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jeudi 5 décembre 2013

Clément et le Préfet de police assigné : article du Monde

Un préfet de police assigné pour un tir de Flash-Ball

LE MONDE | 03.12.2013
Par Laurent Borredon

La procédure est inédite, et, en cas de succès, elle pourrait faire jurisprudence. Victime d’un tir de Flash-Ball au visage en 2009, à Paris, Clément Alexandre a assigné le préfet de police devant le tribunal administratif. Le but : obtenir une indemnisation –– le jeune homme avait eu la mâchoire fracturée ––, mais surtout arracher une condamnation des pouvoirs publics. Au pénal, les dossiers s’achèvent la plupart du temps par une relaxe ou un non-lieu. Le tribunal devait examiner le dossier mardi 3 décembre.

Clément Alexandre, 30 ans, a été blessé lors de la soirée de la Fête de la musique 2009. Avec des amis, il se trouve pris dans un mouvement de foule, place de la Bastille. Les policiers tentent de dégager la chaussée. Selon la version de la préfecture au lendemain des faits, les forces de l’ordre font l’objet de jets de projectiles. Les autres témoins démentent cette version. Les policiers braquent leurs lanceurs de balles de défense (LBD, aussi appelés Flash-Ball) à quelques mètres des fêtards. Clément Alexandre s’effondre, touché. A l’hôpital, un médecin note des « plaies multiples faciales » et une « fracture de la branche horizontale de la mandibule ».

Le jeune homme se tourne alors vers Me Etienne Noël. L’avocat rouennais est l’un des pionniers du droit pénitentiaire en France. Insalubrité, surpopulation, il est le premier à avoir fait condamner l’Etat devant la juridiction administrative pour des conditions de détention indignes. Il compte des centaines de jugements à son actif. Il se propose d’appliquer la même méthode pour le Flash-Ball. « A mon sens, la voie pénale est une erreur, explique-t-il. A Nantes [où un lycéen avait perdu l’usage d’un œil à la suite d’un tir, en 2007], le policier a été relaxé au motif qu’il avait la permission de sa hiérarchie. »

« RECOURS DISPROPORTIONNÉS »

Le recours devant le tribunal administratif permet de contourner cet écueil, en engageant justement « la responsabilité du supérieur hiérarchique », selon Me Noël. « Sur le plan symbolique, ça me paraît beaucoup plus fort, assure-t-il. Faire condamner revient alors à porter un débat global sur ces armes. » « L’intérêt de cette procédure réside dans son efficacité probable par rapport aux procédures pénales », ajoute M. Alexandre.

Une « efficacité probable », mais pas forcément une plus grande rapidité. Il a d’abord fallu obtenir la nomination d’un expert, qui a établi que la blessure ne pouvait avoir été causée que par un LBD. Puis Me Noël a déposé une demande d’indemnisation – pour plus de 20 000 euros – auprès de la préfecture de police. La demande a été rejetée le 13 août 2012, malgré le changement de préfet entre-temps. C’est un recours déposé contre ce refus que le tribunal doit examiner mardi.

Le rapporteur public –– chargé de dire le droit –– s’est prononcé favorablement. La préfecture de police n’a pas déposé de mémoire en défense et n’a pas répondu aux sollicitations du Monde. En cas de succès, le collectif « Face aux armes de la police », qui s’est constitué autour de Clément Alexandre, souhaite diffuser largement la méthode pour « faire pour le Flash-Ball ce que Me Noël et d’autres ont fait pour les prisons ». Une procédure est déjà en cours pour le lycéen de Nantes.

En mai, le Défenseur des droits dénonçait dans un rapport « les recours irréguliers ou disproportionnés » aux lanceurs de balles de défense.

Les utilisations irrégulières des Taser et Flash-Ball dénoncées

Le Monde.fr | 28.05.2013
Par Laurent Borredon

Les Taser et les Flash-Ball ont beau être des "armes non-létales", selon leurs fabricants, ils n'en restent pas moins des armes, dont l'usage est désormais courant chez les policiers et les gendarmes. Pour la première fois, le défenseur des droits a donc décidé de consacrer un rapport général sur ces "moyens de force intermédiaire", rendu public mardi 28 mai. "Le recours à ces armes, assimilé à l'usage de la force, est soumis à une exigence de stricte nécessité et proportionnalité", rappelle le défenseur, qui est régulièrement saisi d'abus, de mauvaises utilisations et de dérapages.

La liste est édifiante, et ne relève pas toujours de dérives individuelles. Certes, ce policier qui a utilisé le Taser, pistolet à impulsion électrique, en mode contact – il a alors un effet paralysant localisé puissant – n'a pas été tout à fait franc lorsqu'il a évoqué l'"attitude hostile" de la personne qu'il souhaitait interpeller. "L'attitude hostile de la personne s'était en réalité manifestée par le fait de relever ses couvertures et de s'asseoir sur son lit", note malicieusement le rapport.

Mais, de manière plus générale, le texte dénonce le développement d'un usage de confort des Taser en mode contact pour faciliter des interpellations et des menottages. Chez les gendarmes, le nombre d'utilisations dans ce cadre est passé de 223 à 360 entre 2009 et 2012, et chez les policiers, de 161 à 229 entre 2010 et 2012. Le ministère de l'intérieur les encourage : il estime l'utilisation du Taser "moins dangereuse pour l'intégrité physique de la personne qu'une intervention physique des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie".

DES "RECOURS IRRÉGULIERS OU DISPROPORTIONNÉS"

Dans l'un des cas cités, le Taser a été utilisé par un gendarme pour permettre d'entraver les jambes d'un homme... déjà menotté et touché par trois tirs. Le tout sous le regard passif de cinq militaires et d'un policier municipal, qui auraient pu, plutôt, "contribuer à la maîtrise de la personne", note le défenseur.

Dans le cadre des interpellations, l'arme continue à être utilisée pour calmer des individus agités, sous l'influence de l'alcool ou de la drogue, alors que ces états "sont susceptibles de réduire, voire annihiler, les effets (...) ou encore de décupler l'état d'énervement de la personne qui en fait l'objet". Le défenseur insiste donc sur un "strict encadrement de l'utilisation du Taser" : "Le fait de recevoir une forte décharge d'électricité conduit à une douleur localisée très intense, ainsi qu'à un traumatisme psychologique et une atteinte à la dignité humaine."

Le défenseur dénonce également les "recours irréguliers ou disproportionnés" aux lanceurs de balles de défense – le Flash-Ball –, qui permet de "riposter instantanément à une agression", et le LBD, une "arme de neutralisation", qui réclame un tir plus cadré. Leur usage est essentiellement policier, et il augmente : 2 573 munitions tirées en 2012, contre 2 224 en 2010.

Les gendarmes le réservent aux stricts cas de légitime défense. Pas toujours très stricts, d'ailleurs : en 2011, un enfant de 9 ans a été gravement blessé à l'œil à Mayotte. Le militaire, casqué et vêtu d'un gilet pare-balles, assure qu'il voulait protéger son camarade : le jeune garçon aurait voulu jeter une pierre. Le problème, c'est qu'il est le seul à avoir vu le danger – qui ne pesait pas lourd, 24 kg pour 1,35 m.

"DOMMAGES COLLATÉRAUX"

Le principal souci des lanceurs réside dans la difficulté de les utiliser en toute sécurité. Actuellement, les policiers et les gendarmes ne doivent pas viser au-dessus des épaules, et il est demandé aux seuls policiers d'éviter le "triangle génital", et aux seuls gendarmes de ne pas tirer dans la zone du cœur. Or, ces armes sont imprécises, notamment le Flash-Ball : dans le cas de Mayotte, l'expert a constaté un écart maximal de 34 cm du point visé, pour un tir de 11 m. Le LBD, réputé plus performant, pose des problèmes récurrents de réglages.

Le défenseur essaie de grignoter, petit bout par petit bout, leurs possibilités d'emploi. Il recommande ainsi de cumuler les interdictions de visée des policiers et des gendarmes, ce qui ne laisse plus grand chose à cibler au-dessus des genoux. Il souhaite proscrire leur usage lors des manifestations, vu le risque de "dommages collatéraux", et pour sécuriser les contrôles d'identité et les contrôles routiers, "notamment en raison de la distance à laquelle se situe le porteur de l'arme des personnes contrôlées, généralement inférieure à sept mètres". Le défenseur cite, là encore, un exemple – un policier qui "trébuche" et tire "involontairement" dans la poitrine de la personne contrôlée, à deux à trois mètres de distance. Bilan : "de sévères contusions cardiaque et pulmonaire, nécessitant quinze jours d'hospitalisation, en réanimation puis en cardiologie". Le policier avait ôté, préventivement, la sécurité.

Au fond, le défenseur se montrerait plutôt favorable à une interdiction de ces armes. Mais il doit se montrer pragmatique devant le refus des policiers de les remettre en cause. Un refus qui confine parfois à la mauvaise foi. Lorsqu'un jeune homme avait perdu son œil à la suite de tirs de Flash-Ball au jugé sur des manifestants, en 2009, le ministère de l'intérieur avait refusé d'envisager des sanctions disciplinaires. Il convenait de tenir compte des "spécificités de la Seine-Saint-Denis", jugeait alors la Place Beauvau.

Laurent Borredon