25 juillet 2008
Société
Nantes, 29 novembre 2007. Deux jours après la manifestation au cours de laquelle plusieurs jeunes furent blessés, les lycéens nantais étaient de nouveau dans la rue pour crier leur refus de servir de cible dans les tirs de flash-Ball.
Voile d'ignorance sur une blessure au Flash-Ball
POLICE. Huit mois après les faits, des contradictions persistent sur les circonstances dans lesquelles Pierre, un lycéen de seize ans, a été blessé par un tir de Flash-Ball, lors d'une manif à Nantes.
Le 27 novembre 2007, une manifestation contre la loi Pécresse tourne mal à Nantes. Plusieurs blessés chez les manifestants, dont Pierre, seize ans, qui perd pratiquement l'usage de son oeil, à la suite à d'un tir de Flash-Ball. Dès le lendemain, la famille réclame au recteur, au préfet et au procureur une « enquête sérieuse » sur les faits. Depuis, si l'IGPN (Inspection générale de la police nationale) est saisie, la justice, elle, ne semble guère mobilisée sur l'affaire. Au point que les parents de Pierre craindront un classement sans suite. Jusqu'à l'annonce, le 10 juillet dernier, par le procureur de Nantes Xavier Ronsin, de l'ouverture d'une enquête judiciaire. Emmanuelle, sa mère, pouvait se féliciter : « Enfin une bonne nouvelle ! »
Deux tirs, trois victimes
Depuis, une nouvelle étape est donc engagée : « Nos investigations vont maintenant se faire sur un mode nouveau », affirmait cette semaine Marc Vayer, membre du groupe d'enquête « citoyen » qui s'est mobilisé autour de cette affaire. « Le premier stade était d'éviter le classement sans suite de l'affaire. C'est gagné. Le deuxième est aujourd'hui de mettre en évidence les contradictions », développe-t-il. Car il y en a plusieurs.
Trois enquêtes sont donc aujourd'hui en cours : l'instruction judiciaire, le rapport citoyen, et la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), qui avait été saisie le 17 décembre 2007 par le sénateur communiste François Autain. Avec un même objectif : éclairer les conditions de l'incident non élucidées par l'enquête de l'IGPN.
Le rapport confidentiel remis par l'IGPN à la justice reste en effet muet sur un certain nombre de questions. Pour Me Boezec, avocat de la famille de Pierre, « cette enquête est insuffisante. Il faut évidemment des investigations complémentaires. C'est tout l'intérêt de l'instruction judiciaire ». Une avancée toutefois : le rapport confirme que Pierre a été touché par un projectile d'origine policière. « La première ligne de défense des autorités était d'affirmer qu'il n'y avait pas eu de projectile. Dans un deuxième temps, que ce projectile ne provenait pas des forces de l'ordre. Au moins, l'origine policière, qui était pourtant évidente, est désormais reconnue », explique Me Boezec.
Le procureur mis en cause
Mais des incohérences empêchent l'enquête de pouvoir tirer des conclusions : elle reconnaît deux tirs, et deux victimes. Lesquelles auraient jeté des projectiles sur la police. Problème, il y a eu lors de cette manifestation au moins trois blessés par tir de Flash-Ball : Jérémy à la tête, Charlène au ventre et donc Pierre à l'œil. Mais l'enquête citoyenne démontre, preuves à l'appui, que ce dernier n'a pas pu être à l'origine d'un jet de projectile. « La thèse du rapport ne peut pas aller au bout, et se révèle impossible à élucider avec un minimum d'honnêteté intellectuelle », affirme l'avocat. Beaucoup d'éléments mis au jour par l'enquête citoyenne ont été ignorés par l'IGPN. Le groupe de travail a pourtant fait une importante collecte des témoignages et d'images, qu'ils ont transmis à la police, autant d'éléments disponibles sur leur blog (1). Marc Vayer le reconnaît : « Le travail de l'IGPN n'est pas assez fouillé. Nous ne voulons pas nous poser en juges de ce rapport. Mais nous allons nous en servir pour mettre en relation les contradictions. »
Malgré l'ouverture tant espérée de cette instruction judiciaire, la mère de Pierre ne s'attend pas à ce qu'elle progresse « avant la rentrée ». Me Boezec considère de même que « les juges risquent de ne pas la traiter en priorité ». Une source proche du dossier juge même très sévèrement « l'attitude du procureur ». « Il joue les choses de manière ouverte en décidant à la surprise générale de ne pas classer l'affaire. Mais il y a ici une culture de la protection détestable. » Le résultat dépendra alors de la qualité des investigations menées par les deux juges d'instruction nommés.
Du côté de la CNDS, la procédure est en cours. « Il est encore trop tôt pour se prononcer », explique Gaspard Lathoud, rapporteur adjoint. Des auditions ont encore lieu. La recommandation de la commission pourrait être capitale : « Elle va donner un avis dans une procédure qui est toujours en cours, ce qui est assez rare », note Me Boezec, avec l'espoir de voir le rapport rendu d'ici à la fin de l'année.
Les attentes sont fortes. D'autant que les revendications ont pris un tour politique. « On espère pouvoir faire jurisprudence », explique Catherine Ouvrard, du groupe de travail citoyen, « car il faut poser le problème du surarmement de la police et de sa formation ». Me Boezec va plus loin et envisage d'obtenir « l'interdiction du Flash-Ball en manifestation ».
Une arme incompatible avec le maintien de l'ordre
L'utilisation du Flash-Ball en manifestations est critiquée par les associations.
«Il est aberrant d'utiliser un Flash-Ball dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre », assène Christophe Saint-Martin, responsable de la commission « armes » d'Amnesty International. C'est pourtant un équipement régulièrement employé par la police dans ce type d'interventions. « Le but est de pouvoir neutraliser les casseurs », explique Yannick Danio, responsable syndical à l'UNSA police. Un nouveau modèle, plus précis, est même en cours d'expérimentation : un lanceur de balles de 40 mm « fait pour être utilisé dans les manifestations au sens large, afin d'offrir un moyen d'intervention alternatif à l'arme classique », précise Marie-France Monéger, directrice de la communication de la DGPN. 300 modèles, dont celui qui a probablement blessé le jeune Pierre à Nantes, sont actuellement testés. « L'élaboration de la doctrine d'emploi est en cours de finalisation », assure Marie-France Monéger.
Pour Christophe Saint-Martin, d'Amnesty, « l'introduction du Flash-Ball dans l'histoire du maintien de l'ordre constitue une véritable rupture : les forces de l'ordre n'ont toujours cherché que la mise à distance, avec des équipements comme les grenades lacrymogènes ou les matraques ». Il y aurait ici un nouveau rapport à l'arme et un durcissement de la répression des mouvements sociaux. La position d'Amnesty International est donc claire : le Flash-Ball ne doit être qu'un dernier recours, similaire aux armes classiques, et exclu de toute manifestation de foule. L'association insiste par ailleurs sur la formation dispensée aux policiers et notamment le respect de la « proportionnalité ». Patrick Bouveret, de l'Observatoire des transferts d'arme, rejoint ce jugement : « Les consignes d'utilisation devraient être du même ordre que pour les armes de quatrième catégorie ». De nombreuses affaires ont en effet montré qu'elles pouvaient être tout aussi « létales ».
C. Pa.
Société
Nantes, 29 novembre 2007. Deux jours après la manifestation au cours de laquelle plusieurs jeunes furent blessés, les lycéens nantais étaient de nouveau dans la rue pour crier leur refus de servir de cible dans les tirs de flash-Ball.
photo Franck Perry - AFP.
Voile d'ignorance sur une blessure au Flash-Ball
POLICE. Huit mois après les faits, des contradictions persistent sur les circonstances dans lesquelles Pierre, un lycéen de seize ans, a été blessé par un tir de Flash-Ball, lors d'une manif à Nantes.
Le 27 novembre 2007, une manifestation contre la loi Pécresse tourne mal à Nantes. Plusieurs blessés chez les manifestants, dont Pierre, seize ans, qui perd pratiquement l'usage de son oeil, à la suite à d'un tir de Flash-Ball. Dès le lendemain, la famille réclame au recteur, au préfet et au procureur une « enquête sérieuse » sur les faits. Depuis, si l'IGPN (Inspection générale de la police nationale) est saisie, la justice, elle, ne semble guère mobilisée sur l'affaire. Au point que les parents de Pierre craindront un classement sans suite. Jusqu'à l'annonce, le 10 juillet dernier, par le procureur de Nantes Xavier Ronsin, de l'ouverture d'une enquête judiciaire. Emmanuelle, sa mère, pouvait se féliciter : « Enfin une bonne nouvelle ! »
Deux tirs, trois victimes
Depuis, une nouvelle étape est donc engagée : « Nos investigations vont maintenant se faire sur un mode nouveau », affirmait cette semaine Marc Vayer, membre du groupe d'enquête « citoyen » qui s'est mobilisé autour de cette affaire. « Le premier stade était d'éviter le classement sans suite de l'affaire. C'est gagné. Le deuxième est aujourd'hui de mettre en évidence les contradictions », développe-t-il. Car il y en a plusieurs.
Trois enquêtes sont donc aujourd'hui en cours : l'instruction judiciaire, le rapport citoyen, et la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), qui avait été saisie le 17 décembre 2007 par le sénateur communiste François Autain. Avec un même objectif : éclairer les conditions de l'incident non élucidées par l'enquête de l'IGPN.
Le rapport confidentiel remis par l'IGPN à la justice reste en effet muet sur un certain nombre de questions. Pour Me Boezec, avocat de la famille de Pierre, « cette enquête est insuffisante. Il faut évidemment des investigations complémentaires. C'est tout l'intérêt de l'instruction judiciaire ». Une avancée toutefois : le rapport confirme que Pierre a été touché par un projectile d'origine policière. « La première ligne de défense des autorités était d'affirmer qu'il n'y avait pas eu de projectile. Dans un deuxième temps, que ce projectile ne provenait pas des forces de l'ordre. Au moins, l'origine policière, qui était pourtant évidente, est désormais reconnue », explique Me Boezec.
Le procureur mis en cause
Mais des incohérences empêchent l'enquête de pouvoir tirer des conclusions : elle reconnaît deux tirs, et deux victimes. Lesquelles auraient jeté des projectiles sur la police. Problème, il y a eu lors de cette manifestation au moins trois blessés par tir de Flash-Ball : Jérémy à la tête, Charlène au ventre et donc Pierre à l'œil. Mais l'enquête citoyenne démontre, preuves à l'appui, que ce dernier n'a pas pu être à l'origine d'un jet de projectile. « La thèse du rapport ne peut pas aller au bout, et se révèle impossible à élucider avec un minimum d'honnêteté intellectuelle », affirme l'avocat. Beaucoup d'éléments mis au jour par l'enquête citoyenne ont été ignorés par l'IGPN. Le groupe de travail a pourtant fait une importante collecte des témoignages et d'images, qu'ils ont transmis à la police, autant d'éléments disponibles sur leur blog (1). Marc Vayer le reconnaît : « Le travail de l'IGPN n'est pas assez fouillé. Nous ne voulons pas nous poser en juges de ce rapport. Mais nous allons nous en servir pour mettre en relation les contradictions. »
Malgré l'ouverture tant espérée de cette instruction judiciaire, la mère de Pierre ne s'attend pas à ce qu'elle progresse « avant la rentrée ». Me Boezec considère de même que « les juges risquent de ne pas la traiter en priorité ». Une source proche du dossier juge même très sévèrement « l'attitude du procureur ». « Il joue les choses de manière ouverte en décidant à la surprise générale de ne pas classer l'affaire. Mais il y a ici une culture de la protection détestable. » Le résultat dépendra alors de la qualité des investigations menées par les deux juges d'instruction nommés.
Du côté de la CNDS, la procédure est en cours. « Il est encore trop tôt pour se prononcer », explique Gaspard Lathoud, rapporteur adjoint. Des auditions ont encore lieu. La recommandation de la commission pourrait être capitale : « Elle va donner un avis dans une procédure qui est toujours en cours, ce qui est assez rare », note Me Boezec, avec l'espoir de voir le rapport rendu d'ici à la fin de l'année.
Les attentes sont fortes. D'autant que les revendications ont pris un tour politique. « On espère pouvoir faire jurisprudence », explique Catherine Ouvrard, du groupe de travail citoyen, « car il faut poser le problème du surarmement de la police et de sa formation ». Me Boezec va plus loin et envisage d'obtenir « l'interdiction du Flash-Ball en manifestation ».
Christophe Payet
(1)http://27novembre2007.blogspot.com
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Société(1)http://27novembre2007.blogspot.com
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Une arme incompatible avec le maintien de l'ordre
L'utilisation du Flash-Ball en manifestations est critiquée par les associations.
«Il est aberrant d'utiliser un Flash-Ball dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre », assène Christophe Saint-Martin, responsable de la commission « armes » d'Amnesty International. C'est pourtant un équipement régulièrement employé par la police dans ce type d'interventions. « Le but est de pouvoir neutraliser les casseurs », explique Yannick Danio, responsable syndical à l'UNSA police. Un nouveau modèle, plus précis, est même en cours d'expérimentation : un lanceur de balles de 40 mm « fait pour être utilisé dans les manifestations au sens large, afin d'offrir un moyen d'intervention alternatif à l'arme classique », précise Marie-France Monéger, directrice de la communication de la DGPN. 300 modèles, dont celui qui a probablement blessé le jeune Pierre à Nantes, sont actuellement testés. « L'élaboration de la doctrine d'emploi est en cours de finalisation », assure Marie-France Monéger.
Pour Christophe Saint-Martin, d'Amnesty, « l'introduction du Flash-Ball dans l'histoire du maintien de l'ordre constitue une véritable rupture : les forces de l'ordre n'ont toujours cherché que la mise à distance, avec des équipements comme les grenades lacrymogènes ou les matraques ». Il y aurait ici un nouveau rapport à l'arme et un durcissement de la répression des mouvements sociaux. La position d'Amnesty International est donc claire : le Flash-Ball ne doit être qu'un dernier recours, similaire aux armes classiques, et exclu de toute manifestation de foule. L'association insiste par ailleurs sur la formation dispensée aux policiers et notamment le respect de la « proportionnalité ». Patrick Bouveret, de l'Observatoire des transferts d'arme, rejoint ce jugement : « Les consignes d'utilisation devraient être du même ordre que pour les armes de quatrième catégorie ». De nombreuses affaires ont en effet montré qu'elles pouvaient être tout aussi « létales ».
C. Pa.