndicats de policiers, le « gomme-cogne », son nom officiel, reste une alternative sécurisante par rapport à l’arme de service. Denis Jacob, d’Alliance, et Yannick Danio, d’Unité police, se rejoignent ainsi pour dire que « lorsqu’un agent se retrouve en situation de légitime défense, mieux vaut qu’il fasse usage d’un Flash-Ball que de son 9 mm ». L’argument porte. Mais Christian Mouhanna, sociologue au CNRS, spécialiste des questions de police, met un bémol : « Le Flash-Ball n’a pas le même statut que l’arme de service, dont on hésite à se servir. Le Taser et le Flash-Ball sont a priori non létaux, donc leur utilisation est plus facile. Ils ont un effet désinhibant. » Les policiers appuieraient donc plus facilement sur la gâchette.

« Dans les cas que nous avons étudiés, jamais une arme à feu n’aurait été sortie, assure Benoît Narbey, secrétaire général de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Les policiers ne font jamais de contrôle d’identité avec un 9 mm au poing, comme c’est le cas avec un Flash-Ball. » Pour le responsable de la CNDS, « on peut considérer que, théoriquement, dans une situation où on n’utiliserait pas d’arme à feu, on n’a pas à utiliser un Flash-Ball. Même si on peut entendre les arguments des policiers sur le caractère rassurant de cette arme. »

Autre dimension du problème : le modèle du maintien de l’ordre est désormais appliqué en police quotidienne. Pour Christian Mouhanna, « on privilégie une logique d’affrontement plutôt que la police de proximité. Il n’y a pas de stratégie de prise de contact ou de dialogue. Les policiers préfèrent se tenir à distance, quitte à pousser les gens en face à se tenir aussi à distance ».
Mehdi Fikri