Se faire tirer dessus au Flash-Ball quand on est supporter n’est
manifestement pas si grave. C’est ce qui ressort du peu d’écho qu’a reçu
la grave blessure à l’œil par un caoutchouc de Florent, surnommé «
Casti
», jeune supporter montpelliérain de 22 ans. Une blessure pour rien,
autant le dire de suite. Car tout est parti d’un événement anodin qui
n’aurait jamais dû aboutir à une telle issue.
Un fumigène qui tombe d’une pocheDeux
heures avant la rencontre, un supporter montpelliérain marchait près
des forces de l’ordre non loin des buvettes, soit à quelques centaines
de mètres du stade de la Mosson, avec un fumigène – évidemment éteint –
dans sa poche. Les responsables des groupes ultras ayant assisté à la
scène, que
So Foot a interrogés, ont publié
un communiqué présentant leur version des faits . Selon eux, ce supporter, Kevin C., 21 ans, a fait tomber son fumigène «
par inadvertance alors qu’il marchait près des forces de l’ordre. […] Les policiers de la BAC ont voulu l’interpeller.
» Si l’introduction et l’usage d’un fumigène sont prohibés dans une
enceinte sportive, en dehors d’un stade, la possession d’un fumigène –
qui plus est éteint – n’est pas, du strict point de vue de la loi,
interdite. Ou alors, il faudrait pour les forces de l’ordre faire la
sortie de tous les magasins d’accastillage…
Aussitôt, les événements s’enchaînent. Le jeune supporter court se
réfugier vers les buvettes où des dizaines de personnes sont attablées,
dont de nombreux membres des groupes ultras locaux, la Butte Paillade et
l’Armata Ultras. Les policiers de la BAC tentent d’interpeller Kevin,
mais certains supporters s’interposent et la situation dégénère (d’une
manière plus ou moins grave selon les points de vue). L’un des policiers
fait alors usage de son Flash-Ball et blesse gravement Florent à l’œil.
D’après les témoignages des responsables de groupes de supporters
montpelliérains présents sur les lieux, Florent ne s’était pas interposé
à l’interpellation du supporter porteur d’un fumigène et n’avait donc
rien à voir avec l’incident initial.
Une réaction policière appropriée ?Les
versions diffèrent très sensiblement pour incriminer ou disculper la
réaction du policier. Pour les supporters, seules quelques personnes ont
tenté de s’interposer à l’interpellation de Kevin, sans violence
particulière. La version des pouvoirs publics est bien différente. Elle a
cependant connu des changements troublants depuis vendredi. Quelques
heures après l’incident, les sites Internet de
RMC et d’
Eurosport
indiquent – semble-t-il sur la foi d’informations obtenues de la part
des pouvoirs publics – que des heurts entre supporters montpelliérains
et stéphanois seraient à l’origine de l’intervention des policiers et du
tir de Flash-Ball. Contacté par
So Foot à l’issue du match, un responsable d’un groupe ultra stéphanois dément fermement ces affrontements : «
Nous
étions déjà dans le parcage visiteur à ce moment-là. À notre
connaissance, il n’y a eu aucun incident entre supporters des deux camps
», ce que confirment les ultras locaux. D’ailleurs, en apprenant
qu’un supporter pailladin avait été gravement blessé, les ultras
stéphanois ont enlevé leurs bâches en début de seconde mi-temps et cessé
leurs chants, par solidarité, alors que leur équipe menait pourtant au
score et que les relations entre les deux camps sont habituellement
tendues.
Les supporters pailladins évoquent, de leur côté, un témoignage étonnant : «
Après
l’incident, les policiers de la BAC ont pris l’identité de témoins
travaillant dans la baraque à frite voisine des faits et leur ont mis la
pression pour qu’ils disent qu’il y avait eu des affrontements entre
supporters stéphanois et montpelliérains. Une des personnes de cette
buvette ne s’est pas laissée faire et est venue nous le raconter », explique Julien, un ultra montpelliérain. Contacté par
So Foot, Brice Robin, procureur de la République de
Montpellier déclare : «
Je n’ai absolument pas cette version-là, personne ne m’a jamais parlé de ça. »
Kevin : interdit de stade ou pas ?Le lendemain, la Butte Paillade n’hésite pas à parler d’une bavure.
L’agglorieuse, journal montpelliérain bien alimenté en information policière, se fait
l’écho sur son blog du témoignage
d’un commissaire divisionnaire de la direction départementale de la
sécurité publique (DDSP 34) qui ne manque pas de garder l’anonymat : «
Il
n’est pas établi que le supporter d’Armata ultras (Florent est en fait
membre de la Butte Paillade, ndlr) blessé à un œil vendredi soir ait
reçu une balle en caoutchouc tiré par un policier de la brigade
anti-criminalité (BAC) avec un Flash-Ball. […] Il n’est pas exclu que la
victime ait été atteinte à un œil par l’éclat d’une bombe agricole
lancée par un supporter violent. » Version reprise alors dans la
plupart des médias qui traitent de l’incident. En fin de journée, le
médecin légiste confirme pourtant que la blessure a été causée par un
tir de Flash-Ball. Exit la bombe agricole, dont plus personne ne
parlera, puisque la seule détonation provenait, selon toutes nos sources
pour une fois concordantes, d’une grenade de désencerclement tirée par
les policiers…
Immédiatement, Brice Robin, procureur de la République de Montpellier, prend le relais. Il affirme que «
deux fonctionnaires ont été blessés » et disculpe les policiers de la BAC sur deux points. Dans un premier temps, selon le
Midi Libre
, le magistrat précise que les policiers ont voulu interpeller un homme
interdit de stade, ce qui permet de justifier la vive réaction des
policiers. Les supporters montpelliérains contestent immédiatement ce
point et affirment que le porteur du fumigène n’était en aucun cas
interdit de stade.
L’agglorieuse, décidément toujours aussi bien pourvue en témoignages de la maréchaussée, reproduit aujourd’hui
le procès-verbal
d’un des policiers de la BAC étant intervenus ce soir-là. S’il est bien
fait état de la tentative d’interpellation de Kevin, le porteur de
fumigène, le compte-rendu ne mentionne à aucun moment que Kevin était
interdit de stade, mais qu’il était seulement «
connu des services de police ». Comme à peu près tous les membres actifs de groupes ultras pailladins… Finalement, interrogé par
So Foot, Brice Robin confirme : «
À ma connaissance, le supporter n’était pas interdit de stade », ce qui rejoint la version des ultras.
Des échauffourées avant ou après le tir de Flash-Ball ?Dans
un second temps, le procureur assure que le policier aurait agi en état
de légitime défense. Lorsque le jeune homme s’est réfugié au niveau des
buvettes, «
il y a eu des scènes de violence et les policiers ont
été pris à partie. L’un des fonctionnaires, jeté à terre, a été blessé.
Pour le dégager, un autre policier a envoyé une grenade de
désencerclement et un autre encore a utilisé son gomme-cogne pour
disperser la foule », indique le magistrat. Au contraire, selon les supporters montpelliérains dans leur communiqué, «
les
forces de l’ordre ont usé de leurs tonfas pour procéder à
l’interpellation, une interpellation très musclée, qui a choqué les
personnes présentes, certains se sont levés pour faire cesser le
matraquage abusif dont [le supporter porteur du fumigène] était victime.
C’est alors que sans aucune raison et de manière complétement
disproportionnée, sans qu’il soit menacé et qu’on comprenne pourquoi, un
représentant des forces de l’ordre a tiré à bout portant au Flash-Ball
en direction des personnes attablées aux buvettes. » «
Casti », qui n’avait, rappelons-le, rien à voir avec l’interpellation initiale, est alors atteint à l’œil.
Les
supporters réfutent la version des pouvoirs publics selon laquelle un
policier aurait été blessé avant le tir de gomme-cogne. «
La
situation était très largement maîtrisable (seules 2 ou 3 personnes
s’étaient levées pour tenter de calmer les policiers), la légitime
défense ne peut en aucun cas être retenue, le tir était tout simplement
inexplicable », explique le communiqué. «
C’est le tir qui a
provoqué les échauffourées, en voyant la gravité de la blessure de
Florent, les gens étaient révoltés. Les policiers en uniforme sont alors
arrivés pour protéger ceux de la BAC », poursuit Julien, un ultra
pailladin. Pendant ce temps, Florent gît sur le sol entre deux camions
pendant une dizaine de minutes. «
Ils savaient qu’ils avaient tiré
sur quelqu’un à bout portant, mais à aucun moment ils n’ont appelé les
pompiers, c’est quelqu’un de chez nous qui a couru vers le stade pour
les alerter », déplore Julien. Si personne ne nie que des
échauffourées ont opposé les ultras montpelliérains aux policiers,
l’enchaînement des faits diffère complètement selon les versions. Pour
les policiers, les violences des supporters ont eu lieu avant le tir de
Flash-Ball et justifient donc leur intervention. Pour les supporters,
les échauffourées sont consécutives au tir de Flash-Ball, ce qui
légitime à leurs yeux leur réaction indignée et violente.
La blessure à l’œil de Florent est-elle grave ou non ?Dans
les jours qui suivent, l’œil de Florent est également l’objet de toutes
les spéculations, médiatiques et policières, comme si de son sauvetage
dépendait l’issue de l’affaire. Le samedi, ses camarades supporters
affirment qu’il a perdu l’usage de son œil à 90%. Le dimanche, les
pouvoirs publics, largement relayés par les médias, prétendent au
contraire que son œil aurait été sauvé ! Puis aujourd’hui, on apprend
par les médecins qu’il faudrait attendre 15 jours pour se prononcer sur
la capacité de Florent à recouvrer entièrement la vue. En tout état de
cause, il semble bien que sa vision sera sérieusement endommagée. Le
chirurgien qui l’a opéré à l’hôpital Guy de Chauliac de Montpellier,
cité dans le communiqué des supporters, explique que l’œil a
littéralement explosé sous l’impact et que la violence de l’explosion a
entraîné une fracture de la pommette.
Si les supporters ont maintenu la version qu’ils ont donnée à
So Foot
dès vendredi soir (une erreur de notre part sur l’identité du blessé
ayant même été rectifiée immédiatement par les responsables des groupes
ultras) et l’ont étoffée d’un communiqué officiel pour réagir à ce
qu’ils considèrent comme des errements médiatiques, les revirements des
pouvoirs publics semblent traduire un malaise face à cet incident. En
tout cas, du côté de la police, on se montre un peu moins catégorique
aujourd’hui : «
Pour le moment, on est toujours en investigation, une
enquête est menée, ce qu’on peut confirmer, c’est qu’une personne a
effectivement été sévèrement blessé par un tir de Flash-Ball », indique la DDSP.
Les ultras au soutien, le club prudent
Quoi qu’il en soit, les messages de soutien à « Casti » ont parsemé les tribunes des stades français ce week-end, à Toulouse,
Lorient,
Strasbourg ou encore Créteil, réclamant, pour certains, justice. Les
supporters pailladins ont lancé de leur côté un appel à témoin à toutes
les personnes présentes vendredi soir (à l’adresse suivante
justicepourcasti@hotmail.fr). Malgré une attitude compréhensive de
René Girard hier lors d’une visite
des ultras pailladins à l’entraînement du MHSC , le club de
Louis Nicollin, contacté par
So Foot, demeure très prudent : «
Nous
déplorons bien évidemment qu’un jeune spectateur ait été blessé en
venant assister à un match de football, mais ceci s’est passé en marge
de la rencontre et nous ne souhaitons pas commenter des incidents
extérieurs, d’autant plus qu’une enquête est en cours. »
Quant
au procureur de la République de Montpellier, selon les déclarations
qu’il nous a faites, il n’a pas saisi l’Inspection générale de la Police
nationale (IGPN) «
parce que la situation m’a paru suffisamment claire ; je ne les dérange que si je présume une faute ». Il devrait, néanmoins, ouvrir une information judiciaire d’ici la fin de semaine «
afin qu’un juge fasse la part des choses sur l’ensemble des faits, les violences comme la blessure involontaire
». De son côté, Florent, entendu hier par la sûreté départementale de
la DDSP 34, va porter plainte pour demander réparation des préjudices
corporels subis et c’est l’un des plus grand pénalistes de Montpellier,
Me Jean-Robert Nguyen Phung, qui
sera chargé de sa défense. Les dangers des fumigènes…Au-delà
des zones d’ombre qui persistent, la morale de cette triste histoire
est qu’un jeune de 22 ans qui n’avait rien à se reprocher va très
probablement perdre grandement l’usage d’un de ses yeux. Il n’a,
pourtant, pas bénéficié d’une grande compassion de la part des
différents médias qui ont relayé l’affaire, peut-être en raison de son
appartenance à un groupe ultra. Les pouvoirs publics et sportifs
justifient leur lutte contre les fumigènes par le danger qu’ils
représentent : pourtant, si des gros pétards ou des bombes agricoles ont
bien déjà causé des blessures graves (on pense notamment à un stadier
niçois ayant perdu des doigts en 2006), on ne connaît pas de cas avéré
de blessure significative
causée par un fumigène
. En revanche, force est de constater que la lutte à tout prix contre
les fumigènes provoque des blessures et crée une atmosphère de vive
tension entre policiers et supporters, lesquels considèrent les
fumigènes comme un engin festif. Ne serait-il pas possible de trouver
une autre solution que la traque aux fumigènes pour améliorer la
situation ?
L’exemple norvégien laisse penser que si…