[point de vue] Flash ball : l'immunité de la violence institutionnelle
Flash ball : l'immunité de la violence institutionnelle
16 juillet 2014 |
Par
POJ
On peut préférer la bouteille à moitié pleine à celle moitié vide. Il
y a manifestement un progrès. Mais ne soyons pas dupes. Le dernier
article de Louise Fessard ne modifie rien dans la doctrine du paradigme
sécuritaire (Flashball à Montreuil : trois policiers renvoyés en correctionnelle, une première). La menace de mutilations graves persiste, sans oublier que le Flashball tue : " A
Marseille, un homme, Mostefa Ziani, est mort d’un arrêt cardiaque après
avoir été touché en plein thorax. Le flashball peut donc tuer à bout
portant et il produit des dommages qui ne sont en rien des accidents. " (source).
La lecture de l'article de Louise Fessard amène à s'interroger sur le
sens d'une justice qui cognerait sur les exécutants en épargnant les
véritables responsables.
La question se pose d'autant, en l'espèce, que la faute de la
hiérarchie est établie quand on lit sous la plume de Louise Fessard que "
Aucun des policiers tireurs n’avait bénéficié du stage de recyclage
règlementaire, alors que leur habilitation au Flashball remontait à
plusieurs années (près de sept ans pour l’un). Et les fonctionnaires
n’avaient reçu aucune consigne de leur hiérarchie sur l’utilisation de
cette arme lors de l’intervention. " alors que la hiérarchie a une obligation de résultat en matière de formation selon la déontologie (voir art. R. 434-3 : I.).
L'instruction n'a donc pas tiré toutes les conclusions qui s'imposaient.
La justice n'est pas rendue au kilo.
On ne peut pas se satisfaire d'une condamnation de seconds-couteaux. Ce serait ajouter de l'injustice à l'injustice.
Les policiers renvoyés devant le tribunal doivent invoquer en défense
cette erreur en sollicitant un supplément d'information sur la
responsabilité de la hiérarchie lors du procès. Les victimes devraient
également le faire
L'article permet de découvrir l'existence de négociations entre la
police et les victimes pour accepter une correctionnalisation,
c'est-à-dire transformer une infraction qualifiée crime, relevant de la
Cour d'assises, en délit : " En accord avec les victimes, (...), ces
« faits criminels » ont en effet été « artificiellement » requalifiés en
faits délictuels. ".
Depuis quand la police est de nature à modifier l'interprétation du droit pénal ?
La correctionnalisation de l'infraction est une cause de nullité, c'est un moyen de cassation.
En effet, le tribunal correctionnel n'est pas compétent pour juger des faits qualifiés crimes par le code pénal (ex. : Flashball : un gendarme renvoyé devant les assises, voir aussi cet article)
et le droit pénal est d'interprétation stricte (article111 -5 du code
pénal). La police est donc en mesure de faire casser les poursuites
devant la Cour de cassation et priver ainsi les victimes, en dernier
recours, de voir leur préjudice indemnisé...
La correctionnalisation apparaît donc comme un risque pour les
victimes d'épargner la police. Ce n'est pas non plus demain que la
menace des mutilations qui entrave l'exercice effectif de la liberté
publique de manifester cessera si les responsables de la police, voire
le préfet, continuent de donner des ordres tout en s'abritant de leurs
conséquences néfastes en se défaussant sur leur petit personnel.
Une telle solution viole l'article 13 de la Convention européenne des
droits de l'Homme et l'avis du commissaire européen aux droits de
l'Homme sur le règlement independant et efficace des plaintes contre la police (voir aussi la convention européenne des droits de l'homme et la police , le Code européen d'éthique de la police et Procédure criminelle et droits de l'homme ).
Cela fait grief au droit à un procès équitable et aux obligations
positives de l'Etat à garantir l'effectivité des droits de l'Homme.
Un syndicat au ministère de l'intérieur est pour le désarmement de la
police, notamment du flashball. Les gardiens de la paix - que leur
hiérarchie sacrifie pour sauver la carrière de deux cadres A de
l'administration - devraient peut-être s'intéresser à ce que ce
syndicat dit, pour étoffer leur défense.
La lecture de l'article de Louise Fessard inspire le sentiment de
lire la chronique d'une époque révolue, celle d'une justice de classe
sur mesure pour une police de castes.
Où sont donc passés le droit des victimes tant revendiqué par les
promoteurs du paradigme sécuritaire et les principes fondamentaux de
l'article préliminaire du code de procédure pénale ?
Il y a d'autant plus de raison à s'interroger sur cette procédure
quand le code de procédure pénale (ses art. 12 et 13) placent les deux
OPJ cadre A sous la surveillance et le contrôle du ministère public.
L'absence de poursuite de la hiérarchie policière n'est-elle pas un
moyen pour le parquet de s'exonérer lui-même de sont défaut de
surveillance sur la police ?
Enfin, une fois de plus, l'absence de la Ligue des droits de l'Homme
l'affirme de jour en jour dans sa posture de commission éthique du
ministère de l'intérieur. Son silence persistant sur les abus de
violence institutionnelle s'analyse comme une caution morale. La Ligue
des droits de l'Homme pourrait au minimum se constituer partie civile
dans ces affaires, en considération de la littérature que met la Cour
européenne des droits de l'Homme précitée.