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+ le seul article/enquête qui relie les faits au travail du "groupe de travail du 27 novembre" :
de David Dufresne sur Médiapart
"autopsie d'une manifestation étudiant qui tourne mal"
"autopsie d'une manifestation étudiant qui tourne mal"
http://www.mediapart.fr/journal/france/050708/nantes-autopsie-d-une-manif-etudiante-qui-tourne-mal
Nantes : autopsie d’une manif étudiante qui tourne mal
05 juin 2008 par David Dufresne
Le lanceur de balle de défense
Au centre de la photo et des questions, il y a cette arme jaune. Son petit nom, c’est le lanceur de 40mm. Sa grande famille, ce sont les lanceurs de balle de défense (LBD), dont l’aîné, le Flashball, a souvent fait parler de lui. Arme non létale ou à létalité réduite, le lanceur de 40mm est «polyvalent». Il peut projeter balles en mousse, lacrymogène, fumigène, ou balle marquante (paint-ball), de plus loin que ne le faisait jusqu’ici le Flashball. Il est même équipé d'un système de visée laser. Actuellement, avant de l’utiliser, il faut passer par la case formation, qui varie d’une demi-journée à une journée seulement.
En réalité, ce LBD n’est aujourd’hui qu’en « phase d’expérimentation de terrain », après avoir subi quelques tests en laboratoire. Il n'est donc pas encore en dotation de la police nationale. Et c’est évidemment en cela que les événements de Nantes prennent toute leur dimension. Dans son dossier, le comité de soutien à Pierre écrit: « L’évolution des politiques de maintien de l’ordre depuis une dizaine d’années, appuyées sur une nouvelle idéologie, sur de nouveaux dispositifs et de nouveaux armements, nous laisse craindre que de tels faits ne soient de nature à se reproduire fréquemment si aucun correctif n’est apporté rapidement.»
En fait, la police se pose les mêmes questions. Ou presque. Depuis un certain nombre de mois, un groupe de travail au sein de l’IGPN étudie précisément tous les cas où les LBD sont utilisés. En clair: à chaque usage d’un lanceur de 40 mm, un rapport. Et au bout d’un certain nombre de rapports, une note d’emploi qui définit le cadre technique dans lequel un policier peut, ou non, l’utiliser. Ces notes d’emploi sont d’ailleurs relativement nouvelles et marquent un tournant dans les pratiques policières. Les premières remontent au milieu des années 2000. Elles encadrèrent d’abord les usages des gaz incapacitants, puis les LBD, puis les pistolets à impulsion électrique (genre Taser) et, enfin, les dispositifs d’interception des véhicules.
Pour l’heure, ce sont les procédures d’emploi des autres lanceurs de balle de défense (type Flashball) qui sont à l’œuvre pour le lanceur de 40 mm, pourtant plus puissants que ses prédécesseurs. Et les consignes sont claires : absence de visée en direction de la tête et pas de tir à moins d’une distance minimale qui varie de cinq à sept mètres. Encore qu’il faille apporter ici un bémol : le principe n°1 qui prime sur le reste demeure la légitime défense. Selon une source Place Beauvau, il est probable que «l'usage des LBD soit quelque peu recadré dans les mois qui viennent». L’affaire nantaise pourrait d'ailleurs y être pour quelque chose.
Le policier à la cagoule
Ce sont évidemment les photos les plus troublantes. On y distingue un policier armé d’un lanceur de balle de défense mais, surtout, l’homme est cagoulé. L’effet est saisissant. Dans l’imaginaire collectif, le policier cagoulé est un policier d’élite, en tenue exceptionnelle pour événement exceptionnel (prise d’otage, forcené, etc.). C’est plus l’imagerie Raid que l’ambiance CRS. Cet anonymat d’un agent public en plein espace public pose évidemment débat. Un décret de 1995, revu dernièrement, encadre là aussi strictement l’usage de la cagoule et détermine les services qui peuvent y prétendre. Dans tous les cas, une autorisation hiérarchique doit être délivrée. Bien souvent, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes qui en feraient la demande par peur de représailles. C’est aussi un geste psychologique évident envers la foule.
Dans la pratique, le port de la cagoule – hors cas extrême – est plus fréquent en matière de violences urbaines (émeutes, guet-apens, etc.) qu’en matière de maintien de l’ordre (manifestation, etc.). L’affaire de Nantes pourrait bien faire bouger les choses, non sur le plan de la légalité, mais sur celui de la légitimité. En clair : est-il justifié d’enfiler une cagoule, en plein après-midi, en pleine manifestation ?
Que dit le rapport de l’IGPN ?
Daté du 14 avril 2008, le rapport de l’Inspection générale de la police nationale a déjà en partie fuité. Selon la presse locale, ses conclusions iraient dans le sens d’une riposte « proportionnée » des forces de l'ordre. Autrement dit, rien à signaler. Problème, la police des polices s’y montrerait incapable de répondre à la question n°1 : quel policier a pu toucher Pierre et comment ? Dès lors, les avis divergent. Pour certains, l’IGPN suggérerait un classement sans suite. Selon nos informations, pourtant, il ne serait pas exclu que certaines sanctions administratives, plus ou moins mineures, tombent sur un ou des agents des forces de l’ordre. Notamment à propos du port de la cagoule. Premiers éléments de réponse: avant la fin de la semaine prochaine. Quand Xavier Ronsin, le procureur de Nantes, rendra sa décision (ouverture d’une enquête ou enterrement de l’affaire), «sauf élément nouveau».
Nantes : autopsie d’une manif étudiante qui tourne mal
05 juin 2008 par David Dufresne
Les faits
Centre-ville de Nantes, 27 novembre 2007, en fin d’après-midi. Plusieurs centaines de manifestants contre la loi Pécresse (LRU, pour «liberté et responsabilité des universités») se frottent aux forces de l’ordre, à deux pas du rectorat. L’endroit et la scène sont des classiques du genre à Nantes. Soudain, un lycéen de 16 ans s’effondre. Pierre est grièvement touché à l’œil par une balle en caoutchouc. Son père raconte: «Mon fils a quasiment perdu la vue. Il n’a plus que 2/10e à l’œil droit, et encore sur les côtés. » Trois autres manifestants sont blessés à leur tour, plus légèrement. Plusieurs tirs de Flashball sont observés. Côté police, on dénombre dix blessés. Qui évoquent des jets de pierre, des jets de bouteille, des jets de projectiles, quelques étudiants « déchaînés ». Dans la foulée, le parquet de Nantes ordonne à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) d’enquêter. Sur les violences des policiers, et sur celles des manifestants. Puis, ce sont les parents de Pierre qui réclament justice et vérité. Avec quelques amis, ils créent un comité de soutien. L’affaire est enclenchée. Elle pose des questions centrales : qu’est-ce que le maintien de l’ordre aujourd’hui? Avec quelles armes, quelle doctrine, quel cadre légal?
Internet et le comité de soutien
L’idée du collectif est simple. Il ne veut pas se baser, comme c’est souvent le cas, sur l’émotion seule. Son but est d’assurer un travail concret de collecte, de regroupement et, surtout, de mise en perspective. « Nous ne nous substituons pas à la justice, affirme-t-il. Au contraire, nous l’appuyons pour qu’elle puisse dire la vérité et les responsabilités dans ces violences policières. » Aussitôt, le comité se met en chasse. Témoignages en nombre, photos en masse, tout est bon. Il projette des vues axonométriques des lieux, dresse la chronologie des faits, analyse les articles de presse (pas toujours favorables à sa cause), et obtient des certificats médicaux, voire des courriers de plus hauts responsables de la police.
Trait de l’époque : un gros travail est effectué sur les films amateurs, captés à la volée par plusieurs téléphones portables au moment des faits. Pour un peu, on se croirait dans Blow out, de Brian de Palma, quand un ingénieur du son enregistre par hasard un meurtre et passe 90 minutes à le reconstituer. L’équipe du comité visionne ainsi les films un à un, image par image. Et arrive à isoler des silhouettes, quelques gestes. Parfois, les trouvailles vont dans son sens. Parfois, moins. Marc Vayer, membre du comité, se souvient ainsi d’une scène: « Sur une photo, il y avait de la fumée. Qui pouvait s’apparenter à de la lacrymo. En fait, à la lecture image par image d’un des films que nous avions récupérés, on observait que c’était simplement un nuage de fumée de quelqu’un allumant sa cigarette…»
Une fois ficelé, l’épais dossier est envoyé un peu partout. Au parquet de Nantes, à la presse, à quelques élus locaux. Puis, comme une évidence, il est mis en ligne, intégralement, il y a quelques jours. La boucle est bouclée, le travail d’enquête a porté ses fruits. Selon nos informations, le parquet l’aurait récemment étudié avec « le plus grand sérieux ».
Toutes les photos amateur sont extraites du site 27novembre2007.blogspot.comCentre-ville de Nantes, 27 novembre 2007, en fin d’après-midi. Plusieurs centaines de manifestants contre la loi Pécresse (LRU, pour «liberté et responsabilité des universités») se frottent aux forces de l’ordre, à deux pas du rectorat. L’endroit et la scène sont des classiques du genre à Nantes. Soudain, un lycéen de 16 ans s’effondre. Pierre est grièvement touché à l’œil par une balle en caoutchouc. Son père raconte: «Mon fils a quasiment perdu la vue. Il n’a plus que 2/10e à l’œil droit, et encore sur les côtés. » Trois autres manifestants sont blessés à leur tour, plus légèrement. Plusieurs tirs de Flashball sont observés. Côté police, on dénombre dix blessés. Qui évoquent des jets de pierre, des jets de bouteille, des jets de projectiles, quelques étudiants « déchaînés ». Dans la foulée, le parquet de Nantes ordonne à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) d’enquêter. Sur les violences des policiers, et sur celles des manifestants. Puis, ce sont les parents de Pierre qui réclament justice et vérité. Avec quelques amis, ils créent un comité de soutien. L’affaire est enclenchée. Elle pose des questions centrales : qu’est-ce que le maintien de l’ordre aujourd’hui? Avec quelles armes, quelle doctrine, quel cadre légal?
Internet et le comité de soutien
L’idée du collectif est simple. Il ne veut pas se baser, comme c’est souvent le cas, sur l’émotion seule. Son but est d’assurer un travail concret de collecte, de regroupement et, surtout, de mise en perspective. « Nous ne nous substituons pas à la justice, affirme-t-il. Au contraire, nous l’appuyons pour qu’elle puisse dire la vérité et les responsabilités dans ces violences policières. » Aussitôt, le comité se met en chasse. Témoignages en nombre, photos en masse, tout est bon. Il projette des vues axonométriques des lieux, dresse la chronologie des faits, analyse les articles de presse (pas toujours favorables à sa cause), et obtient des certificats médicaux, voire des courriers de plus hauts responsables de la police.
Trait de l’époque : un gros travail est effectué sur les films amateurs, captés à la volée par plusieurs téléphones portables au moment des faits. Pour un peu, on se croirait dans Blow out, de Brian de Palma, quand un ingénieur du son enregistre par hasard un meurtre et passe 90 minutes à le reconstituer. L’équipe du comité visionne ainsi les films un à un, image par image. Et arrive à isoler des silhouettes, quelques gestes. Parfois, les trouvailles vont dans son sens. Parfois, moins. Marc Vayer, membre du comité, se souvient ainsi d’une scène: « Sur une photo, il y avait de la fumée. Qui pouvait s’apparenter à de la lacrymo. En fait, à la lecture image par image d’un des films que nous avions récupérés, on observait que c’était simplement un nuage de fumée de quelqu’un allumant sa cigarette…»
Une fois ficelé, l’épais dossier est envoyé un peu partout. Au parquet de Nantes, à la presse, à quelques élus locaux. Puis, comme une évidence, il est mis en ligne, intégralement, il y a quelques jours. La boucle est bouclée, le travail d’enquête a porté ses fruits. Selon nos informations, le parquet l’aurait récemment étudié avec « le plus grand sérieux ».
Le lanceur de balle de défense
Au centre de la photo et des questions, il y a cette arme jaune. Son petit nom, c’est le lanceur de 40mm. Sa grande famille, ce sont les lanceurs de balle de défense (LBD), dont l’aîné, le Flashball, a souvent fait parler de lui. Arme non létale ou à létalité réduite, le lanceur de 40mm est «polyvalent». Il peut projeter balles en mousse, lacrymogène, fumigène, ou balle marquante (paint-ball), de plus loin que ne le faisait jusqu’ici le Flashball. Il est même équipé d'un système de visée laser. Actuellement, avant de l’utiliser, il faut passer par la case formation, qui varie d’une demi-journée à une journée seulement.
En réalité, ce LBD n’est aujourd’hui qu’en « phase d’expérimentation de terrain », après avoir subi quelques tests en laboratoire. Il n'est donc pas encore en dotation de la police nationale. Et c’est évidemment en cela que les événements de Nantes prennent toute leur dimension. Dans son dossier, le comité de soutien à Pierre écrit: « L’évolution des politiques de maintien de l’ordre depuis une dizaine d’années, appuyées sur une nouvelle idéologie, sur de nouveaux dispositifs et de nouveaux armements, nous laisse craindre que de tels faits ne soient de nature à se reproduire fréquemment si aucun correctif n’est apporté rapidement.»
En fait, la police se pose les mêmes questions. Ou presque. Depuis un certain nombre de mois, un groupe de travail au sein de l’IGPN étudie précisément tous les cas où les LBD sont utilisés. En clair: à chaque usage d’un lanceur de 40 mm, un rapport. Et au bout d’un certain nombre de rapports, une note d’emploi qui définit le cadre technique dans lequel un policier peut, ou non, l’utiliser. Ces notes d’emploi sont d’ailleurs relativement nouvelles et marquent un tournant dans les pratiques policières. Les premières remontent au milieu des années 2000. Elles encadrèrent d’abord les usages des gaz incapacitants, puis les LBD, puis les pistolets à impulsion électrique (genre Taser) et, enfin, les dispositifs d’interception des véhicules.
Pour l’heure, ce sont les procédures d’emploi des autres lanceurs de balle de défense (type Flashball) qui sont à l’œuvre pour le lanceur de 40 mm, pourtant plus puissants que ses prédécesseurs. Et les consignes sont claires : absence de visée en direction de la tête et pas de tir à moins d’une distance minimale qui varie de cinq à sept mètres. Encore qu’il faille apporter ici un bémol : le principe n°1 qui prime sur le reste demeure la légitime défense. Selon une source Place Beauvau, il est probable que «l'usage des LBD soit quelque peu recadré dans les mois qui viennent». L’affaire nantaise pourrait d'ailleurs y être pour quelque chose.
Le policier à la cagoule
Ce sont évidemment les photos les plus troublantes. On y distingue un policier armé d’un lanceur de balle de défense mais, surtout, l’homme est cagoulé. L’effet est saisissant. Dans l’imaginaire collectif, le policier cagoulé est un policier d’élite, en tenue exceptionnelle pour événement exceptionnel (prise d’otage, forcené, etc.). C’est plus l’imagerie Raid que l’ambiance CRS. Cet anonymat d’un agent public en plein espace public pose évidemment débat. Un décret de 1995, revu dernièrement, encadre là aussi strictement l’usage de la cagoule et détermine les services qui peuvent y prétendre. Dans tous les cas, une autorisation hiérarchique doit être délivrée. Bien souvent, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes qui en feraient la demande par peur de représailles. C’est aussi un geste psychologique évident envers la foule.
Dans la pratique, le port de la cagoule – hors cas extrême – est plus fréquent en matière de violences urbaines (émeutes, guet-apens, etc.) qu’en matière de maintien de l’ordre (manifestation, etc.). L’affaire de Nantes pourrait bien faire bouger les choses, non sur le plan de la légalité, mais sur celui de la légitimité. En clair : est-il justifié d’enfiler une cagoule, en plein après-midi, en pleine manifestation ?
Que dit le rapport de l’IGPN ?
Daté du 14 avril 2008, le rapport de l’Inspection générale de la police nationale a déjà en partie fuité. Selon la presse locale, ses conclusions iraient dans le sens d’une riposte « proportionnée » des forces de l'ordre. Autrement dit, rien à signaler. Problème, la police des polices s’y montrerait incapable de répondre à la question n°1 : quel policier a pu toucher Pierre et comment ? Dès lors, les avis divergent. Pour certains, l’IGPN suggérerait un classement sans suite. Selon nos informations, pourtant, il ne serait pas exclu que certaines sanctions administratives, plus ou moins mineures, tombent sur un ou des agents des forces de l’ordre. Notamment à propos du port de la cagoule. Premiers éléments de réponse: avant la fin de la semaine prochaine. Quand Xavier Ronsin, le procureur de Nantes, rendra sa décision (ouverture d’une enquête ou enterrement de l’affaire), «sauf élément nouveau».