libellés

jeudi 5 décembre 2013

Mayotte : le gendarme renvoyé aux assises : article du journal de la Réunion

 clicanoo.re / Le journal de la Réunion

Affaire Nassuir Oili : le gendarme attendu aux assises

Nassuir Oili, lorsqu’il a été hospitalisé à l’hôpital de Saint-Pierre.
La famille de l’enfant tente avec difficulté d’y retourner avec lui pour poursuivre les soins.

 
Il invoque la légitime défense. Les trois ans d’enquête ont conclu à un crime. Le gendarme qui a crevé l’œil d’un petit garçon à Mayotte sera jugé par une cour d’assises. L’instruction a permis de révéler d’autres violences commises par certains de ses collègues contre un autre enfant.
Un criminel et trois délinquants en uniforme. Le juge d’instruction en charge de l’affaire Nassuir Oili a tranché. Les gendarmes impliqués dans la mutilation de ce Mahorais de 11 ans devront répondre de leurs actes devant une cour d’assises et un tribunal correctionnel d’ici quelques mois. L’ordonnance de renvoi, délivrée le 7 octobre dernier par le juge Marc Boehrer, accuse Boris Roumiantseff de crime de violences aggravées ayant entraîné une infirmité permanente. En clair, avoir crevé l’œil droit du petit garçon par un tir de flash-ball. C’était il y a trois ans, à Mayotte. À l’époque, l’île vit au rythme de manifestations et d’émeutes contre la vie chère. Des militaires ont été envoyés de métropole en renfort. Boris Roumiantseff fait partie du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (psig). Le 7 octobre 2011, ce natif de Clermont-Ferrand de 33 ans patrouille avec des collègues sur le port de Longoni. Ils essuient des jets de pierre de la part de manifestants, adultes comme enfants. Ambiance tendue. Le chef du Psig, repérant une dizaine de marmailles jouant sur la plage, se dirige vers eux. La plupart se dispersent, apeurés. Le major en attrape un et le sermonne. « Tu devrais rentrer chez toi », conseille-t-il à Nassuir Oili, 9 ans alors. Il le lâche et tourne les talons, prêt à rééditer l’opération avec un enfant encore dans les vagues. Une détonation retentit. L’adjudant Boris Roumiantseff, posté à une douzaine de mètres, vient de tirer sur Nassuir Oili. L’œil droit de l’enfant est en sang. Il ne pourra plus jamais s’en servir.

Pendant qu’il tire, un collègue gifle un autre enfant et l’attache

Tout au long de sa garde à vue, le militaire affirmera avoir voulu défendre son supérieur, et avoir visé le ventre. Le petit garçon s’apprêtait selon lui à jeter un caillou sur son collègue, et n’aurait pas obtempéré à ses sommations. Sa victime, transportée en urgence à l’hôpital de Saint-Pierre à la Réunion pour se faire opérer, nie toute tentative d’agression. La mise en accusation de Boris Roumiantseff s’appuie sur une note de la direction générale de la gendarmerie à propos de l’utilisation de flash ball : « Il appartient au militaire de ne pas (y) recourir quand la personne en cause présente un état de vulnérabilité manifeste ». Difficile de plus coller aux termes : des gendarmes harnachés pour les émeutes, contre un enfant d’1,35 mètre et 24 kilos. Même équipé d’une pierre. Le militaire persiste encore aujourd’hui à clamer sa bonne foi. « Il n’a pas eu l’impression de démériter : il considère qu’il a fait un acte qui rentrait dans ses fonctions », soutient l’un de ses avocats, Me Laurent-Franck Lienard. Selon le conseil, son client, sous contrôle judiciaire depuis et privé de terrain, est « maltraité depuis le début par l’institution judiciaire ». Son renvoi devant la cour d’assises de Mayotte le fait fulminer, mais ne l’étonne pas. Me Saïd Larifou, chargé par la famille de Nassuir Oili de le défendre, se félicite de cette décision. « Il s’agit d’une mutilation. D’une violence gratuite, que la partie adverse a voulu justifier. Soit disant il s’agit de légitime défense. Mais c’est une insulte à la vérité. Le garçon était sur la plage pour jouer. Rien d’autre. » Les différents témoignages recueillis lors de l’enquête, même parmi les collègues de l’accusé, n’évoquent en effet à aucun moment de l’agressivité d’un groupe d’enfants présents au passage de la patrouille. C’est même plutôt l’inverse. Alors que Boris Roumiantseff utilisait son flashball, l’un de ses collègues donnait une gifle à un camarade de Nassuir Oili, âgé de 8 ans, avant de lui attacher les poignets avec du Serflex et le forcer à monter dans son véhicule. Première version du chef Bruno Robert : il voulait intimider le marmaille et obtenir le nom de meneurs d’émeutes. Deuxième version : il voulait éviter un accident, ayant fait asseoir sa victime à côté d’une caisse de grenades. Bruno Robert devra s’explique au tribunal correctionnel pour violence sur mineur. Deux de ses collègues l’accompagneront à la barre. Présents à ce moment, ils n’ont rien fait pour défendre le petit garçon.

Emeraude Zorer