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samedi 10 mai 2014

Le rapport IGPN 2013 et la question du flashball [5 mai 2014]

Un article du quotidien Libération  + un article de L'express
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Le flashball sur le gril des «bœufs-carottes»

Patricia TOURANCHEAU 6 mai 2014 à 22:24

Dans son rapport annuel, la police des polices pointe l’utilisation abusive d’une arme de défense qui a éborgné plusieurs manifestants l’an passé.

Saisie dans deux tiers des cas par l’autorité judiciaire, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN, la police des polices) a rendu hier son rapport d’activité 2013. Il recense 841 «allégations d’atteintes aux personnes» (soit 81% des affaires), dont 303 «violences volontaires avec ITT [incapacité totale de travail, ndlr]» lors d’interventions et cinq «ayant entraîné la mort». En outre, 15% de ces enquêtes judiciaires concernent des «atteintes aux biens» (156), vols, escroqueries, abus de faiblesse et de confiance, et 4% portent sur des «atteintes à l’Etat». L’IGPN, qui a fusionné avec l’Inspection générale des services (IGS) parisienne et qui compte 90 enquêteurs, a notamment monté en son sein un groupe de flics financiers spécialisés en interne dans la lutte contre la corruption. Quelque 40% des affaires pénales ont donné lieu à des enquêtes administratives, qui débouchent la plupart du temps sur de simples blâmes ou avertissements aux policiers pour «des manquements au code de déontologie, à la loyauté, la probité» ou au non-respect des doctrines d’emploi sur l’usage des armes - 61 auteurs de «bavures» ont ainsi été sanctionnés par des révocations.

«Problème». Interrogée sur les blessures mutilantes provoquées par des tirs de flash-ball ou de LBD (lanceur de balles de défense) ayant notamment éborgné à Nantes trois opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la patronne de l’IGPN, Marie-France Monéger, a expliqué que ces «blessures graves, des énucléations, suite à un maintien de l’ordre musclé à Nantes» ont suscité «six saisines» de l’IGPN sur Nantes et quatre autres en France en 2013. La commissaire admet «qu’il y a un problème» avec «ces armes de force intermédiaire de type LBD et flashball», parce que leur doctrine d’emploi n’est pas appropriée. «Le critère de distance imposé est peu important si le lieu [point, ndlr] d’impact» n’est pas une jambe, mais un visage ou un œil. «Des tests sont effectués avec une nouvelle munition et nous ferons une proposition assez prochaine», assure-t-elle en soulignant une «baisse de l’usage de l’arme individuelle, le Sig Sauer», une stabilité de l’emploi du Taser (pistolet à impulsion électrique) mais aussi une «hausse de l’utilisation du LBD», qui fait d’irrémédiables dégâts.

Dénonciation. Depuis le 1er septembre 2013 et la réforme voulue par Manuel Valls pour améliorer les liens police-population, l’IGPN a mis en place une plateforme internet de signalement pour les particuliers afin de dénoncer les dérapages policiers. En quatre mois, 1 154 signalements ont été enregistrés mais douze seulement ont été «considérés comme méritants une enquête de l’IGPN», assène la directrice, ce qui paraît bien peu. «Cela prouve que les citoyens qui vont sur la plateforme nous font part de faits non gravissimes, plutôt d’agacements, dit-elle. C’est comme un service après-vente : les usagers se manifestent quand ils ne sont pas contents. On voit ce qu’ils n’admettent pas de leur police. Ils ne supportent pas qu’on ne leur explique pas les choses et qu’on ne leur donne pas de nouvelles» de leur plainte ou de leur affaire. Lorsque l’IGPN, qui traite néanmoins 75% de ces signalements, rappelle les gens pour répondre à leurs questions et «faire de la pédagogie, les citoyens n’en reviennent pas». Outre ceux qui se plaignent d’avoir été verbalisés ou d’avoir subi un contrôle d’identité jugé «peu courtois», certains ne «comprennent pas pourquoi les policiers n’ont pas montré leur mandat de perquisition» (qui n’existe pas en France) ou n’ont pas effectué de «prélèvements de police scientifique partout. Les séries télévisées américaines nous font beaucoup de mal».

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Un article de L'express

par Eric Pelletier

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Le "super flash-ball" dans le collimateur

Mais le sujet de préoccupation majeur pour la "police des polices" est ailleurs. L'IGPN s'intéresse aux conséquences de l'utilisation d'une arme particulière, en dotation dans les services depuis 2009. Le lanceur de balle de défense, ou "lanceur de 40" dans le jargon, se présente comme un "super flash-ball", utilisable comme une arme longue à l'épaule, et donc en théorie plus précise. Il est très prisé pour le rétablissement de l'ordre en cas de manifestation qui dégénère: les policiers louent son efficacité et y ont souvent recours (171 tirs recensés en 2010, 345 en 2011 et 623 en 2012, selon le Défenseur des droits).

Son utilisation n'est cependant pas sans risque. Le lanceur de balle de défense peut en effet provoquer de graves blessures, allant jusqu'à l'énucléation oculaire, si le projectile percute le visage. A l'issue d'une violente manifestation contre la construction de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, à Nantes (Loire-Atlantique), le 22 février dernier, l'inspection a été saisie à six reprises pour des blessures causées par ce type d'engin. Au total, une dizaine de dossiers serait actuellement en cours.

La "police des polices" a donc créé un groupe de travail sur le sujet. Pour limiter les risques, de nouvelles munitions sont testées et la direction générale de la police réfléchit à un durcissement des règles d'emploi.

L'IGPN a depuis longtemps proscrit de son vocabulaire le terme d'"arme non létale", considérant que les pistolets à impulsion électrique (le fameux Taser) ou autres flash-ball peuvent tuer même si ce n'est pas leur vocation initiale. C'est pourquoi elle préfère les désigner d'un terme générique: "armes de force intermédiaire".

Un rapport de l'Assemblée nationale indique que les gendarmes ont fait usage de leurs armes à 80 reprises en 2011 (à 98 reprises en 2010). Un rapport du Défenseur des droits fait état de 442 utilisations de Taser (tir, contact ou simple dissuasion), de 589 tirs de flash-ball et de 623 tirs de lanceur de balle de défense par des policiers en 2012.

En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/societe/quand-les-policiers-tirent-sur-des-sangliers_1536512.html#lIPdYgw6PprK5o9B.99

Une réponse du journaliste de l'Express après une demande de précision sur le noiuveau terme employé par l'IGPN pour évoquer les armes "non-létales :
Réponse de la rédaction de LEXPRESS.fr - 09/05/2014
Bonjour. Il s'agit effectivement d'une évolution sémantique assumée par la direction générale de la police nationale  (on parle aussi d'"armes à létalité réduite"). Des incidents graves ont été recensés lors de l'utilisation du pistolet à  impulsion électrique, du flash ball et du lanceur de balle de défense. Il n'est donc pas exclu que dans certaines  circonstances (liées aux conditions du tir, ainsi qu'à l'état physique ou psychologique d'une personne) ces armes  initialement dites "non létales" (car elles permettent d'éviter l'utilisation du Sig Sauer 9 mm) puissent conduire à la  mort. Une matraque, elle aussi, peut tuer. Lors de cette conférence de presse, il a été rappelé en effet que les  "armes de force intermédiaire" sont bien des armes. Je vous invite à lire à ce propos le rapport du Défenseur des  droits figurant en lien dans cet article. Bien cordialement Eric Pelletier