libellés

jeudi 9 juin 2011

Ayoub et la procédure


Montbéliard. Me Alain Dreyfus-Schmidt ne décolère pas et concentre ses foudres verbales sur Thérèse Brunisso, procureur de la République à Montbéliard. « Cela fait des mois que je lui réclame une copie du dossier et, à ce jour, je n’ai toujours rien reçu. Rien ...

Montbéliard. M e Alain Dreyfus-Schmidt ne décolère pas et concentre ses foudres verbales sur Thérèse Brunisso, procureur de la République à Montbéliard. « Cela fait des mois que je lui réclame une copie du dossier et, à ce jour, je n’ai toujours rien reçu. Rien ! J’ignore même le nom du policier qui tenait le Flash-Ball et qui a tiré sur mon client. On bafoue nos droits. Je vais saisir le parquet général, voire le ministère, si cela est nécessaire. Maintenant, ça suffit ! »
« Considéré comme un accusé… »
Le bâtonnier belfortain est d’autant plus remonté que ce matin, à 9 h 30, dans les locaux du commissariat de Montbéliard, son jeune client doit être, de nouveau, entendu par la police des polices dans une affaire particulièrement sensible.
On se souvient que le 7 février dernier au soir, une émeute avait éclaté dans le centre-ville d’Audincourt avec l’affrontement d’une centaine de belligérants émanant de deux bandes rivales. La police était intervenue et n’était parvenue à interpeller qu’un homme. Ce Boroillot de 18 ans a été jugé et condamné à deux mois de prison avec sursis, le 10 mars dernier. En dépit des moyens de vidéosurveillance, les enquêteurs n’ont pas été capables d’identifier le moindre autre auteur présumé de ces violences.
En revanche, effet collatéral de cette guérilla, Ayoub, 17 ans, qui se trouvait sur les lieux, a essuyé, en pleine tête, un tir de Flash-Ball provenant de l’arme d’un policier. L’adolescent a perdu son œil gauche.
Toute la problématique est de connaître les circonstances du tir et déterminer si le fonctionnaire de police a procédé, ou non, selon les règles. « Il n’en demeure pas moins que cette nouvelle audition par la police des polices perturbe mon client. Il est anxieux et a le sentiment d’être considéré comme un accusé alors qu’il est victime. Il aurait souhaité que je l’accompagne mais les dispositions de la réforme de la garde à vue ne prévoient pas la présence d’un avocat pour une victime… »
Néanmoins, comme en convient l’avocat, cette nouvelle audition démontre aussi que l’affaire avance et qu’elle n’est pas laissée aux oubliettes.
S. B.

Montbéliard : victime d'un tir de flash - ball


Sweat-shirt vert, jeans et les yeux cachés par de grosses lunettes fumées, Ayoub est visiblement éprouvé. Mal à l’aise, il tortille ses mains et parle d’une petite voix. Il est un peu plus de midi, ce mercredi. Le Montbéliardais de 17 ans, qui a perdu un œil à la suite d’un tir de Flash-Ball (nos différentes éditions) sort d’une audition de plus de deux heures et demie avec des agents de l’IGPN (la police des polices) venus de Paris.
Devant le commissariat de Montbéliard, où a eu lieu l’entretien, le jeune homme se confie : « Les deux policiers ont été un peu froids, au début, avec moi. J’ai répété ce que j’avais déjà dit. Ils m’ont demandé si je faisais partie des émeutiers (N.D.L.R. : Ayoub a essuyé un tir de Flash-Ball lors d’une gigantesque rixe le 7 février à Audincourt). Ils ont essayé de me déstabiliser en me montrant des vidéos. Mais on me voit attendre le bus. J’ai répété que je ne participais pas à la bagarre, que je voulais juste rentrer chez moi. Je n’ai attaqué personne. J’ai toujours été honnête. » Selon le lycéen, les fonctionnaires de l’IGPN auraient finalement reconnu son statut de victime. Mais, et c’est une nuance lourde de sens, ils auraient ajouté : « Le policier a agi en état de légitime défense. » Si l’enquête conforte la légitime défense, un non-lieu sera prononcé. Et Ayoub, victime collatérale, présent au mauvais endroit au mauvais moment, devra la perte de son œil à la fatalité…
« S’il faut en référer au ministre de la Justice, je le ferai »
Seulement, pour lui comme pour sa famille, il y a eu faute. Leur avocat, M e Dreyfus-Schmidt, entend bien porter l’affaire devant le tribunal même si, selon lui, le parquet freine des quatre fers. « J’ai écrit quatre fois à la procureure de Montbéliard pour lui demander l’accès au dossier et l’ouverture d’une information judiciaire. On me répond que j’obtiendrai mes réponses lors des conclusions de l’IGPN et de l’enquête préliminaire. C’est inadmissible. On ne va pas attendre un an pour saisir un magistrat indépendant (N.D.L.R. : à l’issue de l’enquête préliminaire, le parquet engage des poursuites ou classe le dossier sans suite. Si tel est le cas, la famille peut alors saisir un juge d’instruction). Si je dois en référer au parquet général comme au ministre, je le ferai », prévient l’avocat.
Une utilisation abusive des Flash-Balls ?
Mais la responsabilité pénale du tireur reste à démontrer. Au lendemain de la rixe, la procureure de la République, Thérèse Brunisso, précisait : « Rien, en l’état actuel des choses, ne permet de dire que le tir n’était pas réglementaire. » Le policier incriminé n’aurait pas vu Ayoub mais des jeunes gens vêtus de vêtements sombres, divisés en deux clans et armés. Par ailleurs, l’utilisation du Flash-Ball est légale si elle obéit à plusieurs critères : la légitime défense, l’état de nécessité, le respect de la réglementation et le trouble psychiatrique. « Ça veut dire que les policiers peuvent tirer sur la foule et ensuite bénéficier d’un non-lieu. Est-ce que c’est normal ? À part Ayoub, il n’y a pas eu de blessé. On n’était pas en Tunisie, tout de même ! », s’insurge M e Dreyfus-Schmidt.
Si la responsabilité pénale du policier n’est pas engagée, Ayoub et sa famille pourront toujours se retourner contre le tribunal administratif, la polémique sur l’utilisation des Flash-Balls ne faisant qu’enfler après de multiples incidents. L’État a-t-il sa part de responsabilité ? Doit-on continuer à équiper les forces de l’ordre d’armes aussi dangereuses ? Ayoub et sa famille ont un avis bien tranché sur la question.
Aude LAMBERT