clicanoo.re / Le journal de la Réunion
Affaire Nassuir Oili : le gendarme attendu aux assises
Nassuir
Oili, lorsqu’il a été hospitalisé à l’hôpital de Saint-Pierre.
La
famille de l’enfant tente avec difficulté d’y retourner avec lui pour
poursuivre les soins.
Il
invoque la légitime défense. Les trois ans d’enquête ont conclu à un
crime. Le gendarme qui a crevé l’œil d’un petit garçon à Mayotte sera
jugé par une cour d’assises. L’instruction a permis de révéler d’autres
violences commises par certains de ses collègues contre un autre enfant.
Un criminel et trois délinquants en
uniforme. Le juge d’instruction en charge de l’affaire Nassuir Oili a
tranché. Les gendarmes impliqués dans la mutilation de ce Mahorais de 11
ans devront répondre de leurs actes devant une cour d’assises et un
tribunal correctionnel d’ici quelques mois.
L’ordonnance de renvoi, délivrée le 7 octobre dernier par le juge Marc
Boehrer, accuse Boris Roumiantseff de crime de violences aggravées ayant
entraîné une infirmité permanente. En clair, avoir crevé l’œil droit du
petit garçon par un tir de flash-ball.
C’était il y a trois ans, à Mayotte. À l’époque, l’île vit au rythme de
manifestations et d’émeutes contre la vie chère. Des militaires ont été
envoyés de métropole en renfort.
Boris Roumiantseff fait partie du peloton de surveillance et
d’intervention de la gendarmerie (psig). Le 7 octobre 2011, ce natif de
Clermont-Ferrand de 33 ans patrouille avec des collègues sur le port de
Longoni. Ils essuient des jets de pierre de la part de manifestants,
adultes comme enfants. Ambiance tendue.
Le chef du Psig, repérant une dizaine de marmailles jouant sur la plage,
se dirige vers eux. La plupart se dispersent, apeurés. Le major en
attrape un et le sermonne. « Tu devrais rentrer chez toi »,
conseille-t-il à Nassuir Oili, 9 ans alors. Il le lâche et tourne les
talons, prêt à rééditer l’opération avec un enfant encore dans les
vagues.
Une détonation retentit. L’adjudant Boris Roumiantseff, posté à une
douzaine de mètres, vient de tirer sur Nassuir Oili. L’œil droit de
l’enfant est en sang. Il ne pourra plus jamais s’en servir.
Pendant qu’il tire, un collègue gifle un autre enfant et l’attache
Tout au long de sa garde à vue, le militaire affirmera avoir voulu
défendre son supérieur, et avoir visé le ventre. Le petit garçon
s’apprêtait selon lui à jeter un caillou sur son collègue, et n’aurait
pas obtempéré à ses sommations. Sa victime, transportée en urgence à
l’hôpital de Saint-Pierre à la Réunion pour se faire opérer, nie toute
tentative d’agression.
La mise en accusation de Boris Roumiantseff s’appuie sur une note de la
direction générale de la gendarmerie à propos de l’utilisation de flash
ball : « Il appartient au militaire de ne pas (y) recourir quand la
personne en cause présente un état de vulnérabilité manifeste ».
Difficile de plus coller aux termes : des gendarmes harnachés pour les
émeutes, contre un enfant d’1,35 mètre et 24 kilos. Même équipé d’une
pierre.
Le militaire persiste encore aujourd’hui à clamer sa bonne foi. « Il n’a
pas eu l’impression de démériter : il considère qu’il a fait un acte
qui rentrait dans ses fonctions », soutient l’un de ses avocats, Me
Laurent-Franck Lienard. Selon le conseil, son client, sous contrôle
judiciaire depuis et privé de terrain, est « maltraité depuis le début
par l’institution judiciaire ». Son renvoi devant la cour d’assises de
Mayotte le fait fulminer, mais ne l’étonne pas.
Me Saïd Larifou, chargé par la famille de Nassuir Oili de le défendre,
se félicite de cette décision. « Il s’agit d’une mutilation. D’une
violence gratuite, que la partie adverse a voulu justifier. Soit disant
il s’agit de légitime défense. Mais c’est une insulte à la vérité. Le
garçon était sur la plage pour jouer. Rien d’autre. » Les différents
témoignages recueillis lors de l’enquête, même parmi les collègues de
l’accusé, n’évoquent en effet à aucun moment de l’agressivité d’un
groupe d’enfants présents au passage de la patrouille. C’est même plutôt
l’inverse.
Alors que Boris Roumiantseff utilisait son flashball, l’un de ses
collègues donnait une gifle à un camarade de Nassuir Oili, âgé de 8 ans,
avant de lui attacher les poignets avec du Serflex et le forcer à
monter dans son véhicule.
Première version du chef Bruno Robert : il voulait intimider le
marmaille et obtenir le nom de meneurs d’émeutes. Deuxième version : il
voulait éviter un accident, ayant fait asseoir sa victime à côté d’une
caisse de grenades. Bruno Robert devra s’explique au tribunal
correctionnel pour violence sur mineur. Deux de ses collègues
l’accompagneront à la barre. Présents à ce moment, ils n’ont rien fait
pour défendre le petit garçon.
Emeraude Zorer