A Nantes, le flash-ball devant la justice
Le procès d’un policier accusé de violence volontaire contre un mineur blessé à l’œil lors d’une manifestation étudiante s’est tenu mardi 8 et mercredi 9 à Nantes.
Si la relaxe a été requise, les avocats de la victime dénoncent un usage illégal de la force à l’encontre du jeune homme.
D’un côté, les proches de la victime, accompagnés de militants des droits de l’homme. De l’autre, des policiers, venus en nombre soutenir leur collègue. Durant deux jours, le tribunal correctionnel de Nantes a vu s’opposer deux univers et deux versions des faits. Le prévenu, gardien de la paix de 29 ans, comparaissait pour violence volontaire avec arme par une personne dépositaire de l’autorité publique.
Un procès très attendu par le plaignant, Pierre Douillard, gravement blessé à l’œil droit lors d’une manifestation. « De face, je ne vois plus rien et sur le côté, je ne saisis que des mouvements », raconte celui qui avait 16 ans lors de l’impact. Les médecins ne prédisent pas d’amélioration possible, malgré deux opérations. « Comme l’œil gauche travaille plus, ma vision va forcément se dégrader » , dit ce grand brun au teint pâle, étudiant en histoire. Son père évoque une blessure « très angoissante qui touche à l’intime de l’être ».
DES VERSIONS QUI DIVERGENT
Les faits remontent au 27 novembre 2007. Lors d’une manifestation lycéenne et étudiante contre la loi sur l’autonomie des universités, des centaines de jeunes pénètrent dans le parc du rectorat de Nantes avant d’être repoussés par les forces de l’ordre. Des jets de projectile conduisent alors deux policiers à utiliser leur lanceur de balle de défense.
À partir de là, les versions divergent. Pierre Douillard affirme avoir vu un policier le viser avec son LDB 40, une arme proche du flash-ball, à la portée plus précise et en cours d’expérimentation à l’époque. Or, si ce dernier reconnaît avoir tiré sur un manifestant et l’avoir atteint à la tête alors qu’il visait le thorax, il soutient qu’il ne s’agit pas de Pierre Douillard mais d’un autre jeune, blessé à l’arrière du crâne ce même soir.
Le défilé de témoins, la diffusion de vidéos et les déclarations des protagonistes n’ont pas permis d’établir les circonstances exactes du drame. Mais ces deux jours d’audience ont offert un éclairage sur l’utilisation des lanceurs de balle. Avant de tirer sur le manifestant, le policier n’avait utilisé son LDB sur des « cibles » en mouvement qu’une seule fois, pour disperser des personnes violentes lors d’une fête nantaise. Auparavant, il avait reçu une formation d’une demi-journée sur des cibles fixes. Un policier de la brigade anticriminalité, qui a utilisé un flash – ball ce soir-là, a raconté avoir volontairement visé les jambes des manifestants en tirant à genoux. « Ils étaient jeunes et je ne voulais pas blesser quelqu’un gravement » . L’enquête montrera qu’il avait atteint une étudiante à l’abdomen.
UNE AFFAIRE COMPLEXE
Reste le fond du dossier. Pour les avocats de la victime et de la Ligue des droits de l’homme, également partie civile, l’utilisation de ces armes contre de jeunes manifestants était disproportionnée et le policier n’aurait pas dû répondre à l’ordre de tir lancé par son supérieur. Pour l’avocat du prévenu, cet acte « n’est pas légalement répréhensible . On ne peut pas dire à un policier qui respecte la loi qu’il va faire sept ans de prison [peine maximale encourue] ».
Dans son réquisitoire, le procureur a reconnu que le tribunal devait dénouer une affaire complexe. En effet si, pour lui, il ne fait pas de doute que le policier a tiré sur Pierre Douillard, causant sa blessure irrémédiable à l’œil, cet acte n’est pas pour autant illégal dans la mesure où le gardien exécutait un ordre de sa hiérarchie. Cette dernière n’a pas été entendue lors du procès. Le jugement a été mis en délibéré au 3 avril.
Florence Pagneux