Société 07/01/2011 à 12h44
Flash-ball : « On en sait désormais assez pour changer la loi »
Après deux nouveaux blessés à Rennes et un mort à Marseille le mois dernier, l'arme dite «non létale» est plus que jamais contestée. Le point sur le débat.
Deux personnes ont porté plainte à Rennes après avoir été blessées par un tir de flash-ball ou d'une arme similaire, samedi 18 décembre, en marge d'altercations entre militants anti-Loppsi 2 et forces de l'ordre. Dans les deux cas, «selon les premiers éléments de l'enquête, ces personnes étaient des passants» et n'avaient donc rien à voir avec la manifestation, a déclaré à l'AFP la procureure adjointe, Brigitte Ernoult-Cabot.
Il s'agit d'une femme de 58 ans et d'un homme de 37 ans. La première, choquée, souffre de lésions à un sein ; le second, tombé inconscient, a dû recevoir treize points de suture au front entre les deux yeux. Ce qui, avec lui, porte à onze le nombre de victimes touchées en pleine tête par les tirs de flash-ball de la police depuis 2005. Des «gueules cassées», et un mort, le premier. C'était le 13 décembre dernier à Marseille : un homme de 43 ans succombait à «un œdème pulmonaire», provoqué par un arrêt cardiaque à la suite d'un tir de flash-ball reçu la veille en plein thorax.
« Cas très exceptionnels »
Mis en cause, les policiers rétorquent qu'il vaut mieux utiliser le flash-ball, arme dite à «létalité atténuée» voire «non létale», que l'arme à feu. «La question n'est pas de savoir s'il faut choisir entre les deux», tranche Jean-Pierre Mignard, avocat d'une victime, un lycéen frappé au visage le 14 octobre dernier à Montreuil. «L'utilisation du flash-ball n'est pas mise en cause. Ce sont les circonstances dans lesquelles les policiers s'en servent qui l'est.»
Dans une note du 5 février 2009, la Direction générale de la Police nationale (DGPN) énumérait les situations dans lesquelles un policier peut faire usage du flash-ball : «légitime défense de soi-même ou d'autrui (article 122-5 du Code Pénal), état de nécessité (article 122-7), dispositions sur l'attroupement (article 431-3), interventions dans les établissements pénitentiaires.»
Or, un an plus tard, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), autorité indépendante veillant au respect de la déontologie par les professions de sécurité, apportait une précision importante: «Compte tenu d'une part de l'imprécision des trajectoires de tirs de flash-ball qui rendent inutiles les conseils d'utilisation théoriques et, d'autre part, de la gravité comme de l'irréversibilité des dommages collatéraux manifestement inévitables qu'ils occasionnent, la CNDS recommande de ne pas utiliser cette arme lors de manifestations sur la voie publique, or les cas très exceptionnels qu'il conviendrait de définir très strictement.»
Proposition de loi
Ces «cas exceptionnels» constituent aujourd'hui la base d'une proposition de loi présentée par vingt sénateurs, dont Dominique Voynet, et enregistrée à la Présidence du Sénat le 3 novembre dernier. Celle-ci vise «à interdire l'utilisation d'armes de quatrième catégorie par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations, leur commercialisation ou leur distribution pour des polices municipales ou des particuliers.»
Entre autres, le texte propose de durcir le quatrième alinéa de l'article 431-3 du Code Pénal en vigueur, en précisant que les policiers appelés en vue de dissiper un attroupement ne peuvent faire usage de la force «que dans les circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d'une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique.»
«Ce texte trouve son intérêt et sa justification dans les déclarations du ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, qui demande de limiter l'usage de la force au strict nécessaire», et du préfet de police de l'agglomération parisienne Michel Gaudin, qui enjoint ses hommes à employer l'arme avec «parcimonie et discernement» argumente Jean-Pierre Mignard.
En attendant que la proposition de loi soit mise à l'ordre du jour, la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat a demandé, lors d'une séance publique le 16 décembre, à Brice Hortefeux s'il comptait proclamer un moratoire sur l'utilisation du flash-ball. Jean-Pierre Mignard conclut : «Pourquoi un moratoire ? On en sait désormais assez pour changer la loi !»