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vendredi 13 août 2010

Un interview au Monde du juge Coulon en 2005

Le monde.fr | 04.05.05 | 12h58  •  Mis à jour le 04.05.05 | 18h21

Jacky Coulon, doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Nantes
"Juges et avocats ne vivent pas dans un climat de guerre"

Les relations entre les juges d'instruction et les avocats peuvent-elles être équilibrées dans notre procédure pénale inquisitoire qui ne permet pas à la défense d'apporter ses propres éléments de preuve ?

L'affaire de l'avocate de Toulouse donne l'impression d'une guerre entre juges d'instruction et avocats. Il est vrai que nous n'avons pas les mêmes objectifs : le juge est là pour parvenir à la manifestation de la vérité, l'avocat pour défendre son client, le parquet pour défendre la société. Mais, au quotidien, nous vivons dans une ambiance pacifiée, non dans un climat de guerre.

Au gré des réformes législatives, les uns et les autres obtiennent plus ou moins de prérogatives : la loi du 15 juin 2000 a renforcé les droits de la défense, la loi du 9 mars 2004 a opéré un rééquilibrage en faveur du parquet, le juge d'instruction devenant de plus en plus un arbitre, davantage qu'un enquêteur.
L'avocat, comme la partie civile, peut déposer toutes les demandes d'actes. Le juge peut les refuser, mais il doit alors dire pourquoi, et cette décision est susceptible d'appel. Dans notre système, il n'est pas envisageable qu'il réponde à toutes les demandes. Ce serait changer complètement de philosophie, entrer dans une justice privée où les parties apportent leurs preuves, vont chercher leurs propres témoins. Ça ne me paraît pas être le système qui garantisse le mieux l'égalité de tous.

Comment les juges apprécient-ils ce qui relève de l'information normale qu'un avocat peut donner aux proches d'un mis en examen sur l'enquête en cours ?

Le seul critère d'appréciation possible, c'est la loi. Plusieurs dispositions figurent dans le code pénal, tel le délit de subornation de témoin ou le nouveau délit de révélation d'information. Mais les juges d'instruction ne les utilisent qu'exceptionnellement envers les avocats. Il peut en outre arriver qu'un juge mette en examen un avocat sans que la cour d'appel le suive.
Il n'y a pas forcément de contradiction entre la décision d'un juge d'instruction de renvoyer quelqu'un devant le tribunal et la décision de celui-ci d'innocenter cette personne. Un avocat qui était allé voir une partie civile pour lui demander de changer sa version des faits et lui avait offert de l'argent en contrepartie a ainsi été mis en examen avant d'être relaxé. Le tribunal avait estimé qu'il n'était pas établi qu'il y ait eu pression et avait considéré qu'il ne s'agissait que d'une transaction concernant le préjudice subi par la victime.

Quelle est la portée de l'article créant un délit de révélation d'information ?

C'est un article de portée large, qui ne vise pas uniquement les avocats, mais aussi les policiers, les magistrats, les greffiers... Cependant, comme tous les délits, il doit être intentionnel. Le texte évoque des informations "de nature à entraver le déroulement des investigations" . En procédure pénale, le principe est celui de l'interprétation stricte des textes. L'important, c'est que la révélation soit faite avec la conscience d'entraver les investigations en cours.
De plus, le texte du code pénal commence par : "Sans préjudice des droits de la défense." Ces mots existent et ont leur importance. La portée de ce nouvel article sera précisée par la Cour de cassation.

Propos recueillis par N. G.
Article paru dans l'édition du 05.05.05