Jeune éborgné par un gomme-cogne en 2007: la légitime défense en question
Philippe SCHWAB
Le procès d'un policer, accusé d'avoir éborgné un adolescent de 16 ans avec une arme à balles souples (gomme-cogne) lors d'une manifestation en 2007 à Nantes, s'est centré mardi sur la notion de légitime défense et sur l'usage controversé de ces armes contre des manifestants.
"La question centrale est celle du caractère manifestement illégal ou non de l'acte. S'il n'y avait pas légitime défense, l'acte était manifestement illégal", a d'emblée posé le président de l'audience au tribunal de grande instance de Nantes, Bruno Sansen.
Les faits s'étaient produits le 27 novembre 2007, devant le rectorat de Nantes, lors d'une manifestation de lycéens opposés à la loi Pécresse sur l'autonomie des universités. La victime, Pierre Douillard, a perdu l'usage d'un oeil et deux autres manifestants avaient été hospitalisés pour blessures à la tête.
L'arme utilisée, un LBD40, à la portée et à la précision supérieures au gomme-cogne de marque Flash-Ball, se trouvait alors en phase d'expérimentation. Ce modèle a depuis intégré la panoplie des forces de l'ordre.
Le prévenu, âgé de 25 ans au moment des faits et alors membre de la compagnie départementale d'intervention, a reconnu avoir fait usage de son arme à une reprise mais nie avoir tiré sur la victime, disant avoir visé et touché un jeune plus âgé.
Selon lui, la légitime défense était constituée en raison de "tirs de projectiles" des manifestants, qui étaient séparés des forces de l'ordre par les grilles du rectorat.
- "Dès qu'il y a jet de projectiles il y a légitime défense ?", s'est interrogé le président.
- "C'est ce qui nous a été dit", a répondu le policier.
- "Pourtant, au départ, le LBD40 avait été conçu pour riposter à des armes réelles", comme celles utilisées lors des émeutes en région parisienne en 2005, a relevé le magistrat.
En 2007, période d'expérimentation du LBD40, l'usage de celui-ci n'était encadré par aucun protocole formel, a reconnu le policier. "On avait juste reçu le livret d'utilisateur. On n'avait aucune instruction concernant les (tirs sur) mineurs".
Trois autres militants éborgnés par des armes à balles souples ces dernières années assistaient à l'audience, dont le réalisateur Joachim Gatti, blessé en 2009 à Montreuil (Seine-Saint-Denis), et cité comme témoin par les parties civiles.
"Ce qui est arrivé à Pierre n'est pas une bavure, un acte isolé. Nous sommes nombreux à avoir été mutilés, à avoir perdu un oeil, une mâchoire arrachée ou de graves troubles auditifs", a-t-il déclaré.
Egalement entendu comme témoin, un autre policier, qui avait fait usage de son gomme-cogne lors de la manifestation à Nantes (un Flash-Ball), a lui aussi justifié la situation de légitime défense, avançant que "les manifestants étaient très nombreux" et que ça pouvait "dégénérer très rapidement".
"Avec le Flash-Ball, c'est impossible de viser précisément. Je vise sur une masse de manifestants qui vient à notre rencontre", a-t-il reconnu.
"Mais ce n'est pas une arme qu'on utilise contre un groupe de personnes! C'est une situation du tir aveugle, vous ne savez pas ce que vous touchez!", s'est étonné le président.
Avocat du policier prévenu, Me Laurent-Franck Lienard a relevé un "manque de certitudes dans ce dossier", affirmant qu'il n'existait "aucune preuve formelle" que la blessure de l'adolescent ait été causée par une balle souple.
Il récuse ainsi les conclusions de l'instruction et d'une enquête de l'IGPN, qui avaient souligné qu'il n'existait "aucun doute" sur l'identité du tireur, et conclu à une blessure par balle de LBD40.
Le parquet avait requis un abandon des poursuites, jugeant que la responsabilité pénale du policier ne pouvait être engagée en l'espèce.
Les débats se poursuivront mercredi.