Flash-ball LBD et classement sans suite des plaintes des blessés par la police à Nantes lors de la manifestation du 22 février 2014 : plusieurs jeunes blessés, des membres de leurs familles et des amis proches écrivent à Madame Taubira le 8 mai 2015 pour lui demander de donner une instruction ministérielle générale aux parquets afin d'ouvrir systématiquement des enquêtes judiciaires indépendantes en cas de violence policière ayant provoqué une infirmité permanente.
Les blessés, familles et amis vous invitent à poser maintenant un geste personnel simple et signifiant : imprimer chez vous cette lettre (deux pages en format PDF On peut télécharger en PDF le fichier de la lettre à La Garde des sceaux ICI.), y ajouter votre signature manuscrite et envoyer le tout par la poste à l'adresse postale indiquée du Ministère de la justice. Nous comptons sur vous, en solidarité pour les blessés et pour empêcher d'autres mutilations policières en France.
Il est également possible de signer la pétition nationale contre l'usage du flashball et du LBD.
Texte de la lettre :
À Madame Taubira, Garde des sceaux
Ministère de la Justice,
13, place Vendôme
75042 Paris Cedex 01
Ministère de la Justice,
13, place Vendôme
75042 Paris Cedex 01
"car il n’est point vrai que l’oeuvre de l’homme est finie que nous n’avons rien à faire au monde que nous parasitons le monde qu’il suffit que nous nous mettions au pas du monde mais l’oeuvre de l’homme vient seulement de commencer et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur"
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal
Madame la Garde des sceaux,
En tant que parents et amis de Quentin Torselli, Damien Tessier et Emmanuel Derrien, trois jeunes gens gravement blessés par des tirs policiers lors d'une manifestation à Nantes le 22 février 2014, marqués désormais par des infirmités permanente de la vision causées par ces tirs de flash-ball Lanceur de balles de défense (LBD), nous tenons à faire part de notre consternation à l'annonce dans la presse de la décision de madame Brigitte Lamy, procureure à Nantes, de classer sans suite leurs plaintes contre X pour violences volontaires, au motif que « L’examen de cette procédure ne justifie pas de poursuite pénale au motif que : les faits ou les circonstances des faits dont vous vous êtes plaint n’ont pu être clairement établis par l’enquête. Les preuves ne sont donc pas suffisantes pour que l’affaire soit jugée par un tribunal. »
Nous nous étonnons de cette décision, car elle créée une rupture illogique et porteuse d'inéquité avec la politique précédente du Parquet de Nantes, qui, par décision du procureur Xavier Ronsin, le 10 juillet 2008, dans une affaire similaire (celle du jeune lycéen nantais Pierre Douillard-Lefevre, gravement mutilé déjà par un LBD au cours d'une manifestation, à l'âge de 16 ans) avait annoncé l'ouverture d'une information judiciaire contre X pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à 8 jours, avec la circonstance que les faits ont été commis avec arme par une personne dépositaire de l'autorité publique ». Il avait alors confié le dossier à deux juges d'instruction indépendants afin de garantir le sérieux et l'impartialité de l'enquête (même si comme on le sait, le policier tireur a été ensuite relaxé au motif qu'il aurait obéi à un ordre non manifestement illégal de sa hiérarchie).
Or, nous savons que Madame Brigitte Lamy ne peut avoir pris cette décision de classement sans suite sur instruction de votre chancellerie, car depuis la loi du 25 juillet 2013, le ministère de la Justice s'interdit désormais d'adresser aucune instruction dans les affaires individuelles, et ignore la notion de « dossier particulièrement signalé ».
Cependant, cette décision de classement par le Parquet de Nantes a provoqué,dernièrement un communiqué alarmé signé le 5 mai dernier par la Ligue des droits de l'Homme, le Syndicat de la Magistrature et le Syndicat des avocats de France, affirmant notamment : « Quand une opération de maintien de l’ordre se termine par une atteinte corporelle irréversible, connaître les conditions dans lesquelles les forces de police ont opéré est légitime. C’est pourquoi nous demandons que la vérité soit établie sur les manières, circonstances et conditions dans lesquelles chacune des personnes blessées l’a été, que les responsabilités soient recherchées et par conséquent la justice rendue. (…) En outre, nous réaffirmons que pouvoir contester collectivement ce que l’on estime être injuste, c’est exercer une liberté publique fondamentale. Manifester publiquement est une des nombreuses formes d’expression de la citoyenneté et de la démocratie ainsi que de leur apprentissage. Elle ne doit pas conduire à une mise en danger. »
Par ailleurs, nous constatons avec grand regret que le 2 avril dernier à Montbéliard, un juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu à l'égard d'un policier mis en examen pour avoir tragiquement blessé Ayoub Bouthara, un jeune de 17 ans qui attendait son bus, et qu'il y a eu également classement sans suite le 26 janvier de cette année pour Yann Zoldan, cruellement touché lui aussi par un tir de flash-ball LBD à Toulouse.
Et pourtant, lorsque des affaires judiciaires suivent leurs cours jusqu'à un procès contradictoire et public, elles peuvent cependant déboucher sur une condamnation d'un policier, comme c'est arrivé pour celui qui, ayant mutilé Geoffrey Tidjani à Montreuil, a été condamné le 2 avril 2015 par le tribunal de Bobigny à de la prison avec sursis et à une interdiction temporaire d'exercer qui est, nous semble-t-il, une mesure élémentaire de prévention de dramatiques désordres ultérieurs.
Mais si les justiciables rendus infirmes à vie voient le plus souvent leurs affaires classées avant même d'être instruites et encore moins jugées, ne pourrait-on pas craindre que la justice aurait reculé dernièrement, par rapport à l'époque du précédent mandat présidentiel de Monsieur Sarkozy ?
En conséquence, par cette présente lettre, nous vous demandons, madame le Garde des Sceaux, dans le respect de la loi du 25 juillet 2013, de donner une instruction générale à tous les procureurs généraux et parquets de France, sans aucune considération de cas particuliers signalés, dans un souci de bonne administration de la justice et de la cohérence de son application sur tout le territoire de la République, afin d'enjoindre tous les parquets d'engager systématiquement des enquêtes judiciaires lorsqu'il y a suspicion de violences policières volontaires avec armes ayant provoqué une infirmité permanente (ce qui juridiquement constitue un crime aggravé passible de la Cour d'Assises, selon les articles 222-9 et 222-10 du Code pénal), et d'en confier toujours le dossier à des juges d'instruction indépendants.
Cette décision honorerait votre fonction et serait de nature à restaurer la confiance dans la Justice et le vivre ensemble dans la République.
Dans cette attente, confiants et attentifs, nous vous prions de croire, Madame Taubira, en notre haute considération.
Premiers signataires à la date du 8 mai 2015 :
Nathalie TORSELLI, mère de Quentin ; Frédéric TORSELLI, père de Quentin ; Yves MONTEIL, photojournaliste, témoin ; Olivier FAVIER, amis des victimes et écrivain ; Emeric CLOCHE, ami des blessés ; Caroline de BENEDETTI, amie des blessés ; Emmanuelle LEFEVRE, mère d'un blessé ; Luc DOUILLARD, père d'un blessé ; Marion LORET-TORSELLI, soeur d'un blessé ; Félix DOUILLARD-LEFEVRE, frère d'un blessé ; Laurent MESSAGER, ami des blessés ; Marc VAYER, ami des blessés (groupe de travail du « 27 novembre 2007 ») ; Catherine OUVRARD, amie des blessés (groupe de travail du « 27 novembre 2007 ») ; Marc DOUILLARD-LEFEVRE, frère d'un blessé ; Quentin TORSELLI, mutilé par la police ; Pierre DOUILLARD-LEFEVRE, mutilé par la police ; Clara GERHARDS, amie des blessés.
J'ajoute ici ma signature associée à cette lettre (personne physique avec qualité telle que « famille d'un blessé », « ami des blessés », « simple citoyen », organisation démocratique, élu ou personnalité).
Signature :